Une nuit à Metavoln

Il fait toujours nuit à Metavoln. Le soleil a depuis longtemps arrêté de couver cette cité tentaculaire. Il nous a laissé seuls, piégés au beau milieu de ces immeubles écrasant. Privé même du ciel, notre horizon se confine à la grisaille des volutes de pollutions. Ce serait une souffrance si on avait pas adapté nos corps à coup de bidouillages mécaniques. J'aurais préféré que mes poumons s’enflamment et que mes yeux s’assèchent sous l'air poisseux. Pouvoir enfin ressentir quelque chose. La nature a perdu ses droits à se venger de nous. Dieu est mort, l'homme a prit le relais.

Mazla m'a donné rendez-vous à 19h, au bar de Suza. Les lumières de la ville m'indiquent le chemin. Elles savent où je vais. Tout le monde le sait. Nous ne sommes qu'une colonie d'insectes guidés par les néons de couleurs clignotants. Des cris s’élèvent de la foule. Une bande de jeunes volent des motos. Ils beuglent à tue-tête pour se donner de la suffisance, se séparer de la masse. Personne ne fait attention à eux. Quelle importance, la ville les a déjà engloutis sans qu'ils ne s'en rendent compte. Tout modifiés qu'ils sont, devenus les bras armés d'une humanité sans repère. Dans quelques années on les retrouvera à vendre des cafés aux mêmes personnes à qui ils ont volé ces motos. Le temps aura bien vite fait d’étouffer le feu de la révolte en eux. Qu'ils profitent encore, tant qu'ils peuvent.

Il faut que je pense à acheter des luminaires à miroir. Cette publicité fait bien de me le rappeler. Me le rappeler ? Je ne me souviens pas qu'il m'en fallait. Bah, qu'importe, ça fera joli chez moi. C'est une bonne idée. Je pourrais les montrer à Mazla la prochaine fois qu'elle viendra chez moi. Elle me dit souvent que mon appartement est très impersonnel, que je devrais m'inspirer des revues de décoration dont elle arrête pas de me parler. Je me fous bien de ce qu'elle raconte. Qu'elle critique mon appartement comme bon lui chante tant qu'elle se laisse sauter. Elle a pas tout modifié de son anatomie encore, ça lui donne un certain charme. Mais une fois qu'on a goûté aux plaisirs que propose le sexe augmenté c'est dur de revenir au naturel. Parfois, il arrive que Mazla ne me fasse plus d'effet. Pour elle je fais l'effort de simuler, c'est la moindre des choses. Elle pourrait en pleurer.

Avant de la rejoindre faut que je passe au strip, histoire de me décharger. Le videur me fait signe de loin. La rue est très fréquentée, il connaît tout le monde. On discute souvent, une fois que j'ai fini. Il connaît tous les ragots, toutes les petites affaires. Les habitués aiment lui parler à cœur ouvert. Ça en fait du monde. Par ses manières il sait mettre à l'aise, en transformant les fantômes rigides des rues en enfants volubiles. Et puis c'est un grand romantique, il me donne des conseils de charmes, pour avec Mazla. Une boutique au centre-ville aurait ouvert selon lui, un sex-shop dernier cris. « Les femmes, faut les choper par les hormones », qu'il me dit « il y a bien plus que ça pour les stimuler ». Un séducteur hors pair. Ça tombe bien je suis en avance, j'ai le temps pour aller y faire un tour. Un petit cadeau c'est une jolie attention, les publicités Tarux sont du même avis que moi.

Dans ce coin de la ville, les rues sont toujours bondées. On se marche dessus. Ici, les bruits des voitures sont remplacés par des devantures sonores. Des femmes holographiques, voluptueuses, nous enjoignent à pénétrer dans leurs établissements. Les gens sont habitués, ils ralentissent même plus. Seul compte la destination. La boutique que je recherche se trouve sous l'arche Noé, la grande structure lumineuse que l'on peut apercevoir de partout dans la ville. Notre soleil à nous. Ils ont bien choisi leur emplacement, c'est immanquable. Depuis peu, le coin est infesté de rats. La ville met pourtant le budget pour s'en débarrasser. Mais depuis qu'elle a autorisé les commerces à s'y installer il y a recrudescence. Tout ça parce que les commerçants ont tendance à jeter leurs poubelles à même la rue. Dans 30 ans ce sera un dépotoir, comme ce qu'il s'est passé dans la basse-ville. Tout le monde le sait, personne ne fait rien. Au pire, on s'augmentera pour mieux tolérer.

Merde, maintenant je suis en retard. Je connais un raccourci, au travers de ruelles. C'est pas conseillé de traîner par là-bas, c'est plein de racailles et de décharnés. Ils aiment pas être dérangés dans leurs trafics. Augmentations illicites, drogues de synthèses, humains légumisés, il se vend de tout dans ces espaces cloisonnés à qui sait chercher. Alors quand ils voient passer quelqu'un qu’achète pas ils se vexent. La transaction a toujours lieu, avec ou sans le consentement. Ils me regardent passer, l'air mauvais, n'essayant même pas de cacher leurs marchandises étalées sur le sol. Il suffit de pas les regarder dans les yeux. De se rendre plus petit encore, presque disparaître. Ça grogne sur mon passage. J'arrive vite à sortir de ce bourbier pour me réfugier dans la foule qui me couve. Ici, dans l'invisible marasme, je redeviens une goutte dans l'océan. Un détail imperceptible noyé sous la froideur du bitume. À ma juste place, exactement.

J'ai beaucoup aimé ta façon de construire tout un univers en faisant aller ton personnage simplement d'un point A à un point B. Il y a pile ce qu'il faut de description des lieux pour relier au monde que tu mets en place.

J'ai eu l'impression de lire le premier chapitre d'un bouquin de SF, c'était vraiment cool à lire

Yo ! Bravo pour ton texte ! Il se lit très bien, le vocabulaire est bon, la création d'univers aussi. Tu as su donner des descriptions qui marchent bien.
Le petit plus pour moi, ça aurait été d'implanter davantage le personnage dans la scène, lui faire faire des actions, plutôt que de rester dans ses pensées/la vision qu'il a du monde.
Merci pour ta participation !

Merci pour vos retour, je suis content que ca vous ai plut !