La painpauté
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -35%
Philips Hue Kit de démarrage : 3 Ampoules Hue ...
Voir le deal
64.99 €

Aller en bas
Admin
Admin
Admin
Messages : 571
Date d'inscription : 03/10/2021
Age : 30
https://lapainpaute.forumactif.com

Ils s'aiment mais ils meurent Empty Ils s'aiment mais ils meurent

Dim 24 Avr - 16:02
Le temps va s’arrêter ce soir à minuit. C’était ce qui avait été annoncé à la télévision en flash spécial, interrompant le match des Knicks sur une passe de R. J. Barrett. Les joueurs de New-York étaient dans la merde, la balle galérait à circuler entre les joueurs. Feintes minables, dribbles inutiles et passes ratées… Même Randle ne parvenait pas à percer les lignes adverses pour marquer. Un score nul pour une équipe qui se promenait sur le terrain d’habitude, même si bon, je m’en foutais un peu. J’aimais pas le basket de toute façon et ça m’amusait de voir les fans faire des têtes de trois kilomètres de long avec leurs écharpes orange et bleu.
Avachi sur le canapé avec mon père, on en était à balancer des pop-corns sur le poste lorsque l’alarme des actualités avait retenti.
- C’est quoi c’bordel ! avait rugi mon père en se redressant.
Ma mère avait débarqué de la cuisine, son saladier encore en main. Les cris de mon paternel la faisaient fuir en temps normal, mais là elle avait dû sentir qu’il se passait quelque chose de grave. On n’interrompait pas un match des Knicks dans cette famille ! Tous les jurons y passèrent et on n’entendit même pas si c’était une alerte enlèvement, attentat ou je ne sais quelle autre connerie. Mon père braillait comme un veau qu’on égorge, des postillons arrosant tout le salon. Moi, j’avais les doigts collants à cause du beurre mais j’étais déjà prêt à m’emparer de la télécommande pour zapper et trouver une chaîne qui diffusait le match ; histoire qu’il arrête de gueuler.
« Nous interrompons votre programme pour un flash spécial… » La présentatrice avait une mèche rebelle au-dessus du crâne, comme si l’équipe de production s’était dépêchée de la balancer sur le plateau. Elle serrait ses feuilles avec force et le sourire qu’elle arborait tous les soirs pendant le journal télévisé avait disparu. Jamais je ne l’avais vue aussi sévère et tout de suite, je sentis une pierre me tomber au fond de la poitrine.
- Tu la craches ta pilule, la gourdasse !
Le paternel détestait cette présentatrice, un peu trop « colorée » à son goût. Il pérorait pendant des heures lors des barbecues sur ces quotas qu’on imposait dans les administrations et que bientôt, on allait virer les blancs pour faire de la place. C’est même pour ça qu’on l’aurait viré lui soi-disant.
La suite se perdait dans la stupeur. Une histoire de fin de civilisation, avec horloges qui s’arrêtent, technologie qui devient obsolète d’un coup, et centrales nucléaires qui explosent car incapables de fonctionner. Des « boom boom » et des « ah merde » en avalanche parce que c’est pas comme si on n’avait pas été prévenus. Trop de consommation, trop de données internet, trop de tout pour une civilisation obèse, pourrie gâtée et pleine de connards. Et tout ça, c’était pour ce soir. Il nous restait moins de cinq heures à vivre avant que notre civilisation nous pète à la gueule.
Maman était retournée dans sa cuisine pour finir la préparation du dîner après ça. Sans dire un mot. C’est vrai que ça serait con de mourir le ventre vide, surtout lorsqu’on a un rôti-patates au four. J’entends encore son couteau découper méthodiquement les petits légumes.
La paternel, lui, s’était enfoncé dans le canapé et fixait l’écran d’un air bête. La bière qu’il tenait dans la main devait être éventée maintenant. L’odeur amère collait à tous les pores de sa peau, à ses vêtements et à tout ce qui constituait son être. J’avais l’impression d’être face à un singe savait qui essaie de résoudre un problème trop compliqué pour lui. Il n’était pas idiot pourtant, ses études de comptable avaient été couronnées de succès. Peut-être qu’il essayait de calculer combien d’argent ça prendrait de réparer le monde d’ici ce soir. Combien de ressources ça mobiliserait pour l’envoyer, lui et sa télévision, dans l’espace pour échapper à tout ça ? Les milliardaires étaient déjà en route pour la Lune, Mars, vers l’infini et au-delà. Son ancien patron devait se trouver dans sa navette, prête au décollage. Et lui, l’ancien employé raciste qui avait été viré parce qu’il insultait dans son dos le nouveau responsable afro-américain, il était bloqué dans son canapé avec les parties molles et une bière dégueu.
Je m’étais levé. Avais regardé autour de moi. Les petits lapins en porcelaine que ma mère mettait dans toutes les pièces avaient l’air de se foutre de ma gueule. Les napperons qui les accompagnaient semblaient avoir été grignotés par eux.
- Tu vas où ? avait aboyé mon père.
- Je m’en vais.
Mes jambes s’activaient toutes seules et c’était tant mieux car j’avais l’esprit vide. La gueule de bois sans l’alcool. Cette impression de flotter au-dessus de son corps, mais sans être mort. Mes membres me semblaient à des kilomètres de mon buste et je fonctionnais au ralenti comme une vieille machine prête au rebus.
J’avais attrapé les clés de la voiture qui pendaient au crochet près de la porte et étais sorti. L’air avait une nouvelle odeur, plus fraîche, que la veille. Et avec la brise qui soufflait depuis les montagnes c’était comme si ce monde-là n’était pas sur le point d’imploser. Peu importe, j’en avais rien à foutre de toute façon. Je m’étais mis à la place du conducteur, même si je n’avais que 15 ans, avais mis les clés sur le contact, et maintenant j’attendais.
Où aller ? Une dernière soirée sur Terre, ça compte. La montre à mon poignet indique qu’il est près de 8 heures du soir. Les minutes avancent encore plus vite que d’habitude, lancées dans une course furieuse, au point qu’elles ont l’air de rattraper les secondes. Ça se double, s’enchaîne, et les chiffres agitent des drapeaux comme sur un circuit de courses. Je pose ma tête sur le volant et prends une profonde inspiration. Arrête de réfléchir, ça ne t’a jamais trop aidé.
J’allume le moteur alors que mon père sort sur le perron pour m’engueuler. Son « reviens ici » me paraît loin, très loin. Je suis déjà sur la route alors qu’il descend dans l’allée en agitant le poing. Ma mère doit encore être dans la cuisine à couper ses légumes. Elle n’a même pas dû observer la scène par la fenêtre, concentrée sur sa tâche. Moi je file, la pédale au plancher, en direction de l’autoroute. Le soleil se couche pour la dernière fois dans mon dos et son ultime rayon me caresse la nuque. Il me pousse en avant, du moins, je l’imagine comme ça.
Les kilomètres défilent, le réservoir se vide. Y’a du monde en plus sur la route. D’autres échappés comme moi. Est-ce qu’ils fuient ? Ou est-ce qu’ils ont enfin compris ce qui était important ? Certains prennent les voies en sens interdit pour aller plus vite, tous surveillent leur montre. Plus que deux heures. Saleté d’aiguilles qui se précipitent lorsqu’on ne les regarde pas. J’accélère davantage. Le palier des 120 kilomètres/heure est atteint et le plancher tremble. Nuage de fumée à cause du pot d’échappement derrière moi, j’enfume les concurrents qui essayaient de me dépasser. Quoi, c’est une course j’ai dit ! Et la ligne d’arrivée est proche.
Lorsque je dépasse le panneau « Bienvenue à Painpaut », il ne reste plus qu’une heure au chrono. J’ai du mal à me repérer, les rues se ressemblent toutes ici, je perds patience. « Merde ! » dis-je en tapant sur l’autoradio. Le message de fin du monde se relance, comme un jingle automatique. Je pousse tous les boutons pour qu’il se taise. Et tout à coup, sa maison est là. La maison de Yohan. C’est son vélo qui est posé dans l’herbe juste devant, je le reconnais. Il avait l’habitude de m’installer sur le guidon tandis qu’il pédalait tant bien que mal. Je l’encourageais autant que je pouvais, mais qu’est-ce qu’on était lourds tous les deux. Dans cette bourgade pleine de montées et de descentes, ça ne pardonnait pas.
J’abandonne la voiture au milieu de l’allée et laisse les clés à l’intérieur. Je toque. Yohan vient m’ouvrir. Ça y’est, le temps peut bien s’arrêter.

Akari Mizuki, misstic21, Celui-ci, marie_jda, Sayuri.K, MarieDraws25, Lebranc et aiment ce message

Mimisth
Mimisth
Messages : 60
Date d'inscription : 27/02/2022
Age : 32
Localisation : Dans mes rêves

Ils s'aiment mais ils meurent Empty Re: Ils s'aiment mais ils meurent

Dim 24 Avr - 16:30
Bonne idée de faire l'arrêt du temps une prédiction, ça change un peu mais ça ne dévie pas du sujet Smile !
Azulys
Azulys
Messages : 158
Date d'inscription : 13/10/2021
Age : 33

Ils s'aiment mais ils meurent Empty Re: Ils s'aiment mais ils meurent

Dim 24 Avr - 16:39
J'ai beaucoup aimé ton histoire, la famille est très bien caractérisée et on ne dirait pas du tout que la fin a été écrite dans l'urgence Smile
avatar
Maric56
Messages : 28
Date d'inscription : 03/04/2022
Localisation : Castelginest

Ils s'aiment mais ils meurent Empty Re: Ils s'aiment mais ils meurent

Dim 24 Avr - 16:54
Hello,
J'aime beaucoup ce texte qui décrit bien dans un premier temps la cellule familiale puis cette course contre la montre. Le temps qui tout à tout s'emballe. Une belle fin
Bravo !
Lauracle6
Lauracle6
Messages : 8
Date d'inscription : 04/04/2022
Localisation : Au pays du sadisme

Ils s'aiment mais ils meurent Empty Re: Ils s'aiment mais ils meurent

Dim 24 Avr - 17:02
J'adore l'idée (et là je vois bien ce que tu veux dire quand tu parles d'être plus vulgaire au présent x)) ! Le père raciste est super bien fait je trouve, on sent le gros beauf sur son canap qui veut pas faire grand chose et qui croit que tout son malheur, c'est à cause du vilain monde qui lui en veut. La fin est rapide, à demi-ouverte sur comment elle se passe, mais elle fait le job, et on dirait pas du tout un texte qui n'a pas été préparé. Tout le long on aurait pu intégrer ça à la backstory d'un personnage existant je trouve ! Bravo  I love you
misstic21
misstic21
Messages : 96
Date d'inscription : 07/10/2021
Age : 31
Localisation : Haute-Savoie

Ils s'aiment mais ils meurent Empty :)

Dim 24 Avr - 21:06
Coucou,

Je trouve ta fin trop mignonne !!
J'ose un commentaire peut-être, ce n'est que mon avis bien sûr.
Je suis en train d'envisager un roman SF / apocalyptique justement c'est pourquoi j'y ai beaucoup réfléchi : pour moi le comportement des gens est un peu trop "normal" pour une fin du monde, je pense que ce serait plus la panique ou la folie, à moins que de rester dans la normalité soit une sorte de déni, auquel cas je pense que ça serait quand même pathologique et que ça dénoterait un sentiment dérangé. Je ne sais pas si tu as vu le film "déni cosmique", (attention spoiler) mais pendant les dernières heures sur Terre, c'est vraiment l'anarchie. Et même pour ceux qui sont tranquillement en train de manger, on ressent la tension et la peur dans la pièce.

Bon après c'est clairement normal que sur un texte d'une heure et demi le background soit peu développé, enfin si jamais tu voulais en faire quelque chose de plus approfondi, je pense que ce serait à réfléchir Smile
Bref, à part ça ton style d'écriture nous emporte, comme toujours, et on aime cette franchise qui te va si bien !!
Zungiri
Zungiri
Messages : 4
Date d'inscription : 31/03/2022
Age : 40
Localisation : La Réunion

Ils s'aiment mais ils meurent Empty Re: Ils s'aiment mais ils meurent

Mar 26 Avr - 6:26
J'ai beaucoup aimé ce récit avec un fin que je trouve très belle malgré le titre qui présageait plus de tristesse. (c'est mon côté romantique qui parle)
avatar
marie_jda
Messages : 161
Date d'inscription : 07/10/2021
Localisation : Chocolatine

Ils s'aiment mais ils meurent Empty Re: Ils s'aiment mais ils meurent

Mer 27 Avr - 14:03
Ce titre Ils s'aiment mais ils meurent 1f604 Au moins c'est factuel ^^'
J'aime beaucoup, les personnages sont bien caractérisés, on capte bien la sensation d'accélération du temps, et cette fin est trop mignonne malgré sa tristesse...

Akari Mizuki
Akari Mizuki
Messages : 71
Date d'inscription : 07/10/2021
Age : 25
Localisation : Franche-Comté

Ils s'aiment mais ils meurent Empty Re: Ils s'aiment mais ils meurent

Lun 23 Mai - 18:09
J'ai adoré ce texte, les personnages sont très vivants. J'ai aimé me moquer du père avec le personnage, la caricature de la mère de famille qui est tellement enfermée dans ses injonctions qu'elle ne se préoccupe que de son rôti... Et le sarcasme du protagoniste ! J'ai l'impression d'entendre un de mes élèves de 4e !


Il pérorait pendant des heures lors des barbecues sur ces quotas qu’on imposait dans les administrations et que bientôt, on allait virer les blancs pour faire de la place. C’est même pour ça qu’on l’aurait viré lui soi-disant.
On rigole, on rigole, mais le grand remplacement est une vraie théorie complotiste de l'extrême droite Rolling Eyes

Y’a du monde en plus sur la route. D’autres échappés comme moi. Est-ce qu’ils fuient ? Ou est-ce qu’ils ont enfin compris ce qui était important ?
Cette phrase fout une sacré gifle dans la figure. On dirait le message de Soul, le film de Pixar.

J'ai adoré la fin. Le rythme des phrase transmets l'accélération des pensées du personnage et son empressement, et l'amour implicite qu'il a pour son ami... J'adore !
Contenu sponsorisé

Ils s'aiment mais ils meurent Empty Re: Ils s'aiment mais ils meurent

Revenir en haut
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum