Promenons-nous dans les bois...

Image – Maison dans les marécages

Kayla se demanda pour la dixième fois comment elle avait pu accepter de tenter de relever un pari aussi stupide. Qui plus est, par une nuit aussi lugubre. Déjà, elle n’entendait plus les voix et cris euphoriques de ses amis qui l’encourageaient depuis le petit sentier. Tout son paraissait incapable de percer l’épaisse couche de brume qui chutait depuis la cime des arbres nus et commençait à tapisser le sol jusqu’à hauteur de ses chevilles. Elle ne voyait plus ses pieds que par intermittence. Et le tapis de feuilles, où se mêlaient petits morceaux de bois morts et flaques d’eau boueuse, entravait sa progression. Elle ne comptait déjà plus le nombre de fois où elle avait manqué de trébucher et de s’étaler de tout son long dans l’une des ornières que creusaient les pneus du gros semi-remorque de ce vieux Daniels, le fermier du coin.

Il lui fallut une éternité – du moins, c’est l’impression qu’elle eut – pour arriver jusqu’à la fourche en Y qui séparait le chemin en deux sentiers encore plus lugubres. Celui de droite, qu’elle connaissait bien, menait à la ferme isolée du vieux Daniels. Quant à celui de gauche… Kayla frissonna et se maudit une nouvelle fois. Elle avait toujours la possibilité de faire demi-tour, mais ses amis sauraient qu’elle n’était pas allée jusqu’au bout et ils la railleraient pendant des jours. S’armant de tout le courage qu’elle possédait, elle mit un pied devant l’autre et emprunta la piste abandonnée depuis… elle ne savait quand.

La brume se fit si épaisse qu’elle en masquait par à-coups l’éclat argenté de la lune et amenait avec elle une humidité froide qui lui colla à la peau et alourdit ses cheveux. Kayla resserra sur son corps transit de froid son épais manteau et remisa ses mains au fond de ses poches. Les arbres morts, des bouleaux aux racines saillantes et à l’écorce craquelée aussi noire que du charbon, prirent la place de ceux, encore vaillants, qui portaient courageusement leurs dernières feuilles en ce début d’automne. Ils se comptaient par dizaine à se tenir là, penchés et nus, leurs branches s’élevant vers le ciel brumeux telles des mains aux longs doigts décharnés qui tentaient vainement d’attraper les derniers éclats de la lune. Kayla détourna les yeux de cet étrange spectacle, le regard résolument tourné vers le sol. L’épais tapis de feuilles cédait doucement la place à des flaques de boue qui devinrent de petites marres à mesure qu’elle progressait. L’odeur qui s’en dégageait, mélange d’eau stagnante et de végétation en décomposition, lui fit froncer le nez de dégoût.

Un cri brisa le silence angoissant et Kayla sursauta si fort que ses épaules protestèrent, un muscle crispé claquant dans sa nuque quand elle leva la tête vers la source du bruit, un hurlement coincé au fond de sa gorge. Hurlement qui se transforma en rire hystérique quand elle avisa la silhouette d’un corbeau – aussi grand que son avant-bras – se détachant à quelques mètres d’elle. Perché sur une branche assez épaisse pour supporter son poids, l’animal de mauvais augure, aux plumes luisantes d’un noir ébène, la suivait de ses petits yeux à l’éclat brillant.

- Foutu piaf ! ronchonna-t-elle tout en massant sa nuque douloureuse. Et merde ! s’écria-t-elle quand sa jambe gauche s’enfonça jusqu’au mollet dans la boue nauséabonde.

Elle dut s’y reprendre à deux ou trois reprises pour se dégager dans un bruit de succion écœurant. Son jeans et sa chaussure étaient foutus. Mais ça lui apprendrait de jouer les fortes têtes ! Elle ravala une flopée de jurons, contourna la zone marécageuse en y allant à tâtons de la pointe de ses bottes et pila deux mètres plus loin. Son cœur s’emballa dans sa poitrine quand ses yeux se posèrent sur l’imposante bâtisse plongée dans la pénombre. Elle l’avait enfin trouvée !

Entourée de crevasses boueuses que Kayla imagina aussi profondes que larges, des arbres morts plantés tout du long, aucun chemin sec et sûr ne menait à elle. Haute de trois ou quatre étages, la vieille demeure donnait l’impression d’avoir été déposée d’un seul bloc par quelque magie dans cet endroit désolé. Du toit, la jeune femme ne discerna pas grand-chose à cause de la brume mais, s’il avait jadis été couvert de tuiles ou d’ardoises, il ne devait plus en rester une seule intacte tant le poids des années d’abandon faisait ployer la charpente qui formait une panse de vache. Un miracle qu’il fut encore debout. Une dizaine de fenêtres, hautes et étroites, découpaient la façade avant et le pignon de manière aléatoire et grossière. Et la peinture – qui avait dû être d’un blanc immaculé – s’écaillait et, telles des cloques éclatées, laissait entrevoir les lamelles de bois pourri.  

Tout en se demandant qu’elle folie avait bien pu pousser une famille à habiter cette bicoque isolée, Kayla tâtonna dans les poches de son manteau à la recherche de son téléphone portable. Les doigts engourdis par le froid, elle dut s’y reprendre plusieurs fois pour parvenir à le déverrouiller et ouvrir l’appareil photo. Un cliché. Puis deux. Puis trois et elle le rangea. Cela suffirait à prouver qu’elle s’était approchée d’assez près. Et, avec un dernier regard pour la sinistre bâtisse, tourna les talons et décampa, les jambes à son cou.

Ta description est vraiment parlante, ça glisse tout seul et ça s'harmonise bien avec la progression à travers bois de ton personnage.

J'ai aussi bien aimé les petits détails comme les ornières, le corbeau, les quelques arbres qui ont encore des feuilles... ça a mis une petite touche de vie dans les lieux en apparence sans vie

Hello Rambalh,

C'est très gentil à toi !

Les descriptions, ce n'est jamais évident, et j'essaie de m'améliorer !
Ton commentaire me fait donc vraiment plaisir !

Vaness271

Hello !
Bravo pour ton texte. C'est très bien écrit, le vocabulaire est super, les descriptions sont top. Juste un souci de rythme je pense, avec des phrases parfois trop longues, et parfois trop de phrases longues qui s'enchaînent. Ex de phrases longues :

Tout son paraissait incapable de percer l’épaisse couche de brume qui chutait depuis la cime des arbres nus et commençait à tapisser le sol jusqu’à hauteur de ses chevilles.

Un cri brisa le silence angoissant et Kayla sursauta si fort que ses épaules protestèrent, un muscle crispé claquant dans sa nuque quand elle leva la tête vers la source du bruit, un hurlement coincé au fond de sa gorge.

Merci pour ta participation !