Atelier du 17 octobre - L'étoile filante

L'étoile filante

J’avais juste besoin de sortir. Sentir la brise sur mon visage.
La journée a été longue. Si longue.
Mes jambes sont lourdes. Je crois bien que cette fois, j’ai une ampoule sur le talon. J’ai marché, j’ai couru. C’est maintenant que je respire.

J’ai toujours aimé la nuit, ses rues presque vides, les enseignes qui brillent et l’ombre qui nous permet, un instant, de disparaître aux yeux du monde, de s’éclipser.
Une voiture tourne au coin de la rue et accélère. Le passager s’est retourné au moment où elle est passée devant moi, la bouche grande ouverte. C’est impoli de dévisager les gens comme ça !
Je veux profiter de chaque instant de cette nuit. Arrivée au carrefour, je fais un tour sur moi-même. Quelle rue prendre ? La rue marchande illuminée par les vitrines comme un matin de Noël ? L’allée bordée d’arbres qui filtrent la lumière chaude des lampadaires ? Le boulevard bordé d’immeubles haussmanniens ?
Je choisis la sérénité des arbres. Les ombres des feuilles dansent quand le vent les fait bruisser comme un hochet. Il n’y a pas de boutique ici pour briser le trottoir de couleurs vives, uniquement les murs anonymes d’immeubles d’habitation. Seule la croix verte d’une pharmacie clignote au bout de la rue. Tiens, 17°C d’après elle. On est bien.
Au-dessus de moi, une fenêtre entrouverte laisse s’échapper quelques notes de jazz. Je m’arrête un instant pour écouter.
En face de moi, un promeneur tardif s’approche, un joli petit chien au bout d’une laisse.
J’ai toujours aimé les chiens. Ils sont gentils les chiens, ils ne vous jugent jamais. Ils viennent, ils sautillent, ils vous lèchent les mains. Ils ne posent pas de questions, ne vous regardent pas d’un œil noir. Oui, j’ai toujours aimé les chiens.

- Madame ! Madame ! vous allez-bien ?
- Je me suis rarement sentie aussi bien ! Pourquoi ?
- Vous saignez…

Je hausse les épaules et je continue mon chemin. Je n’ai pas mal. Je l’ai vu sortir son téléphone mais le petit chien est si mignon.
Je marche encore et je me dirige vers le canal. De là, je devrais pouvoir voir le ciel étoilé. Je crois que je vais m’arrêter là. Je commence à vraiment avoir mal au pied, cette fois-ci. L’immensité de la voûte céleste m’apaise. Si petites, si lointaines, si brillantes, les étoiles semblent étinceler pour moi. Je m’assoie sur un banc pour mieux les admirer, le clapotis de l’eau tout près de moi.

Les lumières dansent. Déjà ? D’habitude, chaque seconde dure une éternité. Ce soir, elles filent à une vitesse vertigineuse.
Bleu rouge bleu rouge bleu rouge…
- Elle est là !
Je me lève, fais un pas en avant.
- Eh vous ! Arrêtez-vous !
- Elle est blessée, elle a du sang partout…
Je ne suis pas blessée. Ce n’est pas mon sang. Ce n’est jamais mon sang… c’est si délicieux de sentir sous ses doigts la chaleur et la vie de l’hémoglobine jaillissante. Il suffit de trouver le bon endroit pour planter la lame.
Je bascule la tête en arrière pour voir les étoiles encore quelques instants. Je vais retrouver les quatre murs de béton de mes 9 m² en isolement pour un bon moment. Maintenant, ils ont peur pour les autres détenues depuis… l’incident.
L’étau des bras autour de moi se resserre. Le métal des menottes mord mes poignets
Je me tords le cou pour voir encore un peu le ciel.

Oh ! une étoile filante. Je souris. Je vais pouvoir faire un vœu.