Jour 666...

Comme tous les soirs depuis désormais 666 jours, Eve affrontait un dragon lanceur de flammes. Sans armure pour se protéger du feu, la pauvre femme s’apprêtait ainsi à assister en toute impuissance à sa propre mort. Encore une fois, murmura-t-elle de sa voix brisée par les horreurs qu’elle avait subies. La créature à trois têtes, avançait rapidement et avec rage vers sa proie habituelle, lorsqu’elle disparut soudain après ce qui semblait être, le bruit d’une main frappant sur une porte. Bruit qui délivra Eve de son affreux cauchemar. Le sentiment de soulagement qu’elle avait ressenti à son réveil, n’avait été que de courte durée car elle savait où elle résidait. Le repos ici n’existe pas se répéta t-elle machinalement. La tête dans le brouillard formé de pensées noires, Eve n’entendit pas le second tambourinement à sa porte et paniqua lorsque celle-ci tomba violemment par terre. Qu’allait-il lui réserver cette fois-ci ? Deux énergumènes apparurent dans sa chambre - seule pièce de cette maison miteuse - en prenant la pose tels superman et batman, avant de beatboxer à l’unisson  :

- Nous sommes la police, qui combat les injustices ! Nous Lloyd et Harry, unis comme les deux pieds, nous ne flancherons jamais !

Eve, vêtue d’un pyjama sale et en lambeau, sonnée par cette intervention lunaire, ne sut comment réagir. Puis, l’appréhension vint. Qu’avait-elle fait pour que la police débarque ici ? Était-ce possible qu’on lui réserve un châtiment encore plus horrible que ce qu’elle endurait déjà ? Un des policiers, Harry, qui était le plus grand et imposant des deux, en voyant le visage de la jeune femme couvert de bleus et cicatrices, perdit rapidement en assurance. Comment allait-il lui annoncer la nouvelle ? Il se creusa le peu de méninges qu’il possédait, puis trouva la solution parfaite : déléguer la tâche à son collègue. Il sortit ainsi de la maison satisfait par l’ingéniosité de son plan. Lloyd, en voyant son bras droit - ou plutôt son deuxième pieds - déguerpir de la sorte se résigna donc à annoncer l’innommable :

- Madame Paumière, euh…comment dire…Je suis envoyé par le Très Grand. Il a repéré une erreur dans votre dossier que nous avions traité. Pour la faire courte euh…Eve Paumière, on vous a confondu avec Eve Première qui elle devait aller en enfer…contrairement à vous. Du coup, je suis ici pour vous emmener au paradis.

Eve qui était habituée aux pièges du malin, n’en crut pas un mot. Lui faire miroiter l’espoir d’aller en haut, c’en était trop ! Sans pouvoir contenir son énervement, elle laissa s’échapper une insulte  :

- Bande de salauds ! Vous êtes affreux ! Affreux !

Il y eut un court silence, puis, Lloyd, une main à l’oreille rétorqua :

- On vient de me transmettre à l’oreillette que le Très Grand vous a entendu. Un peu de retenue madame Paumière, avait-il déclaré avec fermeté.

- De la retenue ! Je ne fais que ça, me retenir ! Je me retiens chaque jour de ne pas exploser face à cet endroit épouvantable ! De rester forte malgré les épreuves atroces que je dois endurer ! De…

Elle fut coupée dans son élan par le policier qui consultait son téléphone :

- Attention madame Paumière ! Votre note de bonté est en train de chuter. Vous étiez à 4,6 et maintenant vous n’êtes plus qu’à 4,1. Le jugement ne s’arrête pas sur Terre, mais continue aussi ici.

- Qu’elle dégringole ! Je n’ai que faire de vos conneries ! Dites à votre soi-disant “Très Grand” qu’il peut aller au diable !

- 3,00. Blasphème ! Madame Paumière…si vous passez en dessous des 2,5, vous serez condamnée à rester en enfer pour le restant de votre mort.

Et sur ses menaces, Eve qui était à cran depuis le début de cette discussion qui n’en était pas vraiment une, frappa avec rage le visage si parfait du policier. Ce dernier, sonné, tomba à terre comme la porte qu’il avait défoncée plus tôt avec Harry. Eve ressentit immédiatement un grand soulagement. Voilà longtemps qu’elle ne s’était pas défoulée de la sorte. Mais le Très Grand, étant omniscient, avait tout vu. Elle ne connaîtra pas le salut.