L'élève dépasse(ra) le maitre...

Le premier uppercut me coupa le souffle ; et puisque je voyais trente-six chandelles, je ne pus éviter le second. La pièce tournoya violemment, et une information prit la priorité sur toutes celles, embrouillées et chaotiques, qui parvenaient à mon cerveau : le goût du sang dans ma bouche.
Bordel, c’était censé être un entrainement ! Je n’eus pas beaucoup plus de temps pour râler en moi-même : mon adversaire revenait à la charge, et il n’avait pas l’intention de faire de la pâtisserie.
Son poing fermé effleura mon oreille, et je répliquai. Une douleur aigüe explosa dans mon coude, et je luttai pour dégager mon poignet, qu’il avait habilement saisi et tordu. Je me rappelai alors – enfin ! – de l’enseignement de mon mentor, celui qu’il me dispensait lorsqu’on n’était pas occupés à se taper dessus, et les appliquai. Plutôt que de tirer sur mon bras meurtri en de vains efforts pour le dégager, je m’appuyai sur mes pieds et, d’une impulsion, cognai de toutes mes forces de l’épaule dans l’estomac de mon opposant. Le son se l’air qui s’échappait de ses poumons me parut très satisfaisant ; mais l’étincelle de fierté qui fit briller ses iris promettait aussi une difficulté croissante, et je fus dès lors fort occupée à éviter les coups.
Une danse presque mortelle s’engagea, durant laquelle j’oubliai entièrement qui j’étais, où j’étais et ce que je faisais. Il n’était plus question d’entrainement, mais de survie. Greg et moi nous tournions autour, l’esprit tout entier focalisé sur l’autre. Ses offensives étaient aussi rapides, précises et mortelles que celles d’un serpent. Les miennes étaient plus faibles… et bien plus rares. Je finis bien vite en sueur, haletante et la vision trouble. Mais je restai déterminée à le dominer, au moins une fois ! A force de concentration, j’eus la sensation de voir le monde ralentir. Momentanément, j’oubliai mes poumons brulants, mes yeux piquants de transpiration et mes articulations meurtries, analysant chacun de ses gestes, cherchant inlassablement la faille où frapper.
Rêvais-je ou… oui ! Une ouverture ! Je m’y engouffrai en dépit des protestations de mes jambes fatiguées… et atterrit directement dans un piège. Greg m’esquiva avec une économie de mouvement remarquable et, sans même que je comprenne comment, se retrouva derrière moi. Les bras croisés dans mon dos et les poignets fermement maintenus dans la poigne de mon maitre, je grommelai en le sentant approcher ses lèvres de mon oreille :
— Trop naïve, susurra-t-il.
— Trop distrait, répliquai-je.
Sans attendre une seconde, je balançai la tête en arrière avec toute la force dont j’étais capable. Même si je rêvais de lui éclater le nez, j’étais trop petite pour cela : mais le bruit de ses dents s’entrechoquant tandis que mon crâne lui heurtai la mâchoire me suffit. D’un bond, je me libérai de sa poigne. Sans m’arrêter sur son expression ahurie ou sur les vivats qui retentissaient à ma gauche, je fis volte-face et me jetai en avant. Il n’eut pas le temps de me contrer : je le ceinturai avec détermination, et pour la première fois en plusieurs mois d’entrainement, le fit tomber. Le maintenir au sol allait se révéler une autre paire de manches, mais j’avais ma petite stratégie, soigneusement élaborée un peu plus tôt.
Lorsque sa main s’élança vers ma gorge, je fis immédiatement basculer mon poids en arrière. J’exécutai la manœuvre encore plus parfaitement que dans mes rêves : en un instant, son bras se retrouva prisonnier de mes jambes, et ma cheville droite appuya en travers de son cou. Je jubilai intérieurement : pour une fois que c’était moi qui lui écrasais la carotide, et pas l’inverse !
Un silence comme une chape de plomb était tombé sur l’assistance, chacun retenant son souffle dans l’attente de la suite des évènements ; le sourire que Greg m’adressa depuis sa position malcommode ne me troubla pas, et je sentis ses jambes remuer sous moi. Alors, je dégainai mon arme secrète, celle supposée me faire gagner ma première joute en six mois.
Un murmure stupéfait secoua le public, faisant écho à l’œil grand ouvert de mon mentor. Œil sous lequel se trouvait la pointe du poignard qu’il m’avait offert, une semaine plus tôt. Il s’immobilisa.
— Tu as triché, murmura-t-il, scandalisé.
— Mais j’ai gagné, répliquai-je, triomphante.
Il y eut un instant de flottement, et je songeai que j’avais peut-être fait une énorme erreur : allait-on me virer de la corporation pour un tel outrage ?
Ma distraction et ma certitude d’avoir gagné me furent fatales. Sans le moindre effort apparent, Greg balaya ma main de son bras resté libre, m’attrapa l’épaule et me mit à terre. Pour la trente-septième fois. En une fraction de seconde, son grand corps surplomba le mien. Ses jambes immobilisaient complètement les miennes, et ses mains avaient bloqué mes poignets loin au-dessus de ma tête. Je poussai un soupir agacé.
— Tu pourrais au moins faire semblant d’être un peu acculé, juste une fois !
Il eut un rire franc qui offrit un joli contrepoint aux applaudissements et aux rires de notre public. Le combat était terminé, et une fois encore, j’avais perdu.

Trop bien ce texte! J'étais à fond dans l'histoire en lisant! Et j'adore les répliques.

J'adoooooore ton texte, superbe scène de combat !!! Franchement j'ai rien à redire, c'est clair, y a de la tension, c'est fluide et j'aime beaucoup les persos.
Y a UN truc qui m'a fait tiquer.
"Il n'avait pas l'intention de faire la pârisseries"
... c'est une vraie expression ? Parce qu'il préfère donner des pains que des tartes ? Il a une intolérance à la crème pâtissière ???

En tout cas bravo pour ce texte incroyable, merci pour la lecture ^^

Merci beaucoup à vous deux ! J'ai toujours l'impression que mes scènes de combat sont désespérément molles et ennuyeuses. Je suis ravies de vous voir si positifs !  

Martatin, concernant la réplique qui t'a fait tiquer, elle n'est en effet pas trop à sa place ! Pour écrire cette scène je me suis inspirée des personnages principaux de ma trilogie, et notamment de mon héroïne. C'est une saga sur laquelle je travaille depuis 11-12 ans alors elle me colle un peu trop à la peau parfois    et Netha, mon héroïne donc, a un caractère assez caustique avec ce genre de répliques acides/ironique assez régulières. Du coup, c'est ressorti ici, mais sans contexte ça fait bizarre  

Hello ! Très chouette texte, j'ai bien apprécié Le combat n'était définitivement pas ennuyeux comme tu le craignais, pas d'inquiétude à avoir là-dessus. Concernant ton texte, je me permets de relever deux petits détails. La formulation "râler en moi-même" du début me semble un peu maladroite, tu aurais pu te contenter de râler tout court ou de "râler intérieurement" ça fonctionnait tout aussi bien ^^ L'autre observation concerne l'histoire en soi. On assiste visiblement à un entraînement entre une disciple et son maître, un entraînement avec du public ça pourquoi pas aucun souci. Mais dans ce cas pourquoi ton héroïne craint-elle d'être renvoyée pour sa tricherie si ce n'est qu'un entraînement ? Voilà ce sont les deux petites choses qui m'ont perturbée mais sinon rien à dire tu as bien réussi l'exercice Merci pour avoir partagé ton texte avec nous !

Coucou ! Ton texte est très sympa à lire et non la scène de combat n'est pas du tout ennuyeuse, elle est rythmée et très prenante.
C'est bien écrit et plutôt fluide, mais si je peux me permettre une petite remarque : tu commences souvent tes phrases par des formules du style : "en un instant", "en une fraction de seconde", "sans attendre une seconde", etc. Je pense que la plupart pourraient être retirées pour juste enchaîner les actions, ça gagnerait encore plus en rythme. Là je trouve que ça donne une sensation de pause dans l'action
Bon c'est du chipotage, parce que ton texte est très bien
Bravo à toi

Hello ! Bravo pour ton texte, il se lit très bien, la chorégraphie du combat est très sympa, ça s'enchaîne bien, il y a du rythme.

"Le premier uppercut me coupa le souffle ; et puisque je voyais trente-six chandelles, je ne pus éviter le second. La pièce tournoya violemment, et une information prit la priorité sur toutes celles, embrouillées et chaotiques, qui parvenaient à mon cerveau : le goût du sang dans ma bouche."
" j’eus la sensation de voir le monde ralentir."
"danse presque mortelle "
: je pense que tu fais un peu trop de rond-de-jambe pour rendre l'action vraiment efficace. Aussi, essaie d'imprimer des scènes fortes dans l'imagination du lecteur, et pour ça, tu peux par exemple enlever ce qui est en gras.

pour râler en moi-même : ne se dit pas

et il n’avait pas l’intention de faire de la pâtisserie. / alors – enfin ! – : si c'est le ton que tu choisis, ok, sinon attention à l'effet que ça a sur un lecteur, ça peut le faire sortir de la scène

Une douleur aigüe explosa dans mon coude : pk elle a mal au coude ?

cognai de toutes mes forces de l’épaule dans l’estomac de mon opposant / Le son se l’air qui s’échappait de ses poumons me parut très satisfaisant ; mais l’étincelle de fierté qui fit briller ses iris promettait aussi une difficulté croissante, et je fus dès lors fort occupée à éviter les coups. : ; je pense que tu peux le dire plus simplement pour être plus percutant.e

Ses offensives étaient aussi rapides, précises et mortelles que celles d’un serpent. Les miennes étaient plus faibles… et bien plus rares. ; je trouve dommage de résumer l'échange de coups dès le début du combat, je pense que ce serait mieux plus tard.

Merci pour ta participation !