Eline et le chat

[Justice, Pape, Diable. J'ai choisi la justice.]

— Dégage, sale bâtard !

Eline leva les yeux du plan de travail et vit le dit bâtard s’enfuir par la fenêtre de la cuisine. Le pelage noir du félin était tout hérissé. Elle secoua la tête, affligée, et se remit à émincer les oignons. Depuis quand est-ce qu’on traitait les animaux avec tant de violence ? Une larme roula sur sa joue. Etait-ce de la tristesse ? du dépit ? de la Fatigue ? De l’ennui ? Ou tout simplement à cause des oignons ? 

— Putain, il a mis des poils partout ! Faut tout que je recommence maintenant !

Agacé, Jo balança sa casserole dans l’évier et quitta la cuisine. Eline le vit se griller une cigarette à travers la fenêtre. Elle souffla. S’il pensait que c’était en encombrant ses poumons qu’il règlerait ses accès de colère, il se mettait le doigt dans l’œil. 

Eline aimait beaucoup les animaux. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour voir si elle ne voyait pas le chat. Rien du côté des poubelles. Rien non plus de l’autre côté de la rue. Le pauvre petit loup avait dû être traumatisé. 

— T’as fini tes préparations ? 

Surprise, Eline faillit renverser son cul de poule. Elle hocha la tête, muette, et attrapa les tupperwares.

— Tout est là, chef. Y a plus qu’à les mettre dans…

— Eh beh tu te sors les doigts et tu t’actives. Je te paie pas à mater les oiseaux !

Eline ne répondit pas et s’exécuta. Carpaccio de tomates, dés de gruyère, émincés d’oignons... Quand elle eut fini, Jo considéra les tupperwares d’un œil mauvais.

— Tu peux y aller. Et sois pas en retard demain ! 

— Non, non.

Attrapant sa veste d’une main agile, elle s’enfuit.

Dehors, Eline se mit à courir jusqu’au coin de la rue. Arrivée à bonne distance, là où nul ne pouvait la voir, elle laissa échapper ses larmes. Elle n’en pouvait plus d’être considérée de la sorte et, en même temps, elle ne pouvait pas se permettre de quitter son job. 

Que faisait-elle de sa vie ? Elle n’apprenait rien, ne découvrait rien. Elle aimait les gens, les langues étrangères, les voyages...mais passait sa vie dans un tacos miteux à se faire aboyer dessus. Comment survivrait-elle ne serait-ce qu’une journée de plus ? Demain serait pareil. Après-demain aussi. Où était le charme dans sa vie ? 

Soudain, elle sentit quelque chose se frotter contre ses jambes et essuya ses larmes d’un revers de main. Amusée, elle constata que le chat noir était revenu à elle. Il devait avoir faim. 

— Je suis désolée, dit-elle en s’agenouillant, j’ai rien pour toi.

Elle posa sa veste et réalisa que ce n’était pas vrai. Elle donnait de l’attention. Elle lui offrait des caresses et le ronronnement du chat indiquait ce bonheur simple. 

Attendrie, Eline s’assit par terre entre deux poubelles et continua les papouilles. Lorsque le chat grimpa sur ses jambes, elle découvrit une tache blanche au niveau de son cou. En forme de cœur. Ce chat était né Amour. Elle aussi aurait aimé n’être qu’Amour, seulement voilà, elle ne vivait pas sa meilleure vie. 

— C’est facile pour toi, tu en as sept. Ou neuf d’ailleurs, je sais plus. Alors, dis-moi, laquelle est ta préférée ? 

La cathédrale à deux rues sonna huit coups et le chat sursauta avant de se dégager du lit improvisé. Le vent s’invita dans leur repère et le sombre félin s’enfuit.

— Hé attends, tu ne m’as répondu !

Eline resta dans l’incompréhension quelques secondes. Pourquoi faire des efforts dans la vie si les autres l’abandonnaient. Même les chats.

Elle se releva péniblement, ramassa sa veste et fit quelques pas. Dans la nuit qui commençait à poindre, elle distingua une forme. Curieuse, elle s’en rapprocha.

— Ah bah t’es là, toi ! 

Le chat ne s’était pas enfui bien loin finalement et la fixait de ses yeux jaunes en amande. C’était bête mais elle ne put s’empêcher de sourire. Son regard avait un je-ne-sais-quoi de spécial, de doux, de vrai. Il ne quémandait pas de nourriture, il lui transmettait son énergie, ses ondes. 

Eline se pencha, approcha sa main mais le chat recula. Elle s’en étonna et remarqua un papier que le vent avait emporté. C’était une page de journal. Elle la ramassa. Il indiquait des offres d’emploi et son regard en accrocha une. 

— Réceptionniste en auberge de jeunesse.

Les gens, les langues étrangères, le voyages… Wow. Le chat miaula à ses pieds comme pour l’encourager à appeler.

— T’es mignon mais c’est pas parce qu’ils cherchent quelqu’un, qu’ils voudront de moi.

Il miaula une nouvelle fois.

— Ok, ok, j’appelle !

Eline sortit son téléphone portable et composa le numéro. Pendant les deux premières sonneries, elle observa le félin, scrutant la tache blanche à son cou. Elle avait changé. Ce n’était plus un cœur mais un croissant de lune et la forme muait encore. Très vite le croissant devint sourire et le chat s’enfuit.

— Allo ?

Eline ne réagit pas. Que se passait-il ? Qui était ce chat ? Elle frotta ses yeux de sa main libre et mordit sa lèvre, pensive. Elle chercha le chat des yeux mais il avait disparu.

— Allo ? Réitéra la voix au téléphone. 

— Oui, oui, dit-elle enfin, je vous appelle...au sujet de l’annonce. Euh...pour le poste de réceptionniste. 

Eline se sentit traversée par une énergie nouvelle. Comme si la vie lui offrait une chance de s’épanouir soudain. Le méritait-elle ? Rien n’était moins sûr mais elle restait convaincue que ce chat n’était pas venu à elle par hasard, qu’il avait entendu son appel à l’aide, qu’il...

— On peut se rencontrer demain ? 

Demain ? Et Jo ? Elle hésita une seconde. Non, il n'y avait pas à hésiter.

— Entendu pour demain.

Eline souriait. Demain serait le début de sa nouvelle vie.

J'ai beaucoup aimé, je me suis vraiment laissée porter par l'histoire Au début, j'ai cru qu'il allait arriver quelque chose de fâcheux au chef, mais non, dommage

Daikitumichi a écrit:J'ai beaucoup aimé, je me suis vraiment laissée porter par l'histoire Au début, j'ai cru qu'il allait arriver quelque chose de fâcheux au chef, mais non, dommage  

Hello, merci Michi pour ta lecture. Effectivement, j'ai pensé à lui balancer un frigo dans la tronche mais je me suis dit que perdre une employée sans être prévenu suffisait comme karma ^^

Je suis d'accord qu'un chat dans une cuisine c'est pas top. Même si je préfère ça aux mains couvertes de nicotine mais bref. On touche pas aux animaux !
Surtout que c'est un petit chat porte-bonheur. Il l'aide à s'en sortir c'est trop mignon.

Oh elle est trop mignonne cette histoire, elle se lit super bien Le chat, le petit ange gardien d'Eline qui est venu l'aider à changer sa vie Et pour le coup oui, c'est la justice qui parle! Le chef ne l'a pas traitée correctement alors il perd son employée, c'est très bien ! Outre l'histoire, le style est très agréable et les phrases bien construites je n'ai vraiment rien à reprocher Bravo Diba, un atelier réussi haut la main !

La violente en moi espérait vraiment que le chef allait se prendre une dérouillée, mais non, c'était beaucoup plus doux et, au final, plus "juste" : comme ta carte <3 C'était trognon, bien écrit, avec des petites effluves de vie réelle

Par contre : "Le pauvre petit loup avait dû être traumatisé." Je croyais qu'on parlait d'un chat ! x3

Tu as écrit une belle histoire

J'adore ton histoire ! C'est très bien écrit et je suis tellement contente qu'Eline puisse se barrer de là !
Bravo pour ton texte !