Atelier n°2 du 30-01

Il était une fois un charmant petit royaume, où se trouvait une charmante petite forêt. Et dans cette charmante petite forêt, se trouvait une toute aussi charmante petite chaumière. On entendait le gazouillement des oiseaux, les feuilles se balançant au gré du vent… et des ronflements d’une puissance à faire pâlir le plus preux des chevaliers.
Car oui, dans cette charmante petite chaumière, se trouvaient des gens beaucoup moins charmants.
Ce matin-là, les rayons du soleil pénétrèrent la chambre la plus au sud, jusqu’à totalement envahir la pièce. Une partie des ronflements cessa, avant d’être remplacée par des grommellements tout aussi agréables aux oreilles:

- Satané soleil… Et satanés piafs ! On peut pas faire la grasse matinée dans des conditions pareilles ! “C’est la nature”, qu’ils disent ! J’t’en foutrais, moi, nature de…

La voix, étouffée par une grosse couette en laine, était aussi mélodieuse que les paroles étaient grossières. Une tête en émergea, puis le corps suivit, las, et se leva, sans conviction ni énergie. L’étrange créature envoya ses cheveux dorés en arrière, et ceux-ci retombèrent magistralement sur ses épaules et sur son dos. Elle frotta ses yeux endormis avant de se diriger vers la cuisine, tout en continuant de grommeler. Elle sortit un bol du placard, le remplit de gruau d’avoine et de lait froid de chèvre, et seule la première cuillerée l’obligea enfin à se taire.
Les ronflements cessèrent tout à fait. Le parquet en bois vermoulu se mit alors à trembler sous la force d’un tremblement de terre. Deux personnes de très grande taille firent irruption dans la pièce et prirent place à côté de la première créature. Le tremblement de terre s’arrêta aussitôt. La femme regarda la créature attablée et une expression de dégoût déforma ses traits.

- Je rêve chaque nuit que ta malédiction s’interrompe, et chaque matin, je te retrouve plus laide encore que la veille, déplora-t-elle. Qu’ai-je donc fait pour mériter ça ?
- Tu te rappelles pas ? ironisa son mari. T’as quand même…
- Oh, la ferme, le coupa-t-elle. On connaît très bien l’histoire. Et quand bien même, ça justifie pas ce que cette immonde Cunégonde a fait à notre fille ! Regarde-la, elle est difforme ! Personne voudra d’une mocheté pareille, personne !

La fille ne répondit pas. A quoi bon ? Tous les matins, inlassablement, sa mère répétait la même chose. De toute façon, elles se prendraient le bec à coup sûr s’il lui venait l’envie de répliquer quelque chose. Aussi continuait-elle à manger son gruau.

- Ca te fait rien, à toi, de finir toute seule ? Bah, bien sûr que non, Papa et Maman sont là pour subvenir à tes besoins ! Fainéante, va ! Oh, moi, je retourne me coucher, je sais pas ce qui me répugne le plus entre ton aspect et ton insolence, mais ça m’a fatiguée. Eh toi, interpella-t-elle son mari, essaie de la raisonner, par pitié !

La mère se leva, et le tremblement de terre reprit, jusqu’à ce qu’elle se remette au lit et qu’il fut remplacé par des ronflements.
Le père soupira, puis regarda sa fille.

- L’écoute pas, elle finira par s’y faire.

La jeune fille interrompit sa mastication et regarda son paternel:

- Tu sais bien que non. Seize ans que je suis née, seize ans que cette foutue malédiction me pourrit la vie, et seize ans qu’elle arrive pas à s’y faire. Elle s’y fera jamais, cette vieille peau.

Le père soupira de plus belle.

- Rhoda, tu… Tu n’as pas faim ?

Rhoda le fusilla du regard. Il avait changé de sujet pour ne pas avoir à lui dire que lui aussi la trouvait hideuse. Son regard s’adoucit aussitôt. Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Tout le monde la trouvait hideuse.

- Regarde, je suis en train de manger du gruau.
- Mais enfin, Rhoda… Tu sais bien qu’une jeune femme en pleine santé comme toi devrait manger au moins un rôti le matin…
- Je sais, mais ça aussi c’est dû à ma malédiction, tu le sais bien… Impossible d’avaler plus d’un bol…
- Quelle tristesse, déplora son père, quelle tristesse ! Ta mère et moi étions les plus beaux spécimens de notre génération. Elle était la plus belle et la plus forte des gens de notre village, la partenaire idéale pour moi qui étais le plus beau et le plus fort. Mais comme tu sais, ta mère a été trop… vaniteuse. Elle pensait pouvoir s’attaquer au roi sans conséquences. Et arriva ce qu’il arriva.

Rhoda ne connaissait malheureusement que trop bien cette histoire. L’histoire de sa malédiction.

- La fée Cunégonde, reprit-elle, vous a maudit, toi et Maman. Elle a baragouiné des bêtises du genre: “Votre enfant, bien que possédant un caractère à votre image, sera physiquement affligée de tout ce que vous avez toujours détesté.” Et me voilà.
- Et te voilà, répéta son père en essuyant une larme naissante.

Rhoda lui tendit sa grande serviette, et son père l’utilisa pour se moucher bruyamment. Elle débarrassa son bol et regagna sa chambre, laissant son père tranquille.
A peine la porte poussée, elle se posta devant son immense miroir. A sa grande déception, sa mère avait raison: elle était plus laide encore que la veille. Et il en était tous les jours ainsi. De longs cheveux dorés ondulés cascadaient sur son petit corps mince et frêle, encadrant un visage ovale et régulier, doté de deux yeux bleus comme des saphirs, de joues roses, d’un nez à peine retroussé et de lèvres légèrement charnues. Rhoda soupira avant de se mettre à pleurer. Quel spectacle affligeant. Elle finirait sa vie toute seule et tout le monde la pointerait du doigt. Elle ne voulait pas de ce destin. Elle n’allait pas se laisser faire.
Elle releva la tête, déterminée, et se décida à aller traire les chèvres. Peut-être que si on la voyait en plein travail, cela pousserait un des jeunes du village à passer outre son apparence peu ragoutante.
Rhoda s’activa, tant et si bien, qu’elle faillit en tomber dans les pommes. Mais elle ne voulait pas s’arrêter. Pas question. Si elle n’était pas belle, elle se devait d’être aussi forte et travailleuse que tous les autres.
Elle était tellement absorbée par ses activités qu’elle faillit ne pas entendre la voix qui s’adressait à elle:

- Mon Dieu, les rumeurs étaient donc vraies… une telle créature existe réellement.

Encore un gueux qui venait se moquer d’elle… Alors que Rhoda daignait lever les yeux vers lui, s’apprêtant à lui lancer ses plus beaux jurons, elle resta bouche bée de ne pas voir le type d’individu auquel elle s’attendait.
Devant elle se tenait un jeune homme à la laideur effroyable. Il avait les traits fins, androgynes, et cela donna la nausée à la jeune femme. Elle regarda à peine ses courts cheveux d’un noir ébène, pas plus que ses yeux en amande couleur émeraude, ni même que son sourire aux dents parfaites et éclatantes. Elle se retourna tant sa vue était déplaisante.

- Je ne voulais pas vous importuner, noble dame, s’excusa le jeune homme. J’avais ouï dire qu’une fée d’une beauté incomparable habitait ces bois, et j’ai voulu le vérifier par moi-même. Et je dois dire que ces rumeurs étaient bien en-deçà de la réalité. Je n’ai jamais rencontré aussi belle enchanteresse que vous, ma dame.

Rhoda hallucinait. Il avait du crottin de chèvre dans les yeux ou quoi ? Qu’est-ce qu’il racontait ?

- Aurais-je l’honneur de connaître votre nom ? demanda-t-il timidement.

Sa voix glissait tel du miel dans les oreilles et fit froid dans le dos de la jeune femme.

- Rhoda, répondit-elle sommairement, sans se retourner.
- Quel nom exquis ! Et quelle voix tout aussi exquise ! Ô ma dame, vous me comblez de joie !
- Et toi, t’es qui ? demanda-t-elle sèchement.
- Moi ? répéta le jeune homme, étonné. Allons, vous ne me connaissez pas ? Je suis le prince Gontran, voyons !

A ces mots, Rhoda se retourna, les yeux écarquillés. Elle examina le jeune homme et éclata d’un rire tonitruant.

- Toi, le prince ? Bah voyons, elle est bien bonne celle-là ! Et moi je suis la reine des fées !
- Ne riez point, je vous prie! se vexa le prince en rougissant.
- Arrête tes salades, qu’est-ce que le prince viendrait faire au village des ogres ?
- Au village des… je vous demande pardon ?

Le visage de l’autoproclamé prince se décomposa, livide. Ah, l’idiot, il n’avait même pas réalisé où se trouvait.

- T’es dans le village des ogres, répéta Rhoda. Comment t’as pu te perdre aussi loin du château sans même savoir où t’étais ? En plus d’être moche, tu respires pas l’intelligence…
- Je ne vous permets pas ! s’emporta le prince. Vous ne savez pas à qui vous avez affaire !
- Oh, t’inquiète, je te crois maintenant, une face aussi répugnante, elle peut appartenir qu’au prince de toute façon.

Gontran ouvrit la bouche, rouge de colère, avant de la refermer aussitôt. Puis de la rouvrir:

- Vous êtes pareille que moi de toute façon ! Vous aussi vous vous trouvez laide alors ?

Rhoda était estomaquée. Comment osait-il, cet avorton…

- Bah ouais, je suis laide, répliqua-t-elle, et alors ? Tout ça, c’est à cause de la malédiction de cette pu… cette Cunégonde de malheur !

Au cas où il venait idée au prince de lui faire trancher la tête, il valait mieux surveiller son langage. Les traits du prince s’adoucirent aussitôt, et il prit un air étonné:

- Marraine ? Qu’a-t-elle bien pu vous faire ? Marraine est gentille comme tout, impossible qu’elle vous ait lancé un sortilège.
- Ah bon, t’es sûr ? s’emporta Rhoda. Tu m’as bien regardée ?
- Oh que oui, toute la journée. Et j’ai vu à quel point vous étiez travailleuse. Et belle. Ce n’est pas une malédiction que vous avez reçue là, mais plutôt une bénédiction. Je voudrais même vous épouser.

Rhoda en fit tomber sa faux. Elle faillit en tomber à la renverse elle-même.

- M’épouser ? Mais t’es pas bien toi, c’est quoi ton problème, sérieux ?
- Vous ne voulez pas ? s’étonna le prince. Pourtant, n’importe quelle jeune fille serait ravie d’une telle proposition !
- Je suis pas une jeune fille, je suis une ogresse, abruti ! Tu vas quand même pas épouser une ogresse !

CE N'EST PAS LA FIN BIEN SÛR ! xD

Je kiffe tellement xD
J'adore les situations où tout est inversé comme ça !

Ahahah, c'est super ! J'adore moi aussi ! Le contexte est génial, ça peut faire une super histoire !

Bon, j'imagine que tu as baclé un peu la fin avec le temps et donc que tu as balancé la dernière phrase comme ça, mais je serais toi je révélerais pas qu'elle est une ogresse tout de suite ; à mon avis c'est dans le quiproquo que tu tiendras une histoire du tonnerre ! Il faut évidemment qu'elle profite de cet abruti pour se rapprocher de cette pu... de Cunégonde

Top bravo

Merci pour vos retours ! Je me suis vraiment éclatée à écrire ça haha !

En vrai, j'ai pas balancé qu'elle était une ogresse parce que j'ai manqué de temps mais juste parce que ça me venait, comme ça, mais tu as raison, dans ce contexte, entretenir le quiproquo jusqu'à la fin, ça peut être plus croustillant encore ! xD

EDIT: Ou alors l'abruti de prince la croit pas, et ce serait plus drôle encore xD

Fiona : "Je ne comprends pas... Ce baiser devait me rendre belle !"

Shrek : "Mais vous êtes belle, princesse..."

Même qu'une fois on m'a appelée Fiona...

Rosario_gnd a écrit:Fiona : "Je ne comprends pas... Ce baiser devait me rendre belle !"

Shrek : "Mais vous êtes belle, princesse..."

C'est exactement ce qui m'a inspirée haha !

lupinae a écrit:Même qu'une fois on m'a appelée Fiona...

Tu as un côté ogresse insoupçonné ?

Daikitumichi a écrit:
EDIT: Ou alors l'abruti de prince la croit pas, et ce serait plus drôle encore xD

Oui ça marche aussi

J'ai beaucoup aimé ton texte ! J'aime beaucoup le quiproquo et l'idée est vraiment bien pensée ! Ça m'a bien faire rire ! xD

Merci beaucoup Marie !

Il semblerait, je ne suis pas très gracieuse...

lupinae a écrit:Il semblerait, je ne suis pas très gracieuse...

Meuh non, même pas vrai j'suis sûre !

J'aime beaucoup comment c'est amené. Surtout la révélation où on comprend que ça prend à contrepied ce à quoi on pourrait s'attendre. Envie de connaître la suite aussi !

Je me suis laissée portée par ma lecture. Vraiment très intéressante ta façon de t'approprier les contes.
Et comme les autres, moi aussi j'ai envie de connaître la suite.

Merci beaucoup pour vos retours ! Je pense écrire la fin dans la semaine ^^

J'adore ! C'est tellement fluide à lire, et tellement bien ^^
Tu vas écrire la suite ?

Merci pour ton retour Escargot, ça fait super plaisir ! Oui, c'est prévu, même si je me maudis de pas l'avoir écrit à chaud, maintenant j'ai plusieurs pistes qui s'offrent à moi et je sais pas laquelle je veux le plus explorer xD

À chaud ça a ses limites aussi. J'étais au bout du rouleau hier quand on a arrêté.