La painpauté
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Rambalh
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Eden - Image de la forêt Empty Eden - Image de la forêt

Dim 29 Jan - 16:10
Lecture:

Splash. Slurp. Splash. Slurp. Splash. Slurp.

Ses chaussures s’enfonçaient dans la boue et en ressortaient à chacun de ses pas dans un atroce bruit de succion, manquant d’y rester collées à chaque va-et-vient. L’air humide collait ses longues mèches blondes sur son front, renforçant l’ambiance poisseuse qui pesait tout autour d’elle. Ce n’était pas comme dans ses souvenirs. Elle avait du mal à reconnaître les lieux, l’atmosphère tranchant radicalement avec ce qu’il restait de cette partie de sa vie dans sa mémoire.

Sarah avançait doucement malgré l’angoisse qui l’étreignait. Elle cherchait ses repères, un buisson familier, un arbre auquel elle avait grimpé quelques années plus tôt. Tout était plus en moins en place, tout était pourtant différent.
La forêt autrefois accueillante et réconfortante, faite de bruits délicats et d’odeurs apaisantes, ressemblait ce soir à un cimetière. C’était là qu’ils avaient nourri leurs idéaux, qu’ils avaient cultivé leur refuge et tout ce qu’il en restait puait la mort.

Splash. Slurp. Splash. Slurp. Splash. Slurp.


Sarah ne se souvenait pas des eaux stagnantes, elle était même certaine qu’elles n’avaient pas été là avant. Peut-être que la forêt avait avalé trop de sang et qu’elle se refusait à boire l’eau qui s’y accumulait depuis. L’odeur de végétation pourrissante la prenait à la gorge, assaillant son odorat par vague. À peine éclairé par sa lampe, le vieux chemin n’offrait plus aujourd’hui qu’un dédale de flaques boueuses sombres, aux émanations de matière en décomposition, où ses jambes s’enfonçaient encore et encore. La jeune femme ne cherchait plus à regarder où elle mettait les pieds : tout n’était que désolation et rien ne servait de s’épuiser à essayer d’éviter les amas boueux. Ses pieds et chevilles étaient déjà imbibés, il n’y avait plus rien à sauver. Comme dans cette forêt.

La carcasse d’un arbre à moitié déraciné la stoppa dans sa progression : la boule dans son estomac venait de croître d’un seul coup. Elle s’approcha de l’arbre, sa lampe à hauteur des yeux, et observa ses différents troncs, ceux encore en terre comme ceux dont les racines agonisaient à l’air libre. Sept piliers entouraient le tronc principal dont l’écorce avait blanchi par endroit. Sarah s’immisça au centre de cette ronde pour laisser sa main parcourir les lignes sinueuses formées par l’écorce se détachant de la souche principale. Ses doigts se crispèrent sur quelques entailles qu’elle éclaira.

EDEN.

Le vieil arbousier autrefois majestueux et protecteur, autour duquel ils avaient tous été réunis maintes fois afin de survivre aux bons comme aux mauvais moments, avait lui aussi tiré sa révérence. Plus aucune feuille ne logeait au bout de ses branches, même les insectes avaient choisi de déserter sa dépouille. Seule l’humidité et la boue s’offraient à lui, encerclant ses troncs et racines mortes d’un linceul gluant. Les dents serrées pour contenir son émotion, Sarah relu encore et encore ce mot. EDEN. Le nom de leur refuge. Cet endroit où elle avait appris à devenir elle-même, ce lieu où elle avait trouvé une famille composée d’être aussi dysfonctionnels qu’elle. EDEN. Elle retira sa main après avoir flattée l’écorce de l’arbousier : lui aussi, il avait fait partie de sa famille.

Elle progressait à nouveau dans la terre détrempée, frissonnant maintenant que le froid avait autant envahi son corps que son âme. Elle avait connu dans cette forêt des hivers glacial, des automnes humides, des printemps où la rosée jouait avec la lumière et des étés étouffants lorsque le soleil perçait les nuages. Mais elle n’avait pas souvenir d’un lieu aussi aqueux, transpirant de chacun de ses pores morts. Les craquements autour d’elle n’étaient pas francs, ils étaient grinçants, évacuant lentement la pression suintante de l’air sur la végétation suffocante. C’était ça, mourir à petit feu ? Prendre le poids du drame qui s’était déroulé ici et le laisser nous dévorer des années durant ?

Splash. Slurp. Splash.
Splash.


À travers les faibles nappes de brouillard, Sarah vit enfin les contours de la maison. Sa maison. Son refuge qui ressemblait aujourd’hui à un tombeau. La lune, à l’apogée de sa croissance éclairait la façade d’une clarté lugubre, ne permettant pas d’en voir tous les détails.

Les volets rescapés du massacre étaient clos, derniers remparts face à la forêt menaçante. Aucun bruit ne venait troubler la dépouille de son foyer. Pas un bruissement d’ailes, pas un sifflement, aucun fourmillement. Désormais, seul le silence semblait habiter les lieux. La vie s’était retirée de cette terre, seule la désolation subsistait.

Sarah sentit tout son courage l’abandonner. Revenir ici était une erreur, elle n’était pas prête à affronter l’absence des autres dans un présent qui rendait son passé plus déchirant encore. Vacillante, la faible lumière émise par sa lampe semblait elle aussi vouloir capituler.

– Non… souffla-t-elle. Ne me laisse pas dans le noir.

Elle asséna quelques coups sur l’objet, comme elle l’aurait fait avec un membre engourdi, mais la lampe abdiqua, la laissant définitivement seule face à son histoire.

La jeune femme rangea la lampe dans la poche intérieure de sa parka et essuya son front moite. Elle inspira longuement, toujours plantée dans la boue. Il fallait qu’elle calme les battements de son cœur qui venaient contrer le silence qui se heurtait à ses tympans. Un… deux… trois.

Splash. Slurp. Splash. Slurp.


Sarah s’arrêta devant le cèdre minuscule à quelques mètres de l’entrée. Ils l’avaient planté lorsque Ross était mort. Lui non plus n’avait pas survécu. Rachitique, sec et dépouillé, il gisait au milieu de l’ancien jardin, témoin de la dévastation qu’ils avaient subi. Une larme s’écrasa sur sa joue. La perte de Ross avait été le début de la fin, le déclencheur de la chute finale. Et tout ce qu’il restait de leur histoire était cette baraque délabrée, engluée dans un environnement qui témoignait de leur défaite. La main posée sur le tronc qui n’avait jamais pu finir de croître, Sarah repensa à tous ceux qui avaient été privés des chapitres suivants de leur vie. Et s’il restait des corps dans la maison, à l’image du cèdre ? Elle ne se souvenait plus de ce qu’ils avaient fait après l’attaque. Les semaines qui avaient suivi étaient toujours aussi floues dans son esprit, comme une barrière après le traumatisme des combats. Non, Aaron s’était forcément occupé de leur donner une sépulture à tous avant de disparaître. Elle retira délicatement sa main de l’arbre de Ross et poursuivit sa route.

Les marches de la maison étaient rongées par l’humidité, elle prit garde à ne pas passer à travers le bois pourri, grinçant comme la mort. Une sensation étrange s’empara alors d’elle et ses yeux s’ouvrirent en grand. Elle suspendit son ascension, à l’écoute du silence funèbre qui l’entourait. L’atmosphère avait changé, quelque chose de différent reposait désormais sur ses épaules : ce n’était pas la mort, c’était autre chose. Elle avança la main sans bouger des marches, cherchant du concret, du solide, mais ses doigts se refermèrent simplement sur le vide. S’était-elle trompée ? Elle observa la façade fissurée, bouffée par de longues trainées humides alternant avec la dépouille du vieux lierre grimpant. Elle était presque certaine que quelque chose avait furtivement montré sa présence. Son esprit lui avait sûrement joué un tour, titillant ses sens pour lui faire sentir ce qu’elle avait voulu trouvé ici : un espoir. C’était cruel.

Sarah gravit la dernière marche et posa la main sur la porte en bois massif qui, elle, était toujours là. La jeune femme trouva ça particulier. L’ennemi n’avait pourtant pas frappé poliment à l’entrée pour s’annoncer et avait débarqué avec violence. Comment cette porte pouvait-elle être encore débout ? Comment ne pouvait-elle pas elle aussi être un témoignage de l’attaque mortifère ?

Sarah vacilla vers l’avant alors que la porte s’ouvrit à la volée. Elle se rattrapa de justesse et posa les yeux sur une arme braquée droit sur elle, aveuglée par la lumière s’échappant de l’ouverture.

– Sarah ?

zebulon911, Sisuki, Yoomise et Hypallage aiment ce message

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tavtav
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Eden - Image de la forêt Empty Re: Eden - Image de la forêt

Dim 5 Fév - 18:59
La suite ???!!! Les cliffhangers devraient être interdit.  Eden - Image de la forêt 1f635  Eden - Image de la forêt 1f62c  Eden - Image de la forêt 1f602

Non en vrai super texte. C'est impressionnant de pouvoir écrire autant en si peu de temps et en maintenant une telle qualité ^^
Effectivement, c'est marrant de voir à quel point l'ambiance générale peut diverger autant pour une même image. Very Happy

"Splash. Slurp. Splash.
Splash. " -> c'est vachement cinématique, j'adore.
De manière plus générale, je trouve que tu as des images très fortes, servies par un vocabulaire riche et cohérent. "Linceul gluant", "rachitique, sec et dépouillé", etc... Le nombre d'idées pour décrire le marais et des arbres sans se répéter, c'est super.

"Peut-être que la forêt avait avalé trop de sang et qu’elle se refusait à boire l’eau qui s’y accumulait depuis" -> on ne distingue pas bien la limite entre métaphore et réalité. Je ne sais pas si c'est fait exprès mais j'adore cette ambiguïté.

Bref, je vais pas citer tout ton texte mais y a vraiment beaucoup d'idées sympas. Je sais pas comment tu penses a autant de détails mais chapeau pour cette description hyper vivide.

zebulon911 et Rambalh aiment ce message

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Rambalh
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Eden - Image de la forêt Empty Re: Eden - Image de la forêt

Dim 5 Fév - 20:35
Merci beaucoup tavtav pour ton commentaire, j'suis contente que les petits détails mis par choix aient fonctionné, c'est pile là-dessus que j'avais envie de travailler avec cet exercice.

tavtav a écrit:"Peut-être que la forêt avait avalé trop de sang et qu’elle se refusait à boire l’eau qui s’y accumulait depuis" -> on ne distingue pas bien la limite entre métaphore et réalité. Je ne sais pas si c'est fait exprès mais j'adore cette ambiguïté.
Et bien justement, c'est dingue que tu aies capté ça parce que sur le moment de la rédaction, j'hésitais entre les deux alors j'ai choisi de laisser suffisamment flou pour me laisser une marge de manoeuvre au cas où Very Happy

Pour les idées, je me suis basée sur un univers qui est déjà pleinement construit dans ma tête donc ça facilite grandement l'exercice : je n'ai eu qu'à me concentrer sur le décor autour.

Et pour la quantité, j'ai toujours eu la chance d'écrire assez vite en quantité du temps où je faisais du RP sur forum. Je ne sais pas si c'est parce que j'aimais répondre rapidement à mes partenaires ou si c'est vraiment ma façon initiale de fonctionner mais je n'ai jamais eu besoin de faire d'efforts de ce côté. Le risque, c'est de mettre machinalement de la quantité sans chercher à savoir si c'est réellement nécessaire ou non Razz

Merci d'être passée par ici pour me lire, ça fait chaud au coeur ♥

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Eden - Image de la forêt Empty Re: Eden - Image de la forêt

Ven 17 Fév - 16:47
Hello ! Bravo pour ton texte ! Il est très plaisant à lire, avec du vocabulaire, du rythme.

elle était même certaine qu’elles n’avaient pas été là avant. : un peu lourd le "qu'elles n'avaient pas été là avant"

l’atmosphère tranchant radicalement avec ce qu’il restait de cette partie de sa vie dans sa mémoire. : beaucoup de mots pour ne pas dire grand-chose, je pense que tu peux être plus simple

ne servait de s’épuiser à essayer d’éviter les amas boueux. : beaucoup trop de verbes, quatre pour une seule action, c'est lourd et ça embrouille

Mais sinon c'est très bien Smile
Merci pour ta participation !
zebulon911
zebulon911
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Localisation : pas loin

Eden - Image de la forêt Empty Re: Eden - Image de la forêt

Dim 26 Fév - 12:54
Tu écris vite et bien. Félicitations Smile
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Eden - Image de la forêt Empty Re: Eden - Image de la forêt

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