Une mort mouvementée

Je suis morte. Je suis morte. J’ai beau me répéter la phrase en boucle, je n’arrive pas à m’y faire et je tourne en rond, dans mon salon, seule. Il est vide, ma famille a tout récupéré il y a des semaines. Il fait noir, il fait froid. Du moins, j’imagine qu’il fait froid.

La semaine dernière, des gens sont venus. Heureusement, je les ai entendus à temps pour me cacher dans mon placard ! J’ai bien paniqué d’ailleurs, mes doigts passaient à travers la porte et je n’arrivais pas à l’ouvrir. Et puis, je me suis souvenue que si mes mains pouvaient le faire, mon corps entier aussi. Moquez vous si vous voulez, mais c’est quand même pas hyper instinctif !

Je ne sais pas combien de temps ils sont restés, à visiter, triturer, commenter chaque recoin de ma maison. J’entendais leurs pas, leurs voix, recroquevillée dans mon coin. J’avais si peur qu’ils me trouvent que je ne comprenais même pas ce qu’ils disaient. À un moment, ils ont ouvert l’armoire. Je ne vous raconte pas le cri que j’ai poussé. Ils n’ont pas réagi. C’est parfois pratique d’être un fantôme, j’imagine. Quand ils sont partis, j’ai recommencé à respirer. Enfin, pas à respirer respirer. Mais j’ai pu souffler, quoi. Oh, crotte à la fin ! J’étais soulagée, voilà.

Qu’est-ce que c’est que ce bruit, à l’entrée ? Une clé qui tourne dans la serrure ? Qui ose rentrer chez moi, encore ? Je vais leur faire part de ma façon de penser !

Le grincement des gonds me ramène à la réalité. On entre chez moi ! Vite, le placard !

— Maman, j’aime pas cet endroit. Il fait trop noir, pleurniche la voix d’une petite fille.

Ouvre les volets, patate ! Un rai de lumière sous la porte et le bruit d’un moteur m’apprennent que c’est fait.

— En plus, c’est tout vide et il fait froid.
— Ne t’en fais pas, on va ramener nos affaires et ça sera comme à la maison, lui répond une voix de femme.
— Tu vas même avoir une chambre plus grande, ajoute un homme.

Quoi ? Ils vont s’installer ici ? Et mon intimité, alors ? On ne m’a même pas demandé ma permission ! Si j’avais le courage, j’irais les hanter jusqu’à ce qu’ils déguerpissent, ces malotrus. Mais à la simple pensée qu’ils puissent me voir et faire appel à, je ne sais pas moi, un exorciste, j’ai l’impression que je vais vomir. Avec un peu de chance, ma peur sera contagieuse et ils vont se carapater vite fait bien fait.


Ils ne sont pas partis. Pire, la maman attend un enfant et reste à la maison H24. Encore pire, la gamine dort dans ma chambre. À deux mètres de mon placard. J’y passe le plus clair de mon temps, maintenant, cachée derrière un vieux plaid qui sent le pipi de chat. Je sais qu’il sent le pipi de chat parce que la gamine l’a dit juste avant de me le balancer à la figure, les narines froncées de dégout. Tu parles d’une vie !

Le chat, parlons-en ! Cette sale bête me voit, j’en suis sûre ! Les rares fois où je m’aventure dans la maison, il me fixe de ses yeux jaunes pendant des plombes. Et puis, il se lèche le derrière.

J’en ai marre, ça fait des jours que je me terre, j’ai besoin de me dégourdir l’ectoplasme. Papa est au travail, maman fait la sieste, gamine joue dans le salon avec le chat.

Je passe un œil au travers de la porte – j’ai pris le coup de main ! – la voie est libre. Membre par membre, je sors de ma cachette. Je peux enfin m’étirer. Ça fait du bien de voir la lumière !

Un mouvement, à côté de ma jambe. Non, dans ma jambe. Le stupide félin essaie de se frotter à moi ! Je savais bien qu’il me voyait !

Aussi surpris que moi, il saute en arrière et me feule dessus. Je fonce vers mon placard. Dans la panique, je heurte une panoplie de jouets qui trainent partout dans un boucan de tous les diables. Depuis quand je peux toucher des trucs ? Comment ça se fait ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tout part en cacahuètes ?

J’entends des petits pas précipités derrière moi.

— Qu’est-ce qui a caramel ? Qu’est-ce que tu fais ?

Et là, tout arrive en même temps. La gamine entre dans sa chambre. Le chat s’enfuit avec un « miaou ! » terrifié. Je me cogne sur la porte de l’armoire. Et plus rien n’a de sens. La pièce tourne, les murs prennent la place du plafond, le plancher devient un mur et je m’écrase au milieu des lego et des poupées.

Qu’est-ce qui m’arrive ?

Bon, procédons par étape. Déjà, se redresser. Je m’assois en tailleur sur le plancher et me frotte le genou. J’ai mal. Comment c’est possible ? Fichus lego ! Ils vont me pourrir la vie, même dans la mort ?! J’en attrape un pour le lancer contre un mur, tant je suis énervée. Sauf que… ma main le balaie sans le toucher.

Mais qu’est-ce qui m’arrive, bordel ?

J’entends un craquement, sur le parquet. Oh non, la gamine ! Je l’avais oubliée. Je lève un œil vers elle. De toute façon, elle ne peut pas me percevoir.

Alors, pourquoi elle me fixe comme si elle voyait un fantôme ?

Je la regarde. Elle me regarde. On se regarde. Elle pousse un hurlement strident. Je pousse un hurlement strident. Je bondis dans mon placard sans demander mon reste, traverse la paroi du fond, passe par la chambre parentale sans m’arrêter pour atterrir dans le salon.

La mère sort de sa chambre, affolée.

Vite, trouver une autre planque ! L’armoire à couverts ? Le meuble télé ? Le frigo ? Non, aucune de ces cachettes ne suffira.

— Qu’est-ce qui se passe ? Ça ne va pas de crier comme ça ?

La gamine court se refugier contre ses jambes.

Elle m’a vue. La gamine m’a vue, je ne peux pas rester ici. Les vivants me font trop peur ! Ils pourraient m’attraper et me… euh… forcer à… faire des trucs ! Ils pourraient me faire du mal, maintenant que je ressens la douleur. Il faut que je parte.

Avec un dernier regard pour cette maison dans laquelle j’ai passé ma vie, je cours vers la porte vitrée. Et me la prends en pleine figure. Encore ? Et le mur ? Pareil. La porte ? Idem. La fenêtre de la cuisine ? Itou. Pourtant, je passe à travers la chaise sur laquelle j’essaie de m’appuyer. Qu’est-ce que ça veut dire ? Je suis coincée ici ? Je suis coincée ici, avec une gamine qui braille qu’elle a vu un fantôme se casser la figure en essayant de s’assoir sur une chaise ? Pourquoi ma mort est-elle si désastreuse ?

La mère se tourne vers moi. Je n’ose plus bouger. C’est le moment décisif, je vais enfin savoir si un fantôme peut vomir de peur.

Son regard me balaie sans me voir. Ouf.

Elle rassure sa fille et la ramène dans sa chambre. La gamine hurle qu’elle veut partir. Si j’avais été vivante – et debout, mes jambes m’auraient lâchée.

Une question reste. Une question de taille. Qu’est-ce que je vais faire ?


J’ai élu domicile dans le placard des parents. Mes problèmes de consistance ne se sont pas reproduits. Ma théorie ? J’ai eu tellement peur que j’ai développé des supers pouvoirs. Ça n’a pas de sens, mais je n’ai aucune autre explication.

Je ne suis plus sortie depuis des mois. La gamine, elle s’est très vite remise. Pas moi. Chaque fois qu’elle fait un bruit, je sursaute et je tremble de trouille.

Jusqu’au jour où la mère pousse un cri de surprise :

— Chéri, j’ai perdu les eaux !

J’entends un branlebas de combat partout dans la baraque. En quelques minutes, ils sont tous les trois partis. Le moteur de la voiture vrombit. Un moment libre, enfin ? Euphorique, je sors de mon trou. La maison est à moi ! Je pourrais danser de joie ! D’ailleurs, c’est ce que je fais.

Oula, qu’est-ce qui se passe ? J’ai la tête qui tourne. J’entends des cris de douleur. La maison se trouble. Je suis dans un tunnel sombre, poisseux. Il faut que je sorte ! Une lumière aveuglante, là devant ! Je pousse sur mes pieds pour sortir. Victoire ! J’inspire un grand coup. La douleur me déchire les poumons ! Je sens des mains autour de mon torse, je suis nue, j’ai froid.

Mais qu’est-ce qui se passe, encore ?

Lupi : "Ce texte est spectraculaire !"
Rosa : "Je suis pas ultra fan de la chute, mais pour le reste j'ai adoré, c'était excellent !"
Lupi : "On voit la gagnante du concours ! Le texte est... goldé !"
Rosa : "..."
Rosa : "Amenez-moi un exorciste, j'en peux plus d'elle !"

Bravo pour ton texte
J'aime beaucoup ton fantôme, son incrédulité devant la situation et son caractère un peu peureux. Mais bon, qu'est-ce qu'on ferait à sa place?

Oh waouh bravo pour ce texte, j'avais vraiment l'impression de lire un roman ! Respect pour avoir écrit tout ça en 1h30, c'est vraiment excellent Le ton est juste génial. J'adore ce fantôme peureux alors que c'est clairement lui qui pourrait terroriser la petite famille qui s'est installée dans sa maison L'humour de ton texte est vraiment incroyable j'ai tellement ri ! Pour le coup, j'aurais bien voulu avoir une suite, ça m'intrigue ces problèmes de matérialisation on a envie de savoir d'où ça vient et pourquoi. Si un jour tu fais une suite, j'adorerais la lire Énorme bravo à toi encore une fois c'était super !

Waaaah, il est vraiment génial ce texte ! J'ai adoré cette fantomette peureuse qui se retrouve étrangère à sa propre maison ! Rien à dire, à part: t'as vraiment réussi à écrire tout ça ? XD Franchement bravo !

Rosario_gnd a écrit:Lupi : "Ce texte est spectraculaire !"
Rosa : "Je suis pas ultra fan de la chute, mais pour le reste j'ai adoré, c'était excellent !"
Lupi : "On voit la gagnante du concours ! Le texte est... goldé !"
Rosa : "..."
Rosa : "Amenez-moi un exorciste, j'en peux plus d'elle !"

   
Merci beaucoup tous les deux ^^
Moi non plus je suis pas ultra fan de la chute, je l'ai bricolée à 5 minutes de la fin quand je voyais que ça se concluait pas, cette affaire ^^'
(Héhé, j'ai toujours la petite enveloppe dorée, elle est sur mon bureau <3)

Ginevra a écrit:Bravo pour ton texte
J'aime beaucoup ton fantôme, son incrédulité devant la situation et son caractère un peu peureux. Mais bon, qu'est-ce qu'on ferait à sa place?

Merci beaucoup ^^
A sa place ? Je ferais mumuse avec les gens

Sayuri.K a écrit:Oh waouh bravo pour ce texte, j'avais vraiment l'impression de lire un roman ! Respect pour avoir écrit tout ça en 1h30, c'est vraiment excellent Le ton est juste génial. J'adore ce fantôme peureux alors que c'est clairement lui qui pourrait terroriser la petite famille qui s'est installée dans sa maison L'humour de ton texte est vraiment incroyable j'ai tellement ri ! Pour le coup, j'aurais bien voulu avoir une suite, ça m'intrigue ces problèmes de matérialisation on a envie de savoir d'où ça vient et pourquoi. Si un jour tu fais une suite, j'adorerais la lire Énorme bravo à toi encore une fois c'était super !

Merci beaucoup, contente que ça t'ait plu et tu aies ri   Le thème m'a inspirée, sinon j'aurais été incapable d'écrire un texte en si peu de temps ^^'

Y a pas de suite vraiment prévue pour l'instant, je me suis juste basée sur ce que j'ai pu voir sur les fantômes dans d'autres fictions : ils peuvent mieux interagir avec notre plan quand ils sont soumis à une émotion violente (ma source ? Supernatural XD et potentiellement Ghost, mais ça fait si longtemps que je l'ai vu que je m'en souviens plus vraiment)

Daikitumichi a écrit:Waaaah, il est vraiment génial ce texte ! J'ai adoré cette fantomette peureuse qui se retrouve étrangère à sa propre maison ! Rien à dire, à part: t'as vraiment réussi à écrire tout ça ? XD Franchement bravo !

Merci beaucoup Contente que ce texte t'ait plu ^^
Au début je voulais faire un dragon qui avait peur du feu, mais je sais pas pourquoi, mon cerveau est parti sur un fantôme qui avait peur d'une petite fille au tout dernier moment XD

Génial ! Déjà euh... Bravo pour avoir fait un texte aussi long et aussi bien écris en seulement 1h30. J'aime beaucoup le ton, c'est très drôle et en même temps c'est un peu triste pour le fantôme qui est bloqué à devoir supporter des gens qui s'installent chez elle !
Franchement très chouette l'idée du fantôme peureux.

Encore bravo

J'ADOOOOOOOOOOORE !!!!! J'étais éclatée de rire du début à la fin !

Je suis une fan de ce fantôme fantôme ! Il est si peureux et pourtant il n'arrête pas de penser et même de réfléchir. C'était vraiment super de lire toutes ses émotions !

Azulys a écrit:Génial ! Déjà euh... Bravo pour avoir fait un texte aussi long et aussi bien écris en seulement 1h30. J'aime beaucoup le ton, c'est très drôle et en même temps c'est un peu triste pour le fantôme qui est bloqué à devoir supporter des gens qui s'installent chez elle !
Franchement très chouette l'idée du fantôme peureux.

Encore bravo  

Merci ^^ je crois que j'aime bien les personnages désabusés et drôles malgré eux XD
Contente que ça t'ait plu ^^

saz_water a écrit:J'ADOOOOOOOOOOORE !!!!! J'étais éclatée de rire du début à la fin !

Je suis une fan de ce fantôme fantôme ! Il est si peureux et pourtant il n'arrête pas de penser et même de réfléchir. C'était vraiment super de lire toutes ses émotions !

Merci beaucoup ^^ je me suis bien éclatée à l'écrire !

Rosario_gnd a écrit:Lupi : "Ce texte est spectraculaire !"
Rosa : "Je suis pas ultra fan de la chute, mais pour le reste j'ai adoré, c'était excellent !"
Lupi : "On voit la gagnante du concours ! Le texte est... goldé !"
Rosa : "..."
Rosa : "Amenez-moi un exorciste, j'en peux plus d'elle !"

Non mais, je viens seulement de capter le spectRaculaire X'D Je suis morte XD

Hello ! Bravo pour ton texte ! Il se lit très bien, est bien rythmé, et la fin nous surprend. En plus, le trait de caractère est facilement identifiable, donc super.
Juste au début, j'ai eu l'impression qu'il y avait pas mal de verbes faibles. Et aussi, attention aux "j'entends" qui sont assez présents.
Merci pour ta participation !