A la poursuite du scarabée sacré

Il n’aurait pas dû suivre ce scarabée. Ses parents le lui avaient pourtant dit et répété :

« Ne t’aventure jamais seul dans le désert, jamais ! »

Mais quand il avait vu le bousier filer dans la rue, son gâteau au miel lui avait échappé des mains et s’était écrasé sur le sol, projetant une pluie de miettes sur ses sandales.

« Tiy ! s’était-il exclamé.
- Laisse-moi finir de discuter, Ouni », avait rétorqué sa nourrice d’une voix tendue.

Se lamenter avec les voisins et prier, toute la maisonnée ne faisait plus que cela depuis deux semaines. Depuis que sa grande sœur était clouée au lit, terrassée par la fièvre. On avait d’abord tenté de le rassurer, mais s’il était petit, il n’était pas idiot. L’inquiétude de la famille et des serviteurs était flagrante. Il avait réussi à aller voir sa sœur une fois, en cachette, et son visage creusé et couvert de sueur le hantait encore.

L’impuissance totale qu’il ressentait l’empêchait de dormir. Je ne peux rien faire. Rien du tout.

Quand le scarabée sacré avait émergé d’une fissure, à quelques pas de lui, l’évidence lui avait explosé au visage : je ne peux rien faire, mais lui, si ! Si les suppliques n’avaient pas encore donné de résultat, c’était peut-être parce que les dieux ne parvenaient pas à les entendre. Adresser directement ses prières au bousier, symbole de Khépri, le dieu du soleil levant et de la renaissance, serait certainement plus efficace !

Après un coup d’œil en coin à Tiy, toujours plongée dans sa conversation, le petit garçon avait suivi l’insecte qui traçait son chemin dans la poussière jaunâtre de la rue.

« S’il te plait, Khépri, aide ma sœur ! Elle s’appelle Nani, fille de Mahou et Néférou. Elle est gentille et généreuse… Bon, des fois elle est pénible avec moi, mais… Non ! Non, oublie ça. C’est pas sa faute à elle, c’est moi qui l’embête. Elle mérite pas d’être malade comme ça. Elle doit être sauvée… S’il te plait… »

Il avait déjà la gorge en feu en arrivant aux portes du village, mais le scarabée ne s’était pas arrêté, s’engageant dans le désert sans la moindre hésitation. Ouni s’était figé un instant devant l’immensité aride. Il ne devait pas y aller seul. Mais ses prières seraient-elles suffisantes ? Il fallait qu’il continue encore un peu. S’il ne s’éloignait pas trop, il n’aurait pas de problème.

« Quel idiot », marmonna-t-il.

Le bousier avait fini par disparaître sous un tas de cailloux blanchis par le soleil et le petit garçon avait fait demi-tour. Il avait marché, encore et encore ; certes, il ne voyait plus son village, mais il était certain d’aller dans la bonne direction.

Cette certitude s’était à présent envolée.

« Mais quel idiot ! » gémit-il à nouveau.

Ses cuisses brûlaient presque autant que ses pieds attaqués par le sable, mais il ne pouvait pas s’arrêter. S’il prenait une pause, il s’enfonçait dans les grains dorés et la morsure du désert remontait jusqu’à ses chevilles.

« Maman… Papa… » bredouilla-t-il.

L’atmosphère autour de lui se brouilla alors qu’une violente quinte de toux le plia en deux, à deux doigts de lui faire rendre tripes et boyaux. Il s’essuya du dos de la main en se redressant et lâcha un petit cri de douleur : il s’était arrêté, la pire mauvaise idée… Il s’empressa de reprendre son avancée. Il allait forcément finir par tomber sur quelqu’un… Ou sur un endroit. Il devait bien y avoir des villages dans les environs, même si ce n’était pas le sien !

Le soleil impitoyable qui frappait son crâne nu lui donnait des vertiges. Derrière cette dune… Derrière cette dune, je vais voir quelque chose, se promit-t-il. Allez Ouni… Tu peux le faire. Tu peux… le faire… s’exhorta-t-il malgré ses glissades répétées le long de la pente.

Arrivé au sommet, il prit une grande inspiration qui lui déclencha une nouvelle toux, l’air sec s’engouffrant dans son nez et incendiant sa trachée.

Et il le vit.

Enroulé sur lui-même, ses écailles brunes luisantes et sa langue sifflante.

L’aspic redressa sa tête avec une grâce terrifiante. Ouni ouvrit la bouche pour crier.

Et le sol se déroba sous ses pieds.