Tombé du ciel

TOMBÉ DU CIEL

Vu de la plage, le coucher du soleil de avait quelque chose de réconfortant. Une bulle de calme, loin du tumulte du quotidien. Brelyn ferma les yeux, afin de laisser le roulement des vagues apaiser le torrent de pensée dans son esprit. Cette journée avait bien débuté, mais elle lui laisserait pour toujours un goût amer.
Il prit un instant pour se remémorer les événements de cette journée. La nostalgie lorsqu’il avait émergé du bateau de la légion et avait pour la première fois posé ses yeux sur l’étendue bleue devant lui.  Le soulagement lorsque le garde avait retiré ses menottes.
Après cinq ans de détention dans la cité impériale, il pouvait arpenter le monde librement – une liberté empreinte de contrainte, mais qu’il préférait mille fois au relent de moisissures de sa cellule.
Pour fêter ça, Brelyn avait décidé de grimper sur la colline la plus haute pour observer les étoiles. Il traversa le minuscule hameau afin de rejoindre le sentier.
Une brise caressait sa joue, sa peau semblait brûler au contact du soleil. Cette après-midi avait un goût de liberté et d’enfance, Le parfum iodé de l’air lui rappelait ses après-midis où jouait avec ses sœurs au bord de la mer d’Azura.
Les villageois vaquaient paisiblement à leurs occupations dans l’unique rue du village. Certains se retournaient pour dévisager cet étranger. Un homme à la tunique simple lui cracha :
— Passez votre chemin, racaille !
Mais Brelyn l’ignora. Rien ne pourrait gâcher sa journée.
Une fois sorti du village, il observa les collines ceinturant le littoral, et cachaient en partie l’immense cratère qui surplombait l’île. Le sentier qu’il emprunta serpentait entre les arbres où des oiseaux colorés pépiaient et chantaient. La musique la plus douce à ses oreilles.
Un hurlement effraya les oiseaux, qui s’envolèrent dans un tourbillon de plumes colorées. Sa chuinta lorsqu’il la sortit de son fourreau. Il pivota sur lui-même à la recherche de bandits attaquant un voyageur, ou d’un chien sauvages poursuivant un villageois. Rien aux alentour, sauf un rat qui léchait un fruit pourri.
— Qui va là ?
Le hurlement reprit de plus belle. Il semblait se rapprocher. Brelyn comprit finalement que le cri ne venait pas d’autour de lui, mais d’au-dessus de lui.
Un homme tombait du ciel, comme s’il avait glissé d’un nuage.
— Mais qu’est-ce que…
Incapable de stopper sa chute il agitait les bras dans tous les sens. Brelyn contempla le flottement de sa tunique verte ballottée par le vent incapable de saisir ce qui se passait devant lui. Les yeux de l’inconnu croisèrent les siens.
Puis il percuta le sol.
Le choc de l’impact résonna la tête de Brelyn, comme un coup de tonnerre.
L’inconnu gisait devant lui, le visage tourné vers le ciel. Il avalait de grosses goulées d’air, comme s’il cela lui permettait de rester conscient. De longues oreilles dépassaient de son bonnet fourré, et sa tunique richement brodée portait l’insigne de la guilde des mages.
Brelyn resta un instant immobile, à fixer le mage tombé du ciel sous ses yeux, toujours incapable de comprendre la scène à laquelle il venait d’assister. Ces années enfermées dans une cellule avaient dû le rendre dingue pour qu’il voit des elfes volants.
Il s’approcha, hésitant.
— Monsieur, vous allez bien ?
Une flaque rouge commençait à se répandre sur le sentier, s’infiltrant dans la terre. L’éclat du sang lui fit l’effet d’une gifle. Son cerveau galopa à mille à l’heure, et en même temps, il était incapable de réfléchir.
Si seulement il avait mieux écouté sa tante, au lieu de se moquer de ses potions. Il aurait pu trouver une solution, plutôt que de regarder un inconnu mourir. Impossible de courir jusqu’au village, pas avec ses muscles atrophiés.
— Je vais chercher de l’aide !
Avant qu’il n’ait pu faire un esquisser un mouvement, la main du mage agrippèrent son pantalon. Il semblait avoir enfin capté la présence de Brelyn.
— Non… ne partez pas, souffla-t-il.
— Vous allez mourir si je ne le fais pas !
Les yeux exorbités, l’elfe raffermit sa prise, comme s’il s’accrochait au bord d’un précipice.
— Ils ne me croyaient pas… Ils ne m’ont jamais cru… Dites-leur… que j’ai réussi…
Les yeux implorants du mage lui donna la nausée. Son impuissance lui donnait la nausée. Brelyn ne voulait pas admettre qu’il ne pouvait pas rien faire. Comment pouvait-il réussir à mener à bien sa mission pour l’Empereur s’il ne pouvait même pas sauver une seule vie ?
La seule chose qu’il pouvait faire pour lui, c’était accepter, et exécuter ses dernières volontés.
— Je vous le promet.
Les lèvres de l’elfe s’ourlèrent en un sourire, puis la main retomba lourdement dans la poussière. Il jeta à genoux devant lui, et tâta vainement son cou à la recherche d’une pulsation.
Il était mort.
Brelyn serra les poings. Et dire qu’il pensait que rien ne pouvait gâcher son premier jour de liberté.
Il se mit à fouiller ses poches, à la recherche d’une quelconque information pouvant l’aider. À côté de deux parchemins tombés de la poche de la tunique, un livre reposait ouvert, dos face au ciel. Il devait l’avoir en tombant.
Brelyn en épousseta les pages, puis consulta la page de garde.
Journal de Tarhiel.