Bus nocturne

Comme certains disent ; Esteban a percé. Lui, le petit gars passionné de mécanique qui a juste commencé à partager son centre d’intérêt sur les réseaux. Tout s’était fait si vite – à son grand damne. Si son tout nouveau métier était confortable, se faire des amis, ou plus, n’avait plus la même saveur ; et même sortir dans la rue devenait un sport extrême.

Il aura fallu une soirée de beuverie intense pour que, l’esprit dans le brouillard, il installe une application de rencontre. La photo aura été prise sur l’instant, avec ses cheveux bruns en bataille et ses joues fines rougies par l’alcool. Et lorsque Esteban s’était réveillé le lendemain matin, visage contre l’écran de son smartphone, il n’avait pu que constater les dégâts.

C’est lorsqu’il avait voulu supprimer l’application de son téléphone qu’il remarqua un détail, un message précis. Il ne sut pourquoi à ce moment-là, mais d’un simple « Salut ! » envoyé par une certaine Clara aux beaux yeux vert, une conversation s’enchaina simplement.

Une semaine plus tard, le voilà à attendre à l’arrêt de bus en bas de chez lui, capuche redressée. Il rentra avec hâte dans l’autocar, passa son badge sans adresser un regard au conducteur, et alla s’assoir à la première place disponible contre une fenêtre.

A quoi allait-elle ressembler ? Leur discussion ne s’était plus arrêtée depuis une semaine.

« Excusez-moi, est-ce que je peux m’assoir ici ? »

C’était une voix de femme, tournée vers lui. Esteban rabattit automatiquement sa capuche pour cacher son visage.

« Euh... Ouais. »

Il se colla le plus possible contre la vitre froide pour la laisser s’installer. Il remarqua du coin de l’œil un pied dans le plâtre, malgré la lumière faiblarde.

« Ça caille en ce moment… »

La jeune femme soufflait sur ses petits doigts rougis par le froid. Ses ongles étaient ornés d’un verni blanc, recouvert de petits dessins de voiture.

« Ils sont super bien fait ! » souffla-t-il contre son gré.

Les yeux de l’inconnue se mirent à pétiller.

« N’est-ce pas ? Je les ai fait exprès pour ce soir, j’ai un rendez-vous. » Son sourire s’étira de plus belle. « J’ai essayé de me renseigner un peu sur lui, il parait que ça lui parle bien les voitures. »

Alors qu’elle tendait ses mains vers Esteban pour lui montrer plus précisément, l’autocar freina brusquement. Les deux jeunes gens, pris par surprise, ne purent s’empêcher de se prendre le nez dans les sièges de devant.

« Aie ! » S’exclama la jeune femme.

« Tout va bien ? »

Elle n’eut pas le temps de lui répondre ; ils furent évacués du bus, qui venait d’avoir un accrochage.

« Comment vais-je faire… »

Debout sur le trottoir, se tenant sur sa béquille, la jeune femme n’en menait pas large. Sa tristesse prit Esteban à la gorge ; au diable son rendez-vous, il avait l’occasion de faire quelque chose de bien. Il prit l’inconnue par le poignet.

« Dis-moi où. Je vais te porter. »

La voir sourire en retour réchauffa instantanément son cœur ; se sentant rougir, il baissa la tête quasiment aussitôt. Il baissa un peu plus sa capuche de sa main libre.

« Je vais te porter sur mon dos. »

Il l’entendit acquiescer, et les voilà à parcourir les rues de la ville à toute vitesse au rythme des indications de la jeune femme. Esteban faisait de son mieux pour courir, tout en la gardant fermement contre lui et en évitant les crottes de chien au sol, difficiles à discerner dans la nuit. Les poils de son cou se hérissaient lorsqu’ils sentaient le souffle de la jeune femme. Ils furent finalement bloqué par un long feu-rouge, où il la fit descendre pour reprendre un peu son souffle et s’étirer le dos.

« Tu es super fort ! »

Esteban garda son visage vissé au sol, rougissant. Le sport ne servait pas qu’à poster des photos plaisantes sur les réseaux finalement.

Dans la foule attendant autour d’eux, un brouhaha commença à se faire entendre ; le pire cauchemar d’Esteban. Il reconnut son pseudonyme dans les éclats de voix qui lui parvenait.

« Merde… »

Esteban sentit son souffle s’accélérer. Il n’arrivait plus à réfléchir ; la panique le saisit aussitôt. Il sentit une main sur son poignet ; elle était encore là.

« Suis-moi, ça va aller. »

Le feu était passé au vert ; la jeune femme clopina le plus rapidement possible, trainant Esteban de sa main libre. Ils se mêlèrent à la foule de pressés s’engouffrant sur l’avenue, jusqu’à atteindre l’autre côté. Alors que les cris continuaient de se faire entendre, elle le tira dans une rue beaucoup plus discrète et peu fréquentée, jusqu’à pouvoir se cacher derrière une camionnette.

Esteban se retrouva accroupi sur le trottoir, toujours tentant de reprendre son souffle, alors que la jeune femme guettait leurs éventuels poursuivants. Une minute se déroula avant qu’elle ne retourne son attention vers lui.

« Eh, ça fait 1 partout ! Prend le temps de respirer, comme ça. »

S’asseyant difficilement sur le trottoir, elle finit par attraper ses mains dans les siennes. Toujours autant mal à l’aise, Esteban garda les yeux baissés, essayant de se cacher le mieux possible sous sa capuche. Malgré tout, la caresse des pousses de la jeune femme sur le dos de ses mains l’apaisait doucement.

« Ça va mieux ? »

Sa voix était tendre, percutant le cœur d’Esteban.

« Oui, désolé… »

Reprenant lentement ses esprits, il remarqua la robe de la jeune femme, trainant sur l’eau sale du trottoir. Il se rappela.
« Merde, ton rendez-vous ! Il faut qu’on se dépêche. »

Elle lâcha un petit rire, en regardant au loin.

« Laisse tomber. On est quasiment arrivé, il était censé m’attendre devant… Et de toute façon, ma tenue est fichue. »
Elle pointa du doigt une enseigne lumineuse un peu plus loin dans la rue. Esteban plissa des yeux, commençant à se douter de quelque chose.

« Viens avec moi. »

Il se redressa, et porta la jeune femme sous les aisselles pour la remonter sur ses pieds. Il s’avança vers l’entrée du restaurant, une petite adresse éclairant la ruelle comme en plein jour. Alors qu’elle s’approchait, son visage baignait dans la lumière vive, faisant ressortir ses beaux yeux jades.

« Clara ? »

Il baissa sa capuche et planta enfin ses yeux dans les siens. Elle lâche un petit son de surprise.

« Esteban ! »