Sortir de la grotte

Une douleur lancinante me vrille l’arrière de la tête et je soulève les paupières en grognant.

« Bordel… Qu’est-ce que… »

Je m’arrête net.

J’écarquille les yeux le plus possible, mais rien à faire : j’y vois que dalle.

« Putain… Phil, espèce de saloperie de connard de merde ! Dans quel trou tu m’as jeté ?! »

Ce sale traître l’emportera pas au paradis. Après quelques insultes supplémentaires, histoire de me défouler, je tente de me calmer. Je dois me concentrer pour réussir à sortir de là. Je me redresse mais un violent vertige m’empêche de me lever. Une fois le monde que le monde s’est stabilisé, mon premier réflexe est de porter la main à ma ceinture ; évidemment, ma lampe torche brille par son absence. Je tâte alors soigneusement le terrain autour de moi. Le sol est irrégulier, rocheux et un peu sablonneux. L’humidité s’infiltre à travers mes vêtements. Un goutte-à-goutte non loin de moi me fait dresser l’oreille et j’hésite un seconde ; dois-je m’en approcher, ou bien au contraire m’en éloigner ? La voix de mon mentor résonne dans mon esprit :

« Quand on est paumé, Lewis, il faut trouver des points de repère. »

Il aurait bien honte de moi, aujourd’hui… Ma neuvième expédition, et je me fais avoir comme un bleu… Ma frustration explose et je frappe le sol de toutes mes forces. Je l’avais eue dans les mains ! Après des mois de recherches et d’efforts au milieu de la bouillasse, des moustiques et des serpents, je l’avais enfin trouvée… tout ça pour me retrouver nez-à-nez avec le flingue de Phil Carston.

« Bravo, Lewis ! Donne-la moi, maintenant.
- Sale connard de…
- J’veux pas te buter, alors donne-moi l’idole. Maintenant.
- Va te faire foutre ! Si tu la veux, tu vas être obligé de me descendre, mon gars. Et je te jure que t’as pas intérêt à te louper, parce que… »

Un violent coup par derrière avait mis fin à mes menaces.

Je me secoue mentalement. Ce n’est pas le moment de ressasser tout ça. Pour l’instant, je dois trouver le moyen de sortir d’ici.

« Le point de repère, abruti », marmonné-je entre mes dents serrées.

Je me dirige à quatre pattes vers le son du goutte-à-goutte et me retrouve les deux mains dans une flaque d’eau. Enfin, j’espère que c’est bien de l’eau. Je lève les bras et mouline dans le vide, avant de toucher une surface humide, polie mais légèrement bosselée. C’est une colonne. Une colonne de pierre. Une stalactite d’où coulent les gouttes que j’entends depuis tout à l’heure.

« Putain, Phil… »

Ce connard a abandonné mon corps dans l’une des nombreuses grottes qui trouent les falaises de la région.

« « J’veux pas te buter… » Sans blague, fils de pute ? Tu veux pas buter mais tu me balances là-dedans ?! »

Un bruissement d’ailes éclate brusquement au-dessus de moi, me faisant sursauter. Je rentre instinctivement la tête dans les épaules alors que la partie rationnelle de mon cerveau me hurle déjà la réponse à mes ennuis.

Ou bien le bon moyen d’aggraver ma situation.

Des chauves-souris.

Des milliers de chauves-souris qui s’élancent toutes ensemble dans la même direction. Mais quelle direction ? Est-ce qu’elles sont en train de revenir de leur chasse nocturne, et dans ce cas elles s’enfoncent au cœur de la grotte ? Ou alors la quittent-elles, justement ?

Si je les suis, dans le premier cas, je me condamne moi-même. Dans le deuxième cas, je suis sauvé.

Ce n’est pas la première fois que je frôle la mort. C’est d’ailleurs pour ça que je n’ai pas paniqué. Pour l’instant. Mais ça y est, je la sens monter, cette panique insidieuse qui veut me paralyser. Mourir à petit feu, de faim et de soif, dans le noir le plus complet, est sans aucun doute la pire des manières de passer l’arme à gauche. J’aurais préféré que Phil me colle une balle.

Non.

Je préfère vivre.

Et si je reste là, je suis sûr d’y passer.

Je suis le battement d’ailes, aussi vite que je le peux, à quatre pattes. C’est moins risqué que de se lever, buter sur un caillou et s’écraser tête la première.

« Aïe ! Merde… »

Je viens de me planter quelque chose dans la main. Pas grave. Je verrai ça une fois à l’air libre. Je ne ralentis pas, malgré le sang qui poisse ma paume et mes genoux écorchés. Bientôt, je sens que le terrain se relève. C’est sans doute une bonne chose. J’approche certainement de la sortie. Je n’entends plus les chauves-souris, mais maintenant que je suis lancé dans une direction, je n’ai plus besoin d’elles.

Un air frais caresse mon visage, et mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Oui ! Cette fois, aucun doute n’est plus permis, je vais m’en sortir.

Je ne vois toujours rien, mais si c’est bien la nuit, et que l’ouverture de la grotte est petite et encombrée, alors ça n’est pas anormal.

Le vent se renforce et un hululement résonne dans le lointain. Sous mes doigts, la pierre est remplacée par l’herbe et les feuilles.

Mais je ne suis pas sorti.

Je ne vois toujours rien.

Le hululement retentit à nouveau, encore plus proche. L’odeur moussue de la forêt remplit mes poumons.

Mais je ne vois toujours rien.

« C’est… C’est pas possible… »