Retour d'exil - Image fantasy

Image fantasy

« Regarde, Maman ! On y est !
- Chuuuut ! Doucement, mon chéri… »

     Les cris surexcités du garçonnet assis à ses côtés tirèrent Rodrig de ses pensées. Il ouvrit les yeux et rencontra le regard d’excuse de la mère. Il la rassura d’un sourire distrait, son attention bien vite happée par le panorama qui se dévoilait au détour du chemin.

     Accrochée au flanc de la montagne, plus bas que les cimes enneigées, Iridael exposait ses pierres grises et ses tuiles rouges aux feux du soleil levant. Les buissons et les cyprès se détachaient ça et là de l’ensemble, rappelant l’attachement des habitants à la déesse-mère de la Nature.

     Contrairement à ça… songea Rodrig avec colère. La statue qui s’élevait désormais au bord du précipice, silhouette féminine à la robe flottante et à la main tendue vers le ciel, était magnifique et majestueuse, ce qui l’irritait d’autant plus.

     C’était la cause de son exil.

     Lorsque le projet avait été annoncé, il avait été l’un des rares à oser protester. Un été catastrophique, suivi d’un automne guère mieux et du pire hiver depuis un demi-siècle s’étaient successivement abattus sur la région. Le froid et la famine avaient fait des ravages parmi la population. Et tout ce que ce crétin irresponsable et mégalomane de Falastar avait proposé, c’était la construction de cette statue en l’honneur de la déesse – soi-disant. C’était bien entendu pour sa propre gloire, en réalité. Passer autant d’argent et de moyens dans cette idée folle, pendant un moment pareil, était tout bonnement inimaginable pour Rodrig.

     Mais on ne s’opposait pas sans risque au tyran d’Iridael.

     Accusé d’impiété, d’hérésie même, l’homme avait de peu échappé à l’exécution par les flammes. Son appartenance à l’une des familles les plus anciennes et les plus respectées de la cité avait converti sa peine en bannissement à vie.

     Les cahots de la route lui firent perdre le fil de ses souvenirs. La charrette commençait à ralentir à l’approche de la ville. Rodrig se pencha vers le conducteur.

« Je vais descendre ici, j’ai besoin de me dégourdir les jambes, lui annonça-t-il.
- Bien, M’sieur. J’vous souhaite un bon séjour !
- Merci, mon brave. A vous aussi. »

     Il passa la bandoulière de sa besace sur son épaule et sauta hors du véhicule. Il aurait plus de chance de passer sans être contrôler s’il était à pied que s’il se présentait sur un chariot. Non pas qu’il ait beaucoup de risques d’être reconnu. En quinze ans, l’érudit soigné avait bien changé. Sa barbe emmêlée, sa peau tannée par le soleil et ses rides marquées ne laissaient rien paraître de l’aristocrate qu’il avait été.

     Par précaution, il rabattit tout de même sa capuche sur sa tête, comme beaucoup de marcheurs à ses côtés qui se protégeaient du vent mordant. Il se glissa entre ces ombres brunes, aussi anonyme qu’elles.

     Il garda les yeux baissés le temps de franchir l’entrée monumentale, toujours aussi écrasante. Les échos des voix des passants et des gardes résonnaient sous la large voûte. Le brouhaha ne fit que s’amplifier dans l’enceinte de la ville. Les habitants s’interpellaient bruyamment. Des odeurs de nourriture s’échappaient des étals alignés le long du rempart, là où s’agglutinaient ceux qui n’étaient pas autorisés à s’installer plus au centre de la ville.

     Au-dessus, surplombant les autres bâtiments de plusieurs mètres, la Tour de l’Université s’élançait vers le ciel, telle une vigie. Son sommet, ouvert aux quatre vents, donnait un merveilleux aperçu du paysage environnant. Le cœur de Rodrig se serra. C’était là que, pour la dernière fois, il avait pu enlacer sa fiancée. Jenaelle… Ses yeux, son sourire, son espièglerie… Pas un seul jour n’avait passé sans qu’il ne songe à elle… et à ses larmes lorsqu’il avait refusé qu’elle l’accompagne. Elle s’était d’abord rebellée, arguant qu’elle n’avait aucun ordre à recevoir de sa part.

« Et Dame Samaelle ? Et Mardeck ? Tu ne peux pas les abandonner. »

     L’évocation de sa mère et de son jeune frère malade l’avait fait céder. Rodrig avait culpabilisé de la faire souffrir ainsi, mais c’était pour son bien. Il était hors de question qu’il l’entraine dans sa chute.

     Ils avaient continué à s’écrire, au début. Jusqu’à ce qu’il décide de la laisser vivre sa vie sans lui. Comment pourrait-elle avancer s’ils continuaient à s’accrocher l’un à l’autre ? La mort dans l’âme, il avait cessé de lui répondre. Il s’était plongé corps et âme dans le travail, que ce soit aux champs ou, plus tard, lorsqu’il avait réuni quelques économies, dans l’artisanat du bois. Tous les ans, pour l’anniversaire de sa bien-aimée, il lui sculptait une rose, sa fleur favorite. Et tous les ans, il glissait la fleur dans le tiroir de sa table de chevet, avec les lettres qu’elle lui avait envoyées.

     Il avait fini par ne plus en recevoir. Elle est passée à autre chose, avait-il cru, infiniment triste mais tout de même soulagé pour elle.

     Mais il en avait finalement reçu une autre.

     Pas d’elle. De Marcan, sa fidèle servante.

     Jenaelle était mourante. Dans ses délires fiévreux, elle demandait après lui.

     Dévasté, Rodrig avait attrapé son sac, jeté quelques affaires dedans et, sans plus se poser de questions, avait pris la route d’Iridael.

     Au diable Falastar et tous les corrompus qui l’avaient condamné.