Ville tu turfu

Lucius releva le col de son manteau avant d’inspirer une nouvelle bouffée de cigarette. La fumée dansa un moment devant son visage, mais il y en avait partout ici. Elle empoissait l’air, collait les immeubles qui grattaient le ciel. Elle s’élevait des bouches d’égout comme si un dragon vivait sous la ville. Un dragon qui ne dort jamais.
Les volutes diffusaient la lumière des néons, colorant l’air de nuances orange et bleu. Toutes les enseignes étaient encore allumées à cette heure, de l’entreprise de photocopies au strip-club plus loin. Les lignes électriques en surcharge balançaient des nuées d’étincelles en faisant grésiller les oreilles. Lucius sentit les poils de sa nuque se redresser. Il s’ébroua et jeta son mégot dans une flaque. Une flamme explosa à la surface de l’eau, avant de caresser le bitume dans des vagues langoureuses. Merde, il y avait sûrement de l’essence là-dedans. Des bidons cramaient un peu partout, Lucius aurait dû le sentir mais il traînait un rhume depuis plusieurs jours. Il s’éloigna rapidement du départ d’incendie et suivit la ligne de métro aérien qui traversait les bas quartiers telle une balafre.
Les trains faisaient trembler le sol ; les vibrations chatouillaient les chaussures avant de secouer le corps tout entier. Un crissement accompagnait la course des wagons contre le vent et les bourrasques agitèrent les pans du manteau de Lucius. Pendant une seconde, il tangua, happé par les bouches d’aération. Heureusement, les types qui l’attendaient au bout de la rue ne l’avaient pas vu.
Des motards. Le genre bad boy mais pas sexy. Leurs grosses bécanes tournaient avec la même puissance qu’un petit avion et ils étouffaient le quartier avec leurs gaz d’échappement. Et puis, quel bordel. Chaque accélération résonnait comme une charge de cavalerie et ils s’amusaient à tourner la poignée encore et encore, jusqu’à ce que des traces de pneu s’impriment sur la route. Bouteilles d’alcool planquées dans les vestes en cuir, bottines renforcées de métal… Lucius pouvait même deviner le flingue qu’ils cachaient dans leur pantalon. Il relâcha ses épaules en arrière et adopta une démarche plus légère. La bande s’était postée au milieu de la circulation, mais personne n’aurait osé passer par-là à cette heure de toute façon. Personne, à part ce type bizarre, posté sous un climatiseur à une cinquantaine de mètres. Il s’était solidement campé sur ses deux jambes, et fixait Lucius d’un regard sans âme. Un reflet rouge peignait son visage comme s’il partait en guerre. Etait-il l’un des acolytes des motards ?
« En retard, comme d’habitude ! » tonna Mickey, un mec à la gueule de mulot qui avait un talent certain pour creuser des trous dans les abdomens des gens. Son arme fétiche, un pic à glace, était floqué sur sa moto avec une danseuse enroulée autour.
Lui aussi fumait, des cigarettes brunes qui noircissaient sa peau et éteignaient ses yeux clairs. « Rat des champs » grogna intérieurement Lucius, avant de se concentrer sur la personne au milieu de la bande.
- Tu sais que je n’aime pas ce quartier.
- Tu sais que moi je l’adore.
Son interlocuteur était assis contre son bolide, une veste de costume posée négligemment sur ses épaules. Sean avait grandi ici, au rez-de-chaussée d’un immeuble moisi sur la droite. Depuis, le cloaque servait de squat pour les drogués et de support pour enseignes lumineuses. Les fenêtres avaient été bétonnées et le bâtiment ressemblait juste à un rectangle gris posé là. A côté des tours de verre un peu plus loin, il paraissait bien minable.
- Nous sommes amis, toi et moi, Lucius ?
- Bien sûr.
Sean se redressa, ses bottines hors de prix claquant contre le pavé dégueulasse.
- Pourtant, on m’a raconté des choses. Des choses que tu aurais faites et qui ne correspondent pas à l’image que je me fais d’un ami. Mais peut-être tu vas m’éclairer.
La température chuta de quelques degrés et un certain malaise commença à grimper le long de mon échine. Le métro aérien passa au même moment, hurlant dans tout le quartier. La déferlante de vent nous secoua tous, mais mes pieds s’étaient enracinés dans le sol.
- Des choses ? De quoi est-ce que tu veux parler ?
Il agita le doigt, comme s’il grondait un gamin qui réclamait une glace.
- Ne me prends pas pour un idiot, Lucius. Pas dans notre rue.
C’est ce moment que choisit l’homme auréolé de rouge pour intervenir. Il s’était déplacé silencieusement vers le groupe, sans même chercher à se dissimuler. La lueur pourpre en moins, il semblait bien moins impressionnant avec ses poches sous les yeux et les miettes collées à sa barbe. Pourtant, une assurance démente habillait ses traits.

Quand un psychopathe encore plus psychopathes que les autres entre en scène ! Dommage que le texte ait un goût d'inachevé... J'aime tellement cette écriture <3

Tu as vraiment un don pour les descriptions Christelle, c'est incroyable l'immersion qu'on a dès les premières lignes je m'y croyais vraiment. Un atelier magistral à nouveau, bravo à toi

J'ai vraiment aimé l'ambiance que tu décris, notamment à travers les divers personnages et leur attitude. On sent bien que tu sais faire vivre une scène en assemblant tous les éléments ensembles et c'est très agréable à lire, on se sent plongé dans l'histoire avant même de se rappeler qu'en fait, c'est juste un exercice de description : c'est construit naturellement quoi !

Attention, sur deux phrases vers la fin, tu es d'un coup passé à la narration en "je" avant de revenir sur ta narration initiale.

J'adore tes descriptions ! Elles sont super vivantes et le vocabulaire est parfaitement choisi pour nous permettre de nous immerger dans cet univers sombre et sordide <3