Le but du voyage

Le vieil homme referma sa lanterne ; il venait d’y placer sa dernière bougie. Il est temps de repartir, songea-t-il en resserrant sur lui les pans de sa cape bleu nuit. Ses genoux grincèrent lorsqu’il se leva du rocher poussiéreux sur lequel il s’était reposé, et il s’appuya lourdement sur son bâton. Il reprit sa marche à pas lents, seulement accompagné par le chant des cigales. Son souffle ne tarda pas à s’emballer de nouveau. Bientôt, il lui faudrait refaire une pause ; après tout, il était loin de la vigueur de ses vingt ans. Mais cela faisait bien longtemps qu’il ne s’était pas senti aussi apaisé.

La lueur d’un feu de camp apparut dans le lointain, et il hésita un instant. Il savourait trop sa solitude pour se mêler à un groupe. Mais d’un autre côté, quitter la route et s’enfoncer dans l’obscurité de la nuit n’était guère prudent. Il serait dans de beaux draps s’il se tordait la cheville, sans personne pour lui venir en aide ! Il se résolut donc à poursuivre sur sa lancée.
Une petite famille se pressait autour du foyer, et une odeur de viande grillée embaumait l’air.

« Bonsoir, les salua-t-il.
- Oh, bonsoir ! répondit l’homme, en le détaillant avec surprise. Vous voyagez seul ?
- Je suis encore en assez bonne forme pour cela, oui, sourit-il.
- Mais il est déjà bien tard ! Vous pouvez vous joindre à nous, si vous le souhaitez, proposa la femme.
- C’est fort aimable à vous, mais je dois continuer mon chemin.
- Pourquoi, vous allez où ? s’enquit l’un des enfants.
- C’est malpoli de demander ça, Ernold ! glapit l’autre. Maman, Ernold est encore…
- Maman, Beril m’embête encore !
- Chuuut ! Pour l’amour du ciel, quand cesserez-vous de vous battre, tous les deux ? Je suis désolée, Monsieur… Nos fils sont un peu turbulents…
- Pas de problème, assura-t-il en réprimant un rire. Et pour tout te dire, Ernold, je suis à la recherche de réponses.
- De réponses à quoi ?
- Aux questions de la vie. »

Le garçon fronça les sourcils, perplexe, alors que son frère se penchait vers son père et demandait – d’une voix qui se voulait discrète mais qui était loin de l’être :

« Euh… Papa, tu crois qu’il va bien le monsieur ?
- Beril !
- Quoi ? »

Le rire que le vieil homme retenait jaillit en hoquets enroués, alors que les parents se confondaient en excuses.

« Tout va bien, vraiment. C’est normal de ne pas comprendre, à leur âge. Vous verrez en grandissant, mes jeunes amis. De nombreuses questions s’accumulent, sur le monde, sur votre propre vie, sur le but de votre existence… Et vous n’avez pas toujours de temps de… prendre le temps pour y réfléchir correctement. Je l’ai enfin pris, ce temps. Je vous souhaite d’y arriver avant moi, mais mieux vaut tard que jamais. Je dois vous quitter, à présent. Ce fut un plaisir de vous rencontrer. »

L’homme bondit vers son chariot et en récupéra une gourde, des vivres et une poignée de bougies.

« Tenez, prenez de quoi continuer votre voyage.
- J’ai ce qu’il me faut, merci.
- Vraiment, j’insiste ! Ça me rassurera de vous savoir bien équipé. »

Il finit par accepter les bougies, dont il avait effectivement besoin, et prit enfin congé. Le calme l’enveloppa de nouveau après les cris des enfants, mais il ne regrettait pas cette rencontre. Croiser des gens aussi adorables lui redonnait foi en la nature humaine. Même s’il préférait la solitude, savoir que de telles personnes existaient lui réchauffait le cœur.



« Mais du coup, il va où, le monsieur, papa ? Pour trouver ses réponses ?
- Je ne sais pas, mon chéri. Il les trouvera sans doute en route. »