La mort dans l'âme

Les murmures de la foule brouillaient l’esprit de Beves. Il se tenait au milieu de tous ces gens excités, serrant ses doigts autour du manche de sa hache. Pourquoi moi ? se dit-il en baissant les yeux sur sa victime. Pourquoi aujourd’hui ?

Davy - l’homme qui se trouvait à ses pieds avec les mains attachées – était condamné à mort.
Beves refusait de croire ce qu’il se passait. Refusait de tuer son ami. Mais la foule se mit à clamer, de plus en plus impatiente. Il serra le poing tandis que sa main qui tenait l’arme devint blanche.

C’était injuste. Davy n’était pas un meurtrier. Beves se souvenait parfaitement du drame, de cet homme qui massacrait cette pauvre fillette alors que Davy tentait de la protéger. Comment cet assassin avait-il pu faire croire que Davy en était l’auteur? Non, quelque chose n’allait pas.
Et Beves ne pouvait rien faire.

La frénésie de tous ces gens curieux le déstabilisait pour la première fois, et ils réclamaient la mort. Beves se tourna vers son supérieur qui hocha lentement la tête.

Chaque inspiration devenait difficile. La haine de l’injustice gonflait dans sa gorge et ses yeux se mirent à brûler. Il empoigna sa hache à deux mains et la souleva du sol, résigné. Son ami tremblait et pleurait en silence. Aucun des deux ne pouvait changer la situation.

En tant que bourreau, défendre Davy devant la justice l’aurait certainement condamné, lui aussi.

J’aurais dû essayer, se dit-il en maintenant son arme. Je ne suis qu’un lâche.

L’arme était si lourde… Ses bras si faibles.
Davy tourna lentement la tête vers Beves. Ses yeux rougis laissaient transparaître son effroi, mais il ne dit rien, ne tenta rien. Il avait renoncé. Que pouvait-il faire d’autre, de toute façon ?

Beves ravala un sanglot et détourna le regard. Les acclamations de la foule se turent lorsqu’il leva sa hache. Dans un élan de colère, sa force se décupla. Je suis désolé. La lame s’abattit sur le cou de Davy dans un craquement sonore.

Les hurlements – de dégoût et d’exultation – raisonnèrent dans l’arène. Beves tituba devant la nuque sanglante de son ami et trébucha en arrière. L’acidité envahit sa bouche et lui déclencha un violent vomissement.
Mais peu importe, les gens avaient eu ce qu’ils voulaient. Leur justice. Ils se moquaient bien de connaître le véritable coupable. Ils riaient, applaudissaient.

Je suis tellement désolé…, songea-t-il en se relevant sur ses jambes chancelantes. Le paysage se mit à tourner autour de lui et manqua de le faire tomber une nouvelle fois. La haine et la tristesse accumulées dans sa gorge explosèrent et Beves sentit les larmes couler sans retenue sur ses joues.

Je vais le faire. Tenir ma promesse.

Le corps secoué de spasmes, Beves se traîna en direction des rangs de gardes, la poitrine prête à imploser. Ses pensées se perdaient dans la confusion, mais il savait quoi faire. C’était sa dernière volonté.

En le voyant arriver, les gardes le dévisagèrent d’un air interloqué. Les jambes de Beves cédèrent devant eux et les firent s’écarter dans un mouvement de vague. Il poussa un râle et amassa une poignée de terre en contractant ses poings.

— Qu’est-ce que tu fabriques ? lança l’un des gardes.

Il faut que je le fasse, s’encouragea Beves. Encore un effort… seulement un.

Il se releva à grand-peine et découvrit des visages perplexes et inquiets face à lui. Beves profita de leur hésitation pour sauter sur l’un d’eux et tirer une épée. Ils s’exclamèrent avant que plusieurs dégainent leurs armes et pointent Beves.

La courte épée en main, toutes ses émotions le désertèrent subitement. Il inspira, ignora les ordres des gardes et posa adroitement la lame sur son bras. Sa chair céda sous l’acier.