Atelier 27/02/2022 (dialogue 4) - Réunion anonyme

Le matin venait de se lever sur le Palace. Le breakfast était déjà servi et les plus matinaux s’affairaient déjà, soucieux de profiter de la vie luxueuse du plus grand hôtel du monde et de digérer le bacon.

Dans la mezzanine du hall d’entrée du Palace, trois vielles dames, le regard perdu auprès d’un panneau, semblaient chercher quelque chose. Le bruit assourdissant de leur discussion résonnait dans le hall et faisait râler les habitués du Palace qui lisaient le Palace Magazine du jeudi. Un vieux groom alla à leur rencontre :

– Mesdames désirent-elles une information ?
– Ah ! se réjouit l’une d’entre elles. Qu’est-ce que ce séminaire, « A. A. Lulu » ?
– Ah, Madame veut parler du séminaire des Arts comiques Anonymes Lulu.
– Mais, demanda une deuxième, de quoi s’agit-il ? Depuis 20 ans que je passe mes vacances dans ce Palace, je n’ai jamais entendu parler de ce séminaire !
– Pour ce qui est de ce séminaire fantasque, je ne peux que m’en remettre au groom chargé de l’organisation des séminaires anonymes. Alfred !

En trois secondes, montre à gousset en main, Alfred apparut, sans essoufflement, ni fatigue, ni sueur.

– Mesdames désirent-elles des précisions sur le séminaire des Arts comiques Anonymes Lulu ?
– Toujours là quand on a besoin de lui, ce brave Alfred ! En quoi consiste ce séminaire ? demanda la deuxième vielle dame.
– Oh, rien d’extraordinaire, Madame de la Hennessy. Nos cli… Les usagers du Palace… viennent en toute discrétion, avec des dialogues comiques de leur choix.
– Mais alors, pourquoi Lulu ?
– S’ils le souhaitent, Madame, il les interprètent avec les autres participants, deux fois. Ils l’ont donc, si Madame me permet l’expression, lu-lu. Et tout cela, bien évidemment à l’abri du regard et des oreilles des personnes de mauvais goût !
– Voulez-vous parler de ces nouveaux riches, qui arrivent à l’heure à chaque séminaire ? demanda La Hennessy.
– Ou encore ceux qui restent jusqu’à la fermeture ? demanda la première.
– La perspicacité de Mesdames les honore. Effectivement seuls ceux qui ont la bienséance de partir si le séminaire ne leur plaît pas ont leur place, dans un séminaire du Palace.

La troisième dame, qui jusque-là écoutait avec attention, prit enfin la parole :

– Et, rassurez-moi, Alfred, s’inquiéta-t-elle. Il n’y a aucun risque de tomber sur du… Kaameloft, est-ce bien le nom ?
– Ou cet auteur vulgaire ? Molière, de son nom ? renchérit la première.
– Oh, Mesdames n’auront aucune raison de s’inquiéter, nous n’acceptons aucun texte comique ultérieur au Maître Aristophane.
– Oh, cela a l’air très truculent et épanouissant ! se réjouit La Hennessy. Mais comment s’y inscrire ?
– Madame voudra bien m’excuser, mais si vous vous inscrivez, ce ne sera plus anonyme !
– Oh, quelle étourdie fais-je ! s’esclaffa-t-elle. Évidemment, alors j’assisterai à ce séminaire, mais anonymement, puisque c’est le séminaire des Arts comiques Anonymes Lulu !
– Alfred !

Le directeur du Palace, l’air déterminé, s’avança vers le groupe.

– Qu’est-ce que ce vacarme ? Et expliquez moi cette histoire ! Les Alcooliques Anonymes Glouglou ?
– Monsieur le directeur doit confondre. Les Alcooliques Anonymes Glouglou, c’était le mois dernier, souvenez-vous de la dégustation du brandy, du cognac Henri IV et de ce fameux Calvados 1944.
– Celui qui avait un goût de pomme ?
– Il y en avait Monsieur le directeur.
– C’est le seul souvenir que j’en ai.
– Dois-je rappeler sous quel meuble nous avons retrouvé Monsieur le directeur, à la fin de ce séminaire, après avoir appelé d’urgences les urgences ?
– Hmm… vous avez sans doute raison. Je vous prie de m’excuser, Alfred.
– Vous ne pouviez pas savoir, Monsieur le directeur.

Le calme revint enfin dans le hall du Palace.