du sang et ça fait peur

Un éclair déchira le visage de la poupée. Son sourire sinistre avait semblé s’animer pendant un instant, avec ses dents mal découpées et sa langue rouge qui ressemblait à un morceau de chair au fond de sa bouche. Ses yeux noirs étaient deux pupilles cousues, dont un fil s’échappait. Impossible de savoir ce qu’elle regardait ou ne regardait pas.
- Tu ne vas pas encore pleurer, n’est-ce pas ?
Claire ne répondit rien, les sanglots agitant déjà ses épaules.
La jeune fille se tenait dans sa chambre, les jambes tremblantes à cause du froid. Lorsque sa fenêtre avait explosé, des éclats de verre étaient venus se loger dans ses bras blancs et avaient même entaillé sa chemise de nuit. Le sang n’arrêtait pas de couler depuis et elle restait là, tétanisée.
- Il va falloir que tu ailles voir, tu dois les aider, reprit Fak.
Une voix sinistre s’élevait de son corps de chiffon, étonnamment grave pour un corps aussi petit et vêtu d’un uniforme d’écolier. Des fils de laine épais lui servaient de cheveux. L’un d’eux avait pris un pli bizarre et s’obstinait à remonter sur le côté. Claire n’osait pas tendre la main pour le remettre en place.
- Ils ont besoin de toi.
Claire se tassa sur elle-même. Les bourrasques balayaient des feuilles mortes jusqu’à ses pieds et l’odeur de la terre humide empoisonnait ses narines. Des gouttes, aussi lourdes que des crachats, s’abattaient sur le domaine alors que la lune étouffait au milieu des nuages. « Une nuit où Satan se promène sur Terre », n’aurait pas hésité à dire sa nourrice avant de se signer.
- Mais j’ai peur ! Quelqu’un va sûrement venir nous aider, nous n’avons qu’à attendre…
- N’entends-tu pas leurs hurlements ?
Au même moment, des cris retentirent dans le château suivis d’un bruit de fracas. L’orage se propageait de couloir en couloir, le tonnerre résonnait dans les escaliers. La demeure entière s’animait au son de la rage destructrice. Et au milieu, ses parents hurlaient à s’en déchirer les cordes vocales. Sa mère était la plus pathétique, avec ses supplications inutiles et ses larmes qui résonnaient autant que ses cris.
- C’est un vrai massacre en bas. Tu ne peux pas les laisser comme ça, continua la poupée.
Les boyaux de Claire se tordirent. Elle allait être malade, elle le sentait. La nausée gagnait déjà sa gorge dans une traînée acide. Mais alors que ses jambes pouvaient à peine la porter, elle finit par s’emparer de sa poupée et se diriger vers la porte. Fak grogna lorsque le sang tacha ses habits. Claire essayait d’oublier à quel point son contact la dégoûtait.
La jeune fille colla son oreille contre le panneau et attendit un peu. Les environs de sa chambre étaient calmes, le massacre avait lieu plus loin. Elle glissa un œil dans l’entrebâillement et constata que le palier était désert. Des copeaux de peinture et de boiseries parsemaient la moquette alors que la poussière dégringolait dans un voile. Les combles n’allaient pas tarder à s’effondrer si la tempête ne s’arrêtait pas. Il fallait faire vite, elle pouvait sentir le corps de la poupée se tendre d’impatience. Sur la pointe des pieds, elle s’approcha de la volée de marches. Des lézardes découpaient les murs. Claire passa sa main sur l’une d’elles, tellement profonde que ses doigts disparurent.
- Je pense qu’ils sont dans le salon, intervint la poupée pour la sortir de ses songes.
La maison trembla à cet instant et Claire fut propulsée contre la rambarde. Ils auraient pu être sous le feu des bombes, l’atmosphère aurait été la même. Elle toussa, du plâtre dans les poumons. Sa main n’avait pas lâché Fak, même si la tentation de l’abandonner là, en plein chaos, tandis qu’elle rentrerait dans sa chambre était forte.
Elle descendit l’escalier qui menait au grand hall, alors que les secousses manquaient de lui faire perdre l’équilibre. La porte d’entrée avait été barricadée par des meubles imposants, impossibles à déplacer à moins d’être une escouade de titans. Des armoires empilées pêle-mêle, des buffets, et même le piano du salon ! Le ventre encore ouvert et les touches arrachées, il ressemblait à une carcasse d’animal.
- Qui est-ce qui a fait ça ? couina Claire.
Ses boucles brunes étaient devenues blanches. Elle ne distinguait pas grand-chose à cause de l’obscurité, mais lorsque son regard tomba sur le carrelage, elle manqua de s’effondrer. Une traînée de sang. Aussi large qu’une rivière.
Elle voulut remonter aussitôt, mais Fak l’en empêcha. « Tu es courageuse, tu peux le faire. Ils comptent sur toi », ne cessait-il de répéter le temps que l’adolescente se calme. La traînée partait de la salle de musique vers le grand salon, celui où ses parents tenaient leurs réceptions. L’ouverture avait elle aussi été obstruée avec des boiseries et des canapés. Un mince passage permettait de s’y rendre, mais Claire allait devoir ramper. De l’autre côté, c’était le noir absolu.
- Hors de question que j’y aille.
- Tes parents sont sûrement de l’autre côté.
- Mais tu as vu tout ce sang ? Ils sont morts.
Claire ne s’était même pas rendu compte qu’elle avait marché dans la trace rouge.
- Tu es venue jusqu’ici, maintenant passe là-dedans, dit Fak.
- Il fait bien trop noir là-dedans pour que je passe, dit Claire.
- Si tu n’y vas pas, tout ça ne s’arrêtera jamais et tu auras perdu ceux qui comptent le plus pour toi. C’est ça que tu veux ? Finir seule dans cette demeure en ruine ? Constamment harcelée par des cauchemars et terrifiée au point de devenir folle ?
Claire tenait Fak au niveau de ses yeux et avait presque oublié que c’était elle qui le portait. La poupée était animée d’une vigueur anormale. Lorsqu’il lui chuchotait des horreurs le soir, qu’il lui suggérait de partir loin de tous et de sauter d’un pont, il ne faisait que lui suggérer ces idées. Jamais elle ne l’avait connu aussi… autoritaire
La jeune fille se mit à genoux et se glissa dans le passage. Sa robe de nuit devint aussitôt poisseuse et alors qu’elle essayait d’ôter une mèche de cheveux de ses yeux, un peu de sang se faufila jusqu’à ses lèvres. Le goût salé la surprit mais ne la rebuta pas. Au contraire, elle se lécha les coins de la bouche pour récolter les dernières perles écarlates. Fak resta silencieux ; tant qu’elle avançait il n’avait rien à dire.
Une fois arrivée dans le salon, Claire tremblait moins. La tempête semblait s’être apaisée, un peu comme si elle était dans l’œil du cyclone. La pièce avait été débarrassée de ses meubles, laissant un grand vide au centre. Les fenêtres avaient été calfeutrées au point qu’on ne puisse presque rien voir. Seule l’odeur du sang lui servait de repère. Elle imbibait chaque objet, chaque molécule d’air. Claire en avait le tournis.
- Tu avais dit que mes parents seraient ici… reprocha-t-elle à sa peluche.
Elle avança d’un pas aérien, telle une ballerine au milieu d’un champ de bataille. Jusqu’à ce qu’elle se fige. Fak avait disparu de sa main. L’avait-elle perdu ? Elle se retourna. La poupée se trouvait assise à deux mètres.
- Tu ne pourras plus leur faire de mal maintenant.
Claire ouvrit la bouche de stupeur. Elle avait marché au milieu d’un cercle tracé avec du sang et orné de symboles. Le démon qui avait pris son corps était prisonnier désormais.


*pas fini la fin, j'ai tout précipité mais tant pis*

Du Christelle tout craché dira-t-on

"Du sang et ça fait peur" ... Ne change jamais, Christelle <3

Très bonne idée d'avoir choisi que l'un des deux personnages soit une poupée ! J'aime beaucoup la fin ! (et le titre ahah :') )

Bouahaha quand j'ai lu le titre, j'ai ri et je me suis demandée à quoi je devais m'attendre. A la fin du texte je le trouve presque mignon en comparaison de l'horreur que tu nous décris J'ai peur de comprendre ce qui est arrivé aux parents de Claire et j'aimerais bien en savoir plus sur Fak la poupée Atmosphère très glauque et descriptions toujours géniales, comme disent les autres du Christelle tout craché x)

Très beau texte