Le dernier voyage de Claire

- Ne t'en fais pas Claire, je crois voir une hutte sur cette dune. Tu vas pouvoir te reposer le temps de passer la nuit.

Ses roues s'enlisent de plus en plus. C'est qu'elle commence à fatiguer la demoiselle. Ça fait plusieurs jours qu'on erre sans que je la retape. Elle a plus l'habitude des longues excursions au soleil. Sa tôle branlante gémit sous les vibrations de son moteur. C'est peut-être bien notre dernière virée ensemble, avant qu'elle ne rende l’âme. J'ai pas trop envie de mettre ce sujet sur la table, elle pourrait mal le prendre. Je pense déjà à la prochaine moto qui pourra la remplacer. Quel compagnon indigne je fais. Dans mon esprit, elle a déjà lâché l'affaire. Tous les souvenirs ce que nous avons vécu ensemble se sont envolé. La faute à la chaleur, ça fait vaciller la mémoire.

- Mais non elle est pas habitée. Regarde comment c'est délabré. Au pire il y aura un vieillard complètement roussi qu'on aura aucun problème à réduire en miettes. Tiens, tu vois la bâche, si c'est pas beau ça. Tu seras parfaite là dessous pour dormir.

La montée de la dune nous a asséché plus que de raison. Claire ne fait que toussoter depuis quelques minutes. Une partie de son moteur s'est disloquée sous l'effort, laissant ses boyaux bouillonnants traîner dans le sable. Son râle ardent brûle mes jambes à travers mes vêtements. J'en viens à espérer qu'elle succombe, pour la libérer de ses souffrances.

- La, ça va mieux ? Ça devrait te protéger du soleil. Non, c'est pas si terrible, tu te fais des idées. Un bon coup d'huile de coude et tu seras remise sur pieds en deux temps trois mouvements. Suffit de trouver les outils pour t'arranger. Mais non, c'est pas la fin, regarde comme tu as fièrement monté cette colline. Même ta prédécesseure n'aurait pas fait mieux. Non pas Christine, Juliette. Tu sais la Yamaha bleue. Oui pardon, c’était pas pour te comparer. Fais pas ta jalouse aussi, la chaleur te fais raconter n'importe quoi. Bon, on va pas épiloguer mille ans, je vais voir à l’intérieur si je trouve pas des outils. Toi, tu restes là. Et à mon retour t'as intérêt d’être de meilleure humeur.

Ce qu'elle peut être caractérielle parfois. Ça faisait longtemps qu'elle ne m'avait pas fait une scène. La vieillesse aide pas, elle perd la boule. En plus, suffit que je la quitte quelques instants et elle me fait des crises de jalousie, de peur que je m'enfuis avec une autre. Elle a pas totalement tort. Si je lui trouvais une remplaçante là-dedans, je partirais avec sans aucun remords.

L’atmosphère dans la hutte est poisseuse. Ça sent l'humidité et l'encens. Le sable ne s'infiltre pas, le mobilier est entretenu. Le genre qui ressemble pas à une cabane de vieillard. Qu'est-ce que c'est que ce traquenard encore. Ma barre à mine me démange. Il y a un gusse qui vit la dedans, peut-être même deux. Et vu le tocsin qu'a fait Claire en arrivant ils doivent s’être caché, prêt à me sauter à la gorge. En temps normal j'aurais tourné les talons, mais il me faut de l'eau est un peu d'essence pour continuer ma route. Il n'y a pas grand-chose à attraper à proximité. Rien de comestible en tout cas. Si je veux trouver ce que je cherche, va falloir prendre des risques.

Le plancher grince dans la pièce d’à côté. Une petite tête hirsute émerge de l’entrebâillement de la porte.

- Vous êtes qui ? Allez-vous en.

Une femme ? Pas épaisse en plus. C'est une aubaine, je n'aurai aucun mal à la maîtriser. Il me faut avancer prudemment, rien ne me dit qu'elle est seule. Une minute, une femme qui vivrait seule ici, en plein milieu de nulle part ? Ok, c'est un piège. Si elle s'est montrée, c'est pour me faire baisser ma garde.

- Qu'est-ce que vous voulez ? De la nourriture ? De l'eau ? Abuser de moi ? Prenez bien ce que vous voulez, mais partez. Laissez-moi seule.

Je lui fais signe de s'approcher, qu'elle quitte la pièce dans laquelle pourrait se trouver son complice. Elle avance toute tremblotante, un couteau de cuisine à la main. Bizarre, elle prendrait autant de risques pour me faire commettre une erreur ? Un coup bien placé derrière les genoux la déséquilibre et j'en profite pour lui placer son couteau sous la gorge. Aucune réaction dans la salle adjacente. Ses pleurs m’empêchent de distinguer le moindre bruit. Je me rapproche lentement de la porte, le corps de la jeune femme collé au mien, prêt à réagir. Rien, la pièce est vide. Une petite cuisine tout ce qu'il y a de plus banal.

- Il n'y a que moi ici. Et feu mon mari. Lâchez-moi maintenant, vous me faites mal. Par pitié.

Elle s’écroule, sanglotante, au sol. Il n'y a vraiment qu'elle pour défendre cette maison ? C'est mon jour de chance. Je ramasse un sac qui traîne par terre et commence à le remplir avec tout ce qui me passe sous la main.

- Je ferais tout ce que vous voudrez, vous ne me ferez pas de mal, n'est-ce pas ?

Mais qu'elle est chiante celle-là, j'aurais du l’assommer. Le vent s'agite au dehors depuis un petit moment déjà. Depuis un peu trop longtemps d'ailleurs. Merde. Une tempête de sable. Fais chier. Et Claire qui m'attend dehors, je l'ai pas bien protégée. De toute façon c'est trop tard, je suis piégé avec cette pleurnicheuse. Elle commence à comprendre la situation dans laquelle on se trouve à présent tous les deux. Ses yeux s'emplissent de larmes. Ok, maintenant je l’assomme.

- Attendez ! Pitié attendez ! Je serais sage c'est promis, voyez, je ne pleure plus. Je serais douce, s'il vous plaît.

Fais chier, je vais finir par avoir des remords.

Aaaaaaah, le texte de la moto ! J'avais hâte de le lire après que t'en aies parlé dans le chat, et j'ai vraiment bien aimé ! Y a un ptit côté série Z d'horreur qui est vraiment sympa, bien joué

Ahah, content que ca t'ai plu !

Héhé c'est marrant, j'ai eu la même réaction que Céhah, "ah c'est l'histoire avec la moto !" Tu nous avais tellement bien vendu ça dans le chat Ben j'ai bien aimé, c'est super original parce qu'on le devine pas du tout avec le titre. Je ne sais pas trop si ton personnage est un peu un mercenaire ou juste un biker avec un fort caractère mais il m'a bien plu. Pauvre femme qui n'avait rien demandé à la base xD Et RIP Claire du coup, parce que je pense qu'elle ne va pas survivre à cette tempête de sable. Merci à toi pour le partage!

Bravo pour ton texte ! Bien écrit, bien rythmé, histoire originale et personnage bien planté. Peut-être est-on un peu trop dans sa tête plutôt que dans ses actions, mais ça reste très bien.
Merci pour ta participation