La painpauté
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lupinae
lupinae
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Date d'inscription : 07/10/2021
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Localisation : Basse Normandie

Le maître du temps Empty Le maître du temps

Dim 24 Avr - 16:06
Des doigts agiles ne servaient à rien s’ils ne s’accompagnaient pas de silence et de discrétion. D’intelligence et de patience non plus. Le vol était un art que l’on pouvait parfois associer à la magie. Quel était le meilleur moyen de voler sa bourse à un homme ? Lui faire croire que l’on allait s’en prendre à sa montre. Dévier l’attention.
C’était ça, la clef : l’attention de la cible.
Quoi de mieux qu’une foule en pleine rue, où tout le monde se touchait et se bousculait, tous trop occupés à admirer banderoles, artistes et tableaux ? Lexie adorait les festivals. Elle y faisait son beurre comme un pâtissier en période de fête.
Deuxièmement, ne pas avoir l’air suspecte, se promener comme si elle savait où elle allait et avait le droit d’aller. Faire semblant d’être à la bonne place, la conscience tranquille, en toute circonstance. Elle se gaussait des petits jeunes de la rue qui portaient capuches et manteaux, regardant constamment par-dessus leurs épaules. Ils puaient la contrebande à des lieux et finissaient souvent en cellule avant midi quand ils hantaient les marchés. La garde n’était guère maline, mais pas aveugle.
Lexie n’avait rien de remarquable : des cheveux bruns, des yeux bruns, ni belle ni laide, des vêtements passe partout, des chaussures des plus banales. Aussitôt vue, aussitôt oubliée. Aucun sac, aucune poche apparente. Pas trop de pigeons à la fois : une bourgeoise ou deux, un benêt de nobliau. De petits objets de valeur, dont on ne se rendrait compte de la disparition qu’une fois rentré chez soi et que l’on considéreraient comme égarés.
Surtout, jamais de montre. Les monstres restaient trop souvent accrochées à la poche, et on la consultait régulièrement. Seuls les plus fous s’en prenaient aux montres qui, certes, se revendaient à prix d’or, mais qui disait profits élevés suggérait risque élevé. Lexie en avait vu plus d’un se faire prendre et passer des semaines au pilori, des vieux de la vieille avec deux fois son expérience.
Pourtant, les rouages avaient sur elle une attraction qu’elle ne saurait qualifier. Tous les soirs, en passant devant chez l’horloger, elle regardait tiquer montres et horloges, étudiait les allées et venues réguliers du balancier de la grosse comtoise derrière la vitrine tel un chat hypnotisé par un ballet d’oiseaux. Parfois, elle avait envie de crocheter la serrure et de prendre une montre à gousset dans ses mains, sentir son petit cœur mécanique pulser en égrenant les secondes contre sa peau.
Mais dans son monde, mieux valait avoir le ventre plein qu’un tic tac à écouter sous son oreiller. Si elle devenait un jour assez habile pour en chaparder une, elle la garderait pour elle-même.
Le festival de cette année n’avait pas grand intérêt, mais il avait au moins l’avantage de présenter spectacles et chansons partout dans la cité. Plus d’endroits, plus de gain. Les poches cousues à l’intérieur de sa chemise trop grande au niveau de sa poitrine peu développée étaient bien remplies.
Le soleil se couchait, les festivités nocturnes allaient bientôt commencer. L’Indigo mêlé d’orange du ciel jetait sur les carreaux des fenêtres des formes abstraites de vitraux digne de la grande cathédrale. Il était temps pour Lexie de regagner sa masure dans la Basse Ville. Les feux d’artifice n’avaient pas de réel attrait pour elle, c’était même tout le contraire. Aussi descendit-elle de son perchoir et trancha par la moitié le flux qui allait à contresens.
Alors que le centre de la Haute Ville se vidait de son humanité, Lexie emprunta la ruelle qui menait à l’horlogerie. La boutique était fermée, et personne susceptible de la surprendre. Elle s’assit à même le sol pavé et regarda. L’horloger avait ajouter une nouvelle pièce, une jolie montre à gousset dont les rouages du cœur apparaissaient sous les aiguilles et le verre. La rumeur des gens était si loin qu’en posant l’oreille contre la vitrine, Lexie était certaine de pouvoir entendre le battement de chacune.
Soudain, toutes les horloges s’arrêtèrent. Le balancier de la comtoise se figea dans son mouvement, les trotteuses interrompirent leur rotation. Lexie fronça les sourcils et se leva. En approchant de la vitrine, elle inspecta chaque instrument, mais n’en découvrit aucune en état de fonctionnement. En tendant l’oreille, elle se rendit compte qu’un silence de plomb avait enveloppé la Haute Ville. Aucun aboiement, pas de sabot à racler les pavés, pas de gloussement. Pas une corneille à protester sur la tête des gargouilles de la cathédrale.
Un silence si parfait qu’elle entendait son propre cœur battre à ses oreilles.
Par curiosité, elle alla prospecter du côté de la grand-place où s’était réuni les trois quarts des habitants. En passant devant, elle remarqua que le grand cadran de l’église n’avait pas bougé depuis son dernier passage. Puis elle constata que le phénomène avait touché toute la cité. Les gens étaient figés, parfois dans des postures comiques. Lexie se moqua de l’expression d’une dame coincée avec les yeux et la bouche entrouverts qui lui donnaient l’air d’une carpe en train de loucher. Lexie aurait pu croire à une blague collective, mais lorsqu’elle voulut enfoncer son doigts dans la panse molle d’un valet aux yeux clos, elle rencontra un corps dur comme la pierre.
Lexie était la seule à pouvoir encore aller et venir comme bon lui semblait.
Les jours qui suivirent furent les plus heureux de sa vie. Si elle ne pouvait déplacer les gens, au moins pouvait-elle se servir sur les étalages de nourriture, se goinfrant de brochette de viande marinée dans le thym et le citron, de friandises au caramel ou à la cannelle, de fruits confits et autres confiseries jusqu’à ne plus pouvoir rien avaler. Chaque soir, elle regardait la bosse de son estomac plein avec ravissement, comme une maman observant l’avancée de sa grossesse inespérée.
Le ciel non plus ne changeait pas. Il restait coincé entre le jour et la nuit dans un éternel duel de bleu et de rouge, entre lesquels se tissait une ligne floue de mauve. Lexie était incapable de dire combien de temps s’était écoulé depuis l’instant fatidique, et s’en moquait éperdument.
Elle mangeait une des dernière pomme au caramel d’un étal lorsqu’il apparut. C’était un garçon, d’environ le même âge qu’elle, avec un voile de terreur sur le visage. Lexie cessa de bouger, les dents encore plantées dans sa pomme. S’il croyait qu’elle s’était elle aussi transformée en statue, peut-être passerait-il son chemin.
Manque de chance, il croisa son regard et elle eut l’instinct idiot de détourner le sien. Il accourut vers elle tandis qu’elle lâchait un profond soupir de déception.
— Hey, toi ! Tu n’as pas été touché par la malédiction ?
— Une malédiction ? répéta-t-elle la bouche pleine de pomme, le caramel lui collant au dents.
— Tout s’est arrêté, même les gens. Dans les ferme, plus rien ne bouge non plus, ils sont tous durs comme des mots. Je suis venu chercher de l’aide en ville, mais tout ici est pareil. Est-ce que tu as essayé de trouver une solution pour arranger tout ça ? Cherché la cause du mal ?
Lexie mâchonna sa friandise avec un air faussement coupable.
— Euh… Non ?
— Quoi ? Ça ne te fais donc rien que rester bloquée dans ce.. dans cette… Et pourquoi il n’y a que nous que la malédiction n’a pas touchés ?
— Qu’est-ce que j’en sais ? répondit Lexie. Depuis que tout s’est arrêté, ma vie n’a jamais été aussi belle et facile. Alors non, je n’ai rien cherché et ça m’arrange bien.
— Et que feras-tu quand il n’y aura plus rien ? s’enquit-il en désignant la rue aux étals à moitié vides. Tu iras égorger toi-même des vaches dont le cou est plus solide que la roche de cette fichue cathédrale ?
— Oh, ça va, je…
— Vous êtes marrant, tous les deux, intervint une voix non loin d’eux.
Sur le parvis de la cathédrale, un homme aux traits sans âge et aux yeux d’or se tenait assis. Ses cheveux étaient de la même teinte ébène que son vêtement. Lexie ne l’avait jamais vu en ville.
— Vous êtes qui ? Demanda-t-elle, méfiante. Et pourquoi vous bougez, vous aussi ?
— J’ai bien des noms, mais tu peux m’appeler Shann. Le temps n’a pas de prise sur son maître.
Lexie laissa échapper un rire.
— Vous ? Le maître du temps ? La bonne blague !
D’un coup, l’homme n’était plus là.
— Maître, père, peu importe, dit sa voix dans le dos de Lexie. Votre problème ne vient pas d’une malédiction. Vos idiots de prêtres ont trouvé mon sablier, et se sont amusés à faire des expériences dessus. Je perds souvent mes affaires…
— Est-ce que l’on peut arranger tout ça ? Demanda le garçon, plein d’espoir.
— Possible. Ramenez-moi mon sablier, et tout reprendra son cours.
— Où est-il ?
— Première nef à droite, sous la trappe, direction les catacombes, répondit nonchalamment l’homme en désignant les portes du monument.
Le garçon se rua sur les portes. Elles n’étaient pas vivantes ; elles s’ouvrirent sans le moindre effort, et il disparut dans les entrailles froides de la cathédrale.
Lexie, elle, fixait l’étranger. Ses traits lui semblaient familiers. Un membre discret de la secte des voleurs ? Non. Des yeux pareils ne s’oubliaient pas. On aurait dit deux billes d’or en fusion.
— Qui êtes-vous réellement ?
— Je te l’ai dit. C’est trop fatiguant de mentir.
— Pourquoi nous ? Pourquoi avons-nous été épargnés par toute cette… chose ?
L’homme médita sa réponse.
— J’ai eu des enfants, dans un autre âge. Qui sait…
Le garçon avait fait vite. Il soufflait comme un bœuf et transpirait à grosses gouttes. Entre ses doigts se trouvait le fameux sablier, maintenu à l’horizontal. Le sable, en suspens, ne pouvait aller ni en bas, ni en haut. Il le tendit à l’homme aux yeux d’or, qui le prit et le caressa tendrement du pouce. Lexie le contemplait comme un rat mort. Il signifiait la fin de sa tranquillité.
Lexie sentit le poids des yeux étranges de l’homme. Il tenait son index coincé contre le bout de son pouce, prêt à donner une pichenette dans le verre du sablier. La question modelait les traits de son visage mat. Elle aurait au moins bien vécu pendant un temps. Lexie se résigna, et tourna les talons.
Derrière elle, le tintement du verre s’échappa en écho à travers toute la cité, et ce dernier se trouva vite avalé par le chahut des gens qui reprenaient vie, comme si de rien n’était.
Une main se posa sur son épaule, et avant qu’elle ne réagisse, la ville disparut, un petit sablier pressé contre son cœur.

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Sayuri.K
Sayuri.K
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Le maître du temps Empty Re: Le maître du temps

Dim 24 Avr - 22:27
J'adore !! Dès le début j'étais transportée <3 On entre dans la peau de Lexie super facilement et c'est captivant, comme si on avait nous-même les doigts baladeurs à essayer de voler les gens. L'arrêt du temps est super intriguant et j'adore ce personnage de maître du temps mystérieux et assez sûr de lui. On ne peut pas blâmer Lexie d'avoir voulu profiter du temps figé pour se goinfrer, je veux dire on est des miettes après tout x) J'aurais tellement aimé lire la suite j'étais à fond dedans ! Grand bravo à toi Lupi 🤗

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Azulys
Azulys
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Le maître du temps Empty Re: Le maître du temps

Lun 25 Avr - 10:47
Je rejoins Sayuri, on est tout de suite happé par le texte et le déroulement de l'histoire. C'est fluide et agréable à lire Smile

lupinae aime ce message

Admin
Admin
Admin
Messages : 571
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https://lapainpaute.forumactif.com

Le maître du temps Empty Re: Le maître du temps

Ven 13 Mai - 14:48
Franchement bravo ! Very Happy ça se lit très facilement, tu écris toujours aussi bien !
Je pense peut-être qu'au début, tu aurais pu remplacer les explications par de l'action. Mais à part ça, rien à dire ! Very Happy

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Martatin
Martatin
Messages : 167
Date d'inscription : 07/10/2021
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Le maître du temps Empty Re: Le maître du temps

Ven 13 Mai - 17:58
ça me TUE comment en si peu de temps tu as écrit autant et d'une telle qualité x') Franchement, tes descriptions me soufflent toujours parce qu'elles sont très faciles à lire (j'ai habituellement beaucoup de mal à resté concentré), et elles sont très esthétiques. J'ai beaucoup aimé le caractère de Lexie, comment elle prenait la situation, et je ne suis pas sûr d'avoir compris la fin mais ce n'était pas dérangeant (l'histoire était très cool). Gg pour ton texte !

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lupinae
lupinae
Messages : 211
Date d'inscription : 07/10/2021
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Localisation : Basse Normandie

Le maître du temps Empty Re: Le maître du temps

Mar 17 Mai - 10:17
Merci beaucoup ! Venant du maître de l'ambiance et de l'émotion, ça me touche !
En vrai, j'ai l'impression d'être une BILLE en description ^^"
Pour la quantité, je pense que c'est juste une question d'habitude : si j'ai en tête tout le déroulement du début à la fin, c'est comme si j'étais prête-plume et je tape ce qu'on me dicte ^^"
lupinae
lupinae
Messages : 211
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Le maître du temps Empty Re: Le maître du temps

Mar 17 Mai - 10:18
Sayuri.K a écrit:J'adore !! Dès le début j'étais transportée <3 On entre dans la peau de Lexie super facilement et c'est captivant, comme si on avait nous-même les doigts baladeurs à essayer de voler les gens. L'arrêt du temps est super intriguant et j'adore ce personnage de maître du temps mystérieux et assez sûr de lui. On ne peut pas blâmer Lexie d'avoir voulu profiter du temps figé pour se goinfrer, je veux dire on est des miettes après tout x) J'aurais tellement aimé lire la suite j'étais à fond dedans ! Grand bravo à toi Lupi 🤗

Merci !!!
lupinae
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Le maître du temps Empty Re: Le maître du temps

Mar 17 Mai - 10:19
Azulys a écrit:Je rejoins Sayuri, on est tout de suite happé par le texte et le déroulement de l'histoire. C'est fluide et agréable à lire Smile

Un gros gros merci à vous deux I love you
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Le maître du temps Empty Re: Le maître du temps

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