Le Maître des Horloges

— Et c’est ainsi que ma démonstration s’achève, conclut Louis en faisant claquer les pages de son énorme classeur.
Le jeune homme écouta avec attention les questions des jurés et y répondit d’un ton qu’il voulut assuré, mais son esprit était déjà ailleurs. La thèse de sa vie sur les molécules organiques venait de se terminer sur une note décevante, et les visages fermés de ses juges ne trompaient pas. Son raisonnement était brillant, d’une lucidité et d’une clarté exemplaires, mais, comme toujours, il avait manqué de temps. Peu importait le degré de préparation qu’il mettait dans ses présentations, il finissait toujours aussi essoufflé qu’un mauvais marathonien en bout de course, la gorge sèche, les mains tremblantes et les doigts blanchis sous la pression de son classeur. Il savait qu’il avait échoué avant même d’y apporter la touche finale. Non pas à cause d’un manque de préparation, mais toujours à cause d’une mauvaise notion temps qu’il traînait depuis son plus jeune âge, avant même qu’il ne rentre dans les études secondaires. Dernier à sortir de classe, à ranger ses affaires, ou même choisi dans les équipes de sport. Et comme toujours, l’étudiant avait perdu le fil de son monologue et avait été surpris par le défilé fulgurant des horloges.
— Merci, monsieur…Elliott, déclara une des jurés au port altier, en jetant un rapide coup d’œil au dossier qui était posé juste devant elle. Vous pouvez sortir. Nous vous rappellerons lorsque nous aurons fini de délibérer.
Louis acquiesça, les yeux brillants et ramassa sa sacoche en cuir. Il passa devant le tableau noir recouvert de ses dessins, calculs et autres formules chimiques avortées et s’empressa de quitter la pièce. Sa queue de cheval se balança un instant lorsqu’il se rassit sur sa chaise et il passa ses mains moites sur son visage rougi par l’effort. Il se sentit aussitôt ridicule, transpirant qu’il l’était dans le couloir climatisé, entouré d’esprits aussi brillants que novateurs, de professeurs qu’il avait toujours admiré et qu’il en était convaincu, avaient été déçus par sa thèse. Des mois qu’il s’entraînait à décortiquer les moindres failles de sa démonstration, pour se perdre au final dans des contemplations aussi frivoles que chronophages et perdre de vue sa conclusion. Il avait été stupide, trop ambitieux. « Tu crois que tu trompes qui Lou’ ? retentit une voix féminine dans sa tête. À jouer à Stephen Hawking ? Tu viens de Harlem de New York, pas de de l’Upper East Side ! Je me casse le dos tous les jours au boulot, et toi tu crois que tu peux te permettre de te prendre pour un grand scientifique ? Tu aurais dû reprendre la boutique de ton père et puis c’est tout. Tu reviendras pas la queue entre les jambes, c’est moi qui te le dis. Tes études, ton choix, tu te débrouilles. » La voix se tut, aussi rapidement qu’elle s’était immiscée dans son esprit. Dans un élan de frustration, le doctorant balança son classeur sur le sol avec un cri de rage avant de le pousser du pied comme si la seule vision de ses travaux était un rappel foudroyant porté à son orgueil et tous ses espoirs déchus. Sa mère avait raison, il ne dupait personne dans son costume tout rapiécé et ce corps métissé qu’il n’avait pas choisi. Il s’était tué à la tâche pour recevoir sa bourse, intégrer l’université de Columbia, renier ses origines, mais à présent son arrogance lui revenait en pleine figure. Et dans un instant on allait le rappeler, et ses dernières incertitudes voleraient en éclat. Si seulement il pouvait arrêter le temps, le figer et ne jamais recevoir le verdict des jurés. Non, mieux, le remonter, et recommencer. Cette fois il ferait mieux. Si on lui donnait une deuxième chance, il la saisirait.
Il secoua la tête et un maigre sourire étira ses lèvres avant de se fondre dans son regard brun et maussade. Qu’est-ce que la vieille folle de son quartier lui avait dit déjà ? Que s’il y croyait suffisamment il pouvait contrôler le temps ? Fermer les yeux, serrer les poings, revenir en arrière comme elle lui avait montré ? Cette vieille voyante au visage ridé comme un pruneau n’avait plus toute sa tête, son voisinage lui avait assez répété durant son enfance, mais tout à coup ses instructions ne parurent plus si ridicules. Il n’avait rien à perdre à croire à ses anciennes superstitions. Après tout, elle qui lui lisait les lignes de sa main lorsqu’il n’était encore qu’un bambin, elle qui venait le chercher après l’école et s’octroyait le titre de baby sitter, elle qui lui racontait des histoires à dormir debout, avait toujours cru en ses capacités et lui offrait une porte de sortie à la fois éphémère et salvatrice. Il pouvait toujours essayer. Et puis, pourquoi est-ce que les miracles ne devaient toujours arriver qu’aux autres ?
Il se concentra sur sa respiration, chassa son scepticisme, balaya ses doutes, et ferma les paupières. Le couloir était désert. Seuls les tics tacs de l’horloge et les ronflements réguliers de la climatisation troublaient le silence et il n’avait aucun mal à les ignorer. Des échos de la sorcière lui revinrent rapidement en mémoire. « Il faut que tu puises au plus profond de toi mon p’tit Lou, et que tu y crois, sinon ça ne marchera pas. » Et pendant un instant, il y cru. Et le miracle se produisit. Soudainement, les tics tacs se turent, la climatisation devint mutique, et le couloir baigna dans une atmosphère surnaturelle. Louis le sentait au fond de lui, le temps s’était bien arrêté.
La vielle sorcière avait raison !
Il ouvrit les paupières et se mit à arpenter le couloir, les yeux rivés sur l’horloge figée dans sa balade éternelle. L’aiguille des secondes tremblait légèrement, tressautait même par moments, mais ne reprenait jamais complètement sa course autour des cadrans. Ce n’était pas un hasard, ni un mauvais fonctionnement du système interne, mais bien l’œuvre d’une force extérieure.
Un sourire franc flotta spontanément sur les lèvres de l’étudiant. Pour une fois, Louis avait tout le temps du monde, et il comptait bien en profiter. Plus jamais de « t’es à la bourre ! », plus jamais de sprint derrière le bus, de billets de retard, de regards désobligeants et remarques méprisantes, si ce pouvoir se révélait marcher sur la durée, le temps n’aurait plus jamais d’emprise sur lui.
En une fraction de seconde et une bonne dose de magie, il était devenu le maître des horloges.

Coucou Allya, bravo pour ce texte ! J'ai beaucoup aimé ton idée, on s'attache très facilement à Louis et à son envie de réussir. Je me reconnais beaucoup en lui, moi aussi j'ai un gros problème de gestion de temps ^^ Pour la lecture, j'ai été légèrement perturbée par la longueur du paragraphe à partir de "Louis acquiesça", je pense qu'il aurait mérité d'être scindé en deux ou trois. Certaines de tes phrases sont longues aussi donc même remarque. Mais en dehors de ça, j'ai vraiment passé un très bon moment Le passage avec l'intervention de la mère et de ses reproches était super bien écrit. Ça m'aurait plu de savoir comment Louis allait utiliser tout ce temps qui s'offrait soudain à lui

Très chouette comme histoire   Ton style est foisonnant, c'est très imagé et on arrive bien se représenter ce qui se passe et les sentiments du personnage, ça c'est bien ! J'ai juste été parfois un peu dérangée par la longueur de certaines phrases qui mériterait peut-être d'être découpées pour davantage jouer sur le rythme phrases longues / phrases courtes (ce que tu fais à d'autres moments et c'est top   ) Bravo pour ta participation  

C'est un bon texte ! J'ai beaucoup aimé ton style et ton idée. Ton personnage est très attachant, même cette petite vieille. Le passage de la mère était top ! J'ai aussi trouvé qu'il y avait quelques longueurs mais en 1h30 c'est compliqué

Bravo pour ta participation !

Bravo pour ton texte ! On aime beaucoup le personnage de Louis, ça se lit très bien et le rythme est bon ! Attention aux répétitions :
"Non pas à cause d’un manque de préparation, mais toujours à cause d’une mauvaise notion temps qu’il traînait depuis son plus jeune âge, avant même qu’il ne rentre dans les études secondaires."
Et peut-être attention au moment où tu racontes beaucoup l'histoire de Louis, au lieu de passer plus de temps sur le moment où il arrête le temps.
Merci pour ta participation !