J'ai du sang sur les mains

J’ai du sang sur les mains. Voilà la phrase que je me répète dès le matin et qui m’obsède, jusqu’à ce qu’enfin, je m’endorme. Ces temps-ci, c’est encore pire. Solveig est absente depuis maintenant trois jours et son soutien morale m’aidait à ne pas sombrer. Quand je dis « sombrer », c’est pour ne pas utiliser le mot « suicide ».
Qu’aurait dit Solveig ?
Je rumine devant mon café. Elle m’aurait dit que je ressemblais à une mort vivante, flasque et inerte qui aurait besoin d’une bonne douche. Je ris à cette idée et décide d’agir.
Une fois propre et habillé, je ressemble enfin à une jeune adulte de mon âge. Je me regarde dans le miroir et plaque un sourire sur mon visage, au cas où ma fiancée se déciderait à rentrer. Ayant désespérément besoin de m’occuper l’esprit, je vais chercher le courrier.
Je découvre avec horreur une lettre du MI6. J’ai l’impression d’être dans un tape-taupe. Chaque fois que j’arrive à sortir la tête du trou, un morveux m’y renfonce avec son maillet.
Pourtant, je suis plus inquiète qu’en colère. J’ouvre l’enveloppe les mains tremblantes et je m’attèle à décoder le message, le cœur battant à mille à l’heure.
« Pourquoi n’étais-tu pas au rdv ? Je m’inquiète.
Prochain rdv le 28/08/18, 15h24
PS : J’ai caché le corps, ne t’en fait pas »
A la lecture des derniers mots je m’effondre et la scène s’impose à moi, comme au cinéma.
Nous sommes assises sur un banc avec mon acolyte, en pleine discussion. Nous n’avons même pas besoin de jouer le jeu tant notre conversation nous passionne. Du coin de l’œil nous apercevons la cible sur le banc d’en face. A ce moment-là, il m’est impossible de faire demi-tour mais j’ai réussi à faire abstraction de mes sentiments.
Je dis donc au-revoir à mon acolyte (pour de faux), et elle s’en va superviser les opérations plus loin. En réalité, elle servira plutôt de roue de secours si les choses tournent mal.
Je respire un grand coup et me lance. Je m’approche de l’homme avec un sourire timide en battant des cils. J’ai opté pour la technique de drague comme approche, et cette prestation pitoyable m’aurai bien valu quelques fous rire avec Solveig si l’opération ne s’était pas déroulé de cette façon. L’homme, visiblement attiré, me sourit en retour et entame la discussion. Je m’assis donc, soulagé, à côté de lui et joue le jeu, bien que cela me répugne. Au bout d’une dizaines de minutes, je sens que le moment est arrivé.
- Voulez vous que je vous offre un verre ? propose-je d’une voix mielleuse
- Je ne préfère pas, non.
J’aurai dû m’en douter, ce criminel ne se serait jamais laisser empoisonner aussi facilement. Alors je laisse le temps passer et la cible se détend. Quand il se lève, je crois que j’ai laissé passer ma chance mais il me tend une main.
- Souhaitez-vous faire une promenade damoiselle ?
- Volontiers, même si je préfèrerais mener la marche, damoiseaux.
J’accompagne mon jeu d’acteur avec un petit rire niais. Contre toute attente la cible accepte, ce qui me permettra de l’emmener dans lieu loin des regards. C’est presque trop simple. Nous entrons dans la forêt et nous rapprochons de plus en plus. Subitement, il s’arrête et se tourne vers moi :
- Je veux que tu le saches maintenant, je vais être jugé pour agression sexuel et homicide mais ils se rendront compte qu’ils…
Je lui coupe la parole en plantant un couteau dans son cœur puis le retire vivement. Sous la force de mon coup, je chancelle. La cible me regarde, hébété, mais je n’ai pas le courage de croiser ses yeux. Je l’entends s’écrouler. Quand enfin, je ne perçois plus sa respiration, je pose le couteau dans sa main encore chaude, pour que l’on croit à un suicide. Je ne peux m’empêcher de jeter un regard au cadavre. Il y a du sang. Partout.
Incapable de plus, je m’enfuis et rentre chez moi, donnant le bébé avec l’eau du bain à mon acolyte. (Peut-être aurais-je pu dire « l’homme avec le bain de sang » ?)
J’attends que l’écho de la porte claquée me revienne pour m’effondrer. Allongée sur le sol en position fœtale, ma respiration se bloque et des torrents de larmes coulent sur mes joues. Une douleur insistante traverse ma gorge jusqu’à mon ventre.
Mes sens semblent avoir trouvés une acuité nouvelle. Je perçois les battements de mon cœur, écoute les secondes passer, entends les pas de quelqu’un dans le couloir d’entrée, sent l’odeur des larmes et du sang sur mes mains. Ma conscience s’extirpe de mon corps, lui permettant de m’observer. De là où se trouve ma conscience, je semble si faible et minuscule. Cependant, je suis paralysée et ne peux rien faire, à part me ressasser les récents événements.
Les bras de Solveig m’entourent et je me rends compte que c’est aussi le cas dans le présent. Sa chaleur me ramène doucement à la réalité. Enfin, elle est rentrée.

Ah ça doit pas être facile de faire justice soit même. Je comprends le choc du personnage après avoir tuer sa cible. Peut-être un peu rapide comme fuite, après c'est un texte court donc c'est normal d'aller à l'essentiel.
"Je veux que tu le saches maintenant, je vais être jugé pour agression sexuel et homicide mais ils se rendront compte qu’ils…"
J'aime bien cette phrase parce que je me demande ce qu'il allait dire après. Si il est finalement innocent ça rend la scène encore plus choquante. Bravo !

Hello !
Merci pour ton texte plein de mystère, j'ai beaucoup aimé cette manière qu'elle a de le tuer mais aussi sa phrase interrompue.
L'état second est aussi bien rendu j'ai trouvé.
Bravo ^^