La painpauté
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Colombe
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Date d'inscription : 14/10/2021
Localisation : Langres

N'aie pas peur du noir Empty N'aie pas peur du noir

Dim 30 Oct - 0:09
N’aie pas peur du noir

Grand-mère disait toujours : « N’aie pas peur du noir. Si tu ne peux pas voir ce qui s’y cache, on ne t’y voit pas non plus. »

Plus facile à dire qu’à faire.
La petite fille s’était blottie dans un recoin de la pièce, les bras enserrant ses genoux. Elle voulait juste sortir d’ici. S’échapper de cette vieille maison qui grinçait et craquait. Elle tira sur la chaine cadenassée au radiateur.
Elle aurait voulu aussi savoir qui l’avait attachée là comme un animal. Et pourquoi ? Pourquoi elle ? Pour quoi faire ? Grand-mère disait souvent qu’elle posait trop de questions. C’était vrai. Ces réponses étaient inutiles pour l’instant. La priorité était de se débarrasser de cette satanée chaine.
Il faisait trop sombre pour distinguer plus que la silhouette grossière des meubles. A genoux, elle fit courir ses mains sur le plancher à la recherche d’un outil, quelque chose, n’importe quoi. Elle avança pour explorer la pièce. La latte sur laquelle s’appuya grinça dans une plainte de clou rouillé. Elle se figea, tandis l’oreille. On ne pouvait peut-être pas la voir dans l’obscurité, mais on pouvait l’entendre… Après quelques seconde, un pas lourd monta l’escalier. La clenche s’abaissa lentement, les gonds crissèrent.
La petite fille se recroquevilla sur elle-même. La lumière soudaine et puissante d’une lampe torche l’aveugla soudain. A contre-jour, son geôlier était indiscernable. Elle cacha son visage dans ses bras, ramenant ses jambes sous elle. La chaîne qui reliait sa cheville au radiateur se tendit et tinta. Le geôlier ne dit pas un mot. Toujours sur le pas de la porte, il laissa le faisceau de la lampe glisser sur l’enfant, sur la chaine solidement accrochée. Puis il tira le battant sur lui et s’en alla.
Le visage dans les mains, la petite fille reprenait son souffle par petites inspirations saccadées, la panique lui enserrant les côtes, retenant les cris qu’elle n’osait pas pousser. Pour rien au monde elle ne voudrait qu’il revienne. Quand sa respiration redevient à peu près normale, elle reprit son exploration, penchée en avant, les mains courant fébrilement sur le bois du parquet.
Ses doigts palpèrent alors une substance moite et visqueuse. Son estomac se contracta, et elle manqua de vomir. Elle resta un instant, les mains levées devant elle sans pouvoir les voir, avec cette chose gluante qui dégoulinait le long de ses phalanges.
Prise d’une inspiration soudaine, elle retira maladroitement sa chaussure et sa chaussette, puis ramassant de ce liquide visqueux dans le creux de ses paumes, elle badigeonna sa cheville et l’espèce de menotte qui la retenait prisonnière. Puis se contorsionnant, poussant, tirant, se râpant le talon, s’écharpant le pied, elle parvint à se libérer.
Elle laissa échapper un long soupir de joie contenue, tout en essuyant mains et cheville dans un pan de son gilet. Sa chaussette à nouveau à son pied, ses chaussures à la main, elle se releva et s’avança avec d’infini précaution, prenant soin d’éviter la zone de la substance visqueuse. Elle savait deux choses : la porte n’était pas verrouillée et il y avait un escalier derrière.
Elle ouvrit le battant millimètre par millimètre, se pétrifiant dès que les gonds grinçaient. Le geôlier pouvait surgir à n’importe quel moment, la précipitant vers un funeste destin. De l’étage inférieur montaient une voix, des bruits métalliques, et des crépitements. Dès que l’ouverture fut suffisante, elle se glissa sur le palier. L’escalier était plongé dans le noir. Tant mieux. Maintenant qu’elle était libre, l’obscurité serait sa cape d’invisibilité. Grand-mère avait raison.
Une marche après l’autre, elle descendit, légère sur les vieilles planches vermoulues. La voix, les bruits, étaient de plus en plus proches, de plus en plus forts, mais elle n’avait pas d’autre issue que le couloir devant elle. Sur sa gauche, une porte était entrebâillée, de la lumière dansante et orangée s’en échappait, drapant les murs du couloir. Elle approcha son œil.
Son regard fut d’abord attiré par une grande coupe en métal qui servait de brasero, des flammes s’élevant au centre de la pièce. La fumée s’accumulait contre les poutres du plafond, évacuées en partie seulement par une fenêtre entrouverte. Puis dans le coin de plus éloigné, le cadavre d’une chèvre gisait, les quatre pattes tendues, les yeux vitreux et la langue coulant de la gueule ouverte. Un homme, de dos, entra dans son champ de vision. Peut-être aurait-elle dû se reculer, mais elle était hypnotisée par cette étrange mise en scène. L’homme marmonnait, chantonnait presque. Des mots dans queue ni tête, des paroles saccadées, crispantes, comme une mélopée malsaine. Il s’inclina, torse-nu, devant la statuette représentant une créature, mi-humaine, mi-bouc. La petite fille vit des signes peints sur sa peau avec de la peinture rouge.
De la peinture rouge. Son regard se fixa encore sur la chèvre et sa gorge tranchée. De la peinture rouge. N’est-ce pas ? L’homme se tourna alors vers les flammes et la petite fille pu voir son profil.
Tonton ? Elle se fondit dans l’ombre du couloir, invisible. Une vague de dégoût nauséeuse la submergea. Elle se sentit sale rien qu’à la pensée que ce que cela pouvait signifier. Elle avait un mauvais goût dans la bouche, la bile lui remontant de l’estomac. La fumée lui piquait les yeux et une grimace écœurée habillait son visage.
L’oncle jeta de la poudre dans le brasero et les flammes montèrent haut vers le plafond, vertes, bleues et violettes. Le crépitement fut si sonore que la petite fille en profita pour décamper, ses petits pas résonnant dans le couloir. Elle n’en pouvait plus. Il fallait qu’elle parte de là.
Pendant une seconde, elle pensa qu’elle s’en sortirait. Puis le lourd pas de son oncle galopa à sa suite. Une porte, là, juste au bout du couloir. Les talons qui frappent le plancher. La poignée, là, juste à portée de main. De gros doigts souillés de sang qui effleurent ses cheveux. Et le pêne de la serrure, là, bien tiré, verrouillé.
La petite fille poussa, tira avec ses bras malingres, impuissante, sentant déjà la peau de son oncle contre la sienne. Alors, comme lorsqu’elle faisait un gros caprice, elle se laissa tomber par terre pour échappait à l’adulte qui voulait la contraindre. Au sol, elle se faufila entre les jambes de l’homme, bondit et, levant son bras devant son visage, se jeta contre la fenêtre la plus proche. Dans un grand fracas de verre brisé, elle traversa la vitre et roula sur dans l’herbe folle du jardin. La peau ensanglantée, piquetée d’éclats, elle se releva en haletant. Le vent lui frappa le visage. Devant elle, une forêt de sapins sombres s’étendait à des kilomètres à la ronde, déchirée par une unique route mal goudronnée.
Elle fit un pas, deux, puis boitillant, elle clopina vers la route. Trottinant, ses pieds dans ses chaussettes se déchiraient sur les graviers grossiers. Derrière elle, elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir. Elle redoubla d’efforts, ignorant la douleur, voulant à tout prix gagner l’ombre salvatrice des grands sapins pour espérer y disparaître.
Là, au milieu des arbres, deux phares percèrent la nuit. La petite fille se rua devant la voiture qui dérapa dans un crissement de freins. La portière s’ouvrit à la volée. Une sombre silhouette filiforme s’extirpa du véhicule. La petite fille frémit, ses petits poings serrés, tremblant contre ses cuisses.
Puis la silhouette s’avança dans la lumière des phares. La petite fille reconnut d’abord la fourrure de son manteau, puis le visage ridé encadrés de boucles blanches.
- Grand-mère ! cria la petite fille.
Elle se précipita dans les bras ouverts de la vieille dame qui la serra contre son cœur. Les larmes débordèrent et se déversèrent dans la fourrure du manteau.
- J’étais enfermée… et puis, il y avait une chèvre… et puis…
- Chut, je sais, je sais.
La petite fille releva les yeux vers le visage serein l’aïeule.
- Comment… ?
Sa voix de petite fille se brisa. Grand-mère posa sa paume contre la joue de l’enfant. Sa peau fripée était douce et chaude.
- C’est dans le Contrat, ma chérie. Comment penses-tu qu’on est devenu aussi riche ? Et pourquoi crois-tu que tu as autant d’oncles et de tantes ? J’ai encore dix-huit autres petits-enfants à aimer et à choyer. Il faut y aller maintenant, mon ange. Nous n’avons que jusqu’à minuit, l’heure où les ombres sont les plus sombres.

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