De sel et de sang

Les flammes lèchent son visage, et la chaleur l’extirpe de sa léthargie. Clara ouvre les yeux et perçoit la carcasse d’un véhicule flambant. Instinctivement, elle essaie de se redresser pour s’éloigner. La douleur tord les traits de son visage. Tout son corps la lance, et elle rampe pour échapper à l’atmosphère étouffante de la fumée noire. Elle ne saurait dire si ce sont les côtes cassées ou les brûlures qui la tourmentent le plus.

A bout de souffle, mais hors de portée du danger, elle s’étend sur le dos. Le soleil la surplombe, et rien ne l’en protège ; la visière de son casque a disparu. Les grains de sels s’immiscent dans ses plaies. Rien ne va, et elle n’a aucune idée de ce qu’il s’est passé. Que faisait-elle dans cette voiture, perdue dans la vacuité ?

La peur la saisit aux tripes : il n’y a absolument rien autour d’elle. Seulement du sel, à perte de vue, sous un cagnard l’asséchant. Elle n’a pas le choix, elle est obligée de réussir à prendre sur elle pour progresser vers la civilisation.

« Putain… »

Elle grommelle alors que son corps entier la rappelle à l’ordre. Elle a clairement été éjectée du véhicule lors de l’accident… Comment a-elle fait pour conduire aussi mal en ligne droite ?

Elle crie de douleur alors qu’elle se remet sur pieds. Elle n’a pas d’autres choix que de serrer des dents. Une force surhumaine l’anime, et elle compte bien profiter de ce coup d’adrénaline pour s’extirper au mieux de ce merdier. Son regard balaie la scène, à la recherche de traces de pneus ; avec un peu de chance, elle n’aurait qu’à remonter la piste pour être secourue. Mais le vent a déjà balayé cet espoir.

Pas le choix, il va falloir parier sur la bonne direction.

« Avec un peu de chance, j’ai été propulsée vers l’avant… »

Elle contourne la carcasse en feu pour se trainer d’un pas lourd à travers l’infini désert blanc. Qui a donc eu l’idée d’emmener une voiture dans cet endroit ? Si c’était elle, la voilà bien bête.

Chaque enjambée lui coûte ; l’impact au sol rebondi dans tout son corps, et lui soutire une grimace de douleur. Même respirer est une expérience désagréable ; le sel porté par le vent s’engouffre dans ses narines, la forçant à éternuer pour libérer son nez.

Durant ce périple, Clara s’éclate la face au sol plusieurs fois. Chaque chute lui arrache un cri de frustration et un râle de douleur. Est-ce qu’elle va finir sa vie ici, au milieu du néant, sans même comprendre pourquoi elle s’y était rendue ? Les quelques miettes d’espoirs lui restant s’effritent à chaque tentative échouée de se redresser.

La chaleur et la déshydratation commencent en plus à jouer avec ses nerfs ; la douleur n’en devient plus qu’une information de fond, comme si un bruit blanc de télévision bouchait ses oreilles. Des formes colorées dansent dans ses yeux. Le monde a un goût de sel, de larmes, et de sang. Dans le ciel, le soleil prend la forme d’un volant, qu’elle agrippe de ses deux mains. Les quelques personnes présentent l’applaudissent, et tout ceci ne devient qu’un songe du moment où elle écrase l’accélérateur de tout son poids.

Elle perd pied. Le ciel lui expose désormais tout le projet qu’elle avait tant de mal à faire remonter à sa mémoire ; le lac salé de Bonneville, sa belle voiture modifiée pour l’occasion, et une tentative de l’emmener au bout du monde et de prendre des vitesses que jamais elle n’aurait cru un jour atteindre. Puis arrive la défaillance du moteur, la perte de contrôle. Pourquoi avait-elle décider de se lancer hors concours ? Par quel excès de confiance en elle avait-elle jugé bon de tenter une folie pareille sans secours pour la ramasser en cas de problèmes ?

Tous ses sens se mélangent, elle n’est désormais plus qu’une boule de sensations diffuses et confuses. Les abysses la saisissent alors qu’au loin, la camionnette de son compagnon vrombit. Il venu s’assurer que tout va bien. Elle reconnaît le crissement des freins, qui est suivi d’un claquement de portière.  

-Je suis désolée, murmure-t-elle difficilement, alors que les dernières forces de son corps s’évaporent.

Une main attrape la sienne. Son souffle ralentit, jusqu’à n’être plus qu’un mirage.