Atelier 20/03/2022 - Dans l'ombre de Saint-Germain

On m’appelle Rachid Narcharfy. Je suis né le 1er avril 1984 à Draguignan dans le Sud-Est. Enfin… né… tout le monde dans la famille affirmait que ma naissance était une blague. Tout petit, je n’ai jamais compris pourquoi on me disait ça. En primaire, j’ai cru comprendre. Jusqu’à ce jour…

Ça a commencé comme une journée ordinaire. Enfin, pas si ordinaire que ça, puisque c’était une rentrée. J’étais enfin au collège. Mes parents étaient au travail, et ils comptaient sur ma grande sœur pour m’accompagner. Malgré cela, elle n’aimait pas que je lui colle aux basques.

– Écoute Rachid, tu te débrouilleras comme je l’ai fait il y a deux ans ! dit-elle. Avec tes copains, ce sera le mieux pour éviter tous ces racistes, moi je peux rien pour toi !

Elle me lâcha pour retrouver ses amies. Elle avait très mal vécu sa rentrée de sixième. En effet, nos origines maghrébines ne nous avaient pas facilité la vie et, même si j’étais brillant et apprécié des maîtresses, plusieurs camarades, et leurs parents, me regardaient encore de travers.

Je me suis rapidement retrouvé perdu dans la masse. Il faut dire qu’en ayant sauté deux classes, c’était difficile d’être remarqué par les grands. Tout au plus, je devais laisser la place aux autres sixièmes qui ne me connaissaient pas, qui eux-mêmes étaient bousculés par les troisièmes et quatrièmes, le tout parmi des parents qui soit ne me voyaient pas, soit m’ignoraient, soit me regardaient avec dédain. Je ne pensais pas que le collège, c’était aussi monstrueux.

J’avais cependant attiré le regard d’un professeur. Peut-être qu’il comprenait le problème, d’être lâché dans la jungle, sans repères, la peur à chaque détour. Je lui souris, avant de me décomposer. Son regard n’était pas compatissant, j’en étais sûr. Il me regardait fixement, sans méchanceté, mais l’insistance avec laquelle il me suivait des yeux pendant que je cherchais un abri m’inquiétait.

Une main m’agrippa. Je sursautai :

– Eh, Rachid ! Faut pas avoir peur, c’est Pierre ! Tu as vu ? On est dans la même classe !

Pierre était un camarade de classe de primaire. On rigolait bien et il me laissait toujours jouer au foot, même si je n’étais pas le meilleur. Enfin un visage que je connaissais. Le calvaire prenait fin et, alors que la sonnerie retentissait, il me guida vers le groupe de sixièmes de notre nouvelle classe. Une professeure nous emmena dans une salle et chacun s’assit à côté de qui il voulait.

Elle se présenta à nous. Elle allait être notre professeure principale pour l’année de sixième. Elle nous expliqua ce qui allait se passer. C’était rassurant, finalement, avec un peu de travail, ce ne sera pas tellement plus dur que la primaire ! Il fallait juste que je me fasse de nouveaux copains, et ceux de cette classe, une fois calmes, ont l’air très gentils.

– Très bien, dit-elle, maintenant, il est temps de vous présenter les professeurs que vous aurez cette année. Ils viendront un par un. Nous allons commencer par M. Lenormand.

Je faillis me cogner contre la table en sursautant. C’était le professeur qui me fixait du regard dans la cour !

– Bonjour chers élèves. Je suis M. Lenormand, votre professeur d’histoire-géographie et d’éducation civique. J’attends de vous cette année que vous compreniez mieux les enjeux du monde d’aujourd’hui, afin que vous deveniez des citoyens pleinement conscients du fonctionnement de notre société. Nous débuterons l’année avec l’histoire. Il est important de reprendre cette matière afin que vous sachiez d’où vous venez.

À ces derniers mots, il me regarda dans les yeux. J’eus un mouvement de recul. Même parmi les professeurs, il pouvait y en avoir pour me renvoyer à mes origines ?

– Nous nous reverrons cet après-midi. conclut-il.

J’étais effrayé par cet homme. Je semblais l’obséder. J’avais peur qu’il me déteste, juste pour mes origines. Mais j’allais rapidement être fixé, le premier cours d’histoire allait arriver.

Étonnamment, il n’y avait rien à signaler lors de ce cours. M. Lenormand nous présenta le programme des prochaines semaines et commença par aborder quelques notions, avant que la sonnerie ne retentisse. Mais, avant que je ne parte, il m’interpella :

– Rachid, j’ai quelques mots à te dire.

Pierre me regarda, étonné.

– Et seul, il s’agit de choses personnelles. Pierre, tu peux laisser la porte ouverte.

Pierre partit, non sans me jeter quelques regards inquiets. Je baissai la tête en avançant vers le professeur, qui parla doucement.

– J’espère que tu sais pourquoi je te garde encore quelques minutes dans la classe.
– Parce que vous me détestez ?
– Comment ça ? Ah parce que je t’ai regardé ce matin ? Non, mais j’ai quelques révélations à te faire.
– Des révélations ?
– Oui, par rapports à tes origines.
– Vous n’aimez pas mes origines ?
– Au contraire ! Ça faisait presque dix ans que je te recherchais.

Je ne comprenais plus rien. Dix ans ? Je n’en ai que neuf ! Pourquoi me recherchait-il depuis tout ce temps ?

– Tu sais, Rachid, je peux lire en toi comme dans un livre ouvert. Tu te demandes pourquoi depuis aussi longtemps ?
– Vous me faites peur, dis-je en regardant la porte du coin de l’œil.
– Et si tu connaissais la raison, ça te ferait moins peur.

Je hochai la tête. Peu importe ce qu’il allait dire, j’avais besoin de comprendre !

– Le 1er avril 1984, tu n'es pas né, tu t'es réincarné.
– Pardon ?
– Depuis la mort du comte, je savais qu’il vivait encore ! Je recherchais quelqu’un qui serait sa réincarnation. Et c’est évident, cette réincarnation, c’est toi !