Senex [Atelier 2022-08-28]

— Ils ne pouvaient rien faire, Jo, la seule consigne dans ces moments, c’était de te confiner chez toi.

Jo ouvrait à peine les yeux. Les draps encore frais, serrés au maximum dans le lit, ne lui permettait qu’à peine de bouger. À quoi bon, il n’en avait plus la force.

— Laisse-moi voir la lumière encore une fois, au moins Laura. supplia Jo d’une voix faible.

Laura laissa échapper un hoquet. Jo ne s’était pas fait à l’idée d’avoir perdu la vue depuis plusieurs jours. Il lui avait déjà fallu plusieurs minutes, entre de nombreux radotages, pour comprendre que sa compagne était enfin à côté de lui. Il semblait avoir accepté cependant qu’il allait enfin mourir.

Laura s’approcha de Jo et dégagea de son front les rares mèches de cheveux blancs, dans l’espoir de le rattacher encore au monde. Ses yeux à demi-éteints se tournèrent vers sa main. Il afficha, dans un dernier effort, un sourire édenté.

— Ne t’en fais pas, Laura, tu es là, c’est déjà ça. Tu vivras encore une longue vie. Je n’ai pas eu de chance. Il ne faut pas que tu pleures, tu as encore tant de choses à faire.
— Trop de choses à faire ! Je ne sais même pas par où commencer ! répondit Laura entre deux sanglots.
— Prévenir les jeunes, les pousser à s’isoler. Il y a bien un moyen de l’arrêter, ce virus.

Laura n’osa rien répondre. C’était trop tard, même dans les coins reculés, on avait entendu parler de morts nombreuses. Mais Jo était reparti dans ses élucubrations. Faute d’espoir concret, ses croyances reprenaient le dessus.

— Et si jamais un miracle arrivait ? Et si je guérissais ?

Ce délire touchait les malades quelques instants avant leur mort, il paraissait. La main de Jo s’affala sur le bord du lit, alors qu’elle cherchait celle de Laura. Celle-ci s’effondra, à son chevet.

Elle ne savait pas combien de temps s’était passé, quand un son distant la ramena à la réalité.

Une voix, encore jeune, énonçait avec monotonie les nouvelles du flash info :

— Senex-27 : une nouvelle piste sur cette pandémie mondiale qui a élargi le club des 27 depuis déjà trois ans. L’institut de recherche de Detroit vient de tester un traitement sur des doctorants. Le résultat est encourageant, et tombe a point nommé alors que le niveau d’expertise des enseignants-chercheurs, faute de renouvellement des sommités, plonge depuis septembre.

Laura éteignit le poste. À quoi bon, ça faisait deux ans que les médias vendaient un traitement révolutionnaire, et rien n’a été concluant sur le long terme. Dans quelques mois, ce sera elle qui subira les premiers symptômes… la peau qui verdit et pèle… la perte soudaine de cheveux… Jo n’avait que 27 ans.