Atelier émotions

Il est beaucoup trop tôt pour venir taper à sa porte, mais les coups frappés sont insistants. Il est cinq heures quand quelqu’un se présente chez elle. Encore endormie, emmitouflée dans sa robe de chambre – parce qu’une dame comme elle ne peut se présenter légéremment vêtue -, elle se frotte furieusement les yeux, et se regarde dans le miroir. Elle n’aurait pas dû – elle a la tête de ceux qui ont n’ont pas suffisamment dormi -, mais elle n’a pas le choix.

Derrière la porte il y a un homme.

Quand elle remarque son uniforme, elle sent que son coeur s’emballe.

Si la police débarque à une heure aussi impromptue, ce n’est pas pour annoncer qu’ils ont retrouvé un vélo subtilisé. Et elle sait ce qui se passe, elle sait au fond de ses tripes que les mots seront dévastateurs, en mal ou en bien, mais que la nuit sera pas reposante.

- Monsieur….Officier, le salue-t-elle, la voix vrillée par l’espoir face au visage de l’homme, est-ce que vous avez retrouvé mon mari ?

Le policier ne semble pas savoir où se mettre. D’une voix hésitante il prend la parole.

- Oui Madame, mais je suis désolé d’être porteur d’une mauvaise nouvelle.

Elle s’accroche au chambranle de la porte avec appréhension. Son peignoir a légéremment glissé, révélant un bout de peau qu’elle n’aurait osé afficher dans d’autres circonstances. Mais elle ne s’en préoccupe pas. Elle fixe le policier qui affiche une moue affligée.

- Madame, votre mari a été retrouvé mort. Je vous présente mes condoléances.

Il y a un moment de flottement, où le temps s’arrête, où le coeur manque un battement, puis encore un autre.

Elle se recroqueville contre le chambranle de la porte, le visage enfoui entre ses bras et le corps secoué par des spasmes. Le policier s’avance et met sa main sur l’épaule de la veuve – semble-t-il – éplorée.

Les secondes s’écoulent lentement, les sanglots ne cessent pas….les sanglots ? Plus le temps passe, plus le policier se rend compte que ce qu’il entend ne sont pas des pleurs.

- Madame, est-ce que vous vous sentez bien ?

Ce n’est pas ce qu’il aurait dit en temps normal, mais il sent que quelque chose cloche. Elle se relève et lui fait face, et les larmes qui s’échappent de ses yeux coulent sur ses joues et sur son sourire….un sourire ? Celui-ci semble incongru, voire indécent.

- Madame ?
- Dites moi, est-ce que vous êtes sûrs que vous ne vous êtes pas trompé de personne ?
- Malheureusement, ses papiers étaient sur lui, et sa photo correspond, je suis désolé encore une fois….
- Ah.
- Si je peux faire quoi que…..

Mais elle laisse échapper un rire, d’abord haché et décousu qui se mue ensuite en un rire à gorge déployé.

- Madame ?

Elle se jette précipitamment à son cou et l’étreint spontanémment, comme si elle le connaissait depuis toujours. Pas comme s’il venait de lui dire qu’elle venait de perdre son mari.

Quand ils se séparent – quand elle le lâche surtout -, elle arbore ce sourire des femmes heureuses. Et les larmes coulent encore sur ses joues, sur cet absurde tableau d’une femme vêtue de son peignoir, les cheveux enmêlées par la nuit et les draps, qui sourit pourtant à la triste nouvelle qu’elle vient d’apprendre.

Et puis il avise le bleu sur son bras, la marque d’un coup déjà lointain, l’ecchymose qui s’estompe presque, la trace d’un amour toxique et d’un quotidien infernal. Il n’est pas unique, ils sont partout et sans doute dans des endroits qu’il ne peut voir. Comme sur ce bout de peau que le peignoir ne recouvre plus. Comme sur sa joue, si faible, si dilué, qu’il ne l’aurait pas remarqué s’il n’avait pas fait attention.

Ses yeux retrouvent ceux de cette femme, et il se sent sourire malgré tout.

- Le cauchemar est fini alors ? lui demande-t-elle, comme si elle n’y croyait toujours pas.
- Il l’est Madame je vous le promets.

Très bonne expression de la joie dans ce texte! Mine de rien, je trouvais que c'était l'émotion la plus difficile à traiter vu le sujet et tu t'en es très bien sorti On comprend complètement la joie de ton héroïne après la révélation de fin, et le policier finalement qui comprend. Je le trouve très poignant ce petit texte, il arrive à faire passer beaucoup d'émotions en peu de lignes. Vraiment bravo à toi !

On sent bien la joie là ! J'avais aussi cette émotion, ce n'était pas facile à traiter. J'ai bien aimé ton style d'écriture, c'était un texte agréable à lire
La fin est à la fois triste (compte tenu de ce qui lui est arrivé) et joyeuse. Franchement c'était bien. Bravo !

Très chouette, bravo ! Mon idée était un peu la même (la femme battue, tout ça tout ça) mais tu as montré une émotion bien différente de moi et ça marche super bien. Bravo :-)

Bravo pour ton texte. Quand j' ai commencé à lire, je ne m'attendais pas à la suite. Bonne surprise. Quelques erreurs de construction, comme "sur son sourire….un sourire ?" Mais normal pour un atelier. Encore bravo.

Merci beaucoup pour vos petits commentaires, ça fait très plaisir ! C'est effectivement la joie.

Tu as merveilleusement traiter la joie, une émotion difficile à décrire. J'ai pris beaucoup de plaisir à te lire

Lupi a tout dit ! Très belle joie ! Bonne idée, l’histoire ! Ça me serait pas venue !