La painpauté
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Céhah
Céhah
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Date d'inscription : 25/09/2022
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Localisation : Loire-Atlantique

Le château de Chantdoiseau Empty Le château de Chantdoiseau

Dim 30 Oct - 0:12



Très cher monsieur Mar,

J’ai l’honneur de vous inviter en mon humble demeure de Chantdoiseau pour notre célébration annuelle de la Pleine Lune d’Automne, le 31 de ce mois. En tant que grand admirateur de vos écrits, je n’ai pas su résister à l’envie de vous voir parmi mes convives. J’espère que nous aurons l’occasion de converser autour d’un verre.

A bientôt,

                                                                                  Robert, comte de Chantdoiseau



Voila la brève lettre qui m’a amené ici, dans une clairière au fond des bois, là où se dresse Chantdoiseau. Il faut reconnaître une certaine modestie au comte qui qualifie son château d’humble demeure, tant Chantdoiseau est somptueux. Tout n’est que tour, tourelle, pinacle ou clocheton. Pas un pauvre bout de mur n’est dépourvu d’ornementation, aussi subtile soit-elle. Je n’ai jamais vu de tel monument au cours de mon existence.

Pour l’heure, les convives sont dehors. En attendant que la Pleine Lune se lève, ils rient, faussement peut-être, mais c’est plaisant à entendre. Ils portent tous des masques dont le faste n’a d’égal que celui du lieu. Le comte n’a pas jugé utile de me prévenir du code vestimentaire de cette soirée. J’ignore comment, mais il devait se douter que je connaissais déjà les fêtes qu’il organisait. Après quelques minutes à rester seul, je suis abordé par une voix féminine dans mon dos.
- C’est votre première fois ici, non ? Vous ne me dîtes rien…
- En effet, le comte ne m'avait encore jamais invité ici.
- Sans doute vous a-t-il découvert dans le courant de l’année. Vous êtes ?
- Harold Mar, écrivain. Et vous ?
- Annabelle Floralentis, danseuse. Enchantée, Harold !
Annabelle me présente aux autres participants à la soirée. Ils sont musiciens, photographes, circassiens, comédiens, peintres… Le comte tient à ne convier à ses réceptions que les plus éminents des artistes. Nous discutons de nos œuvres respectives, néanmoins je dois avouer que je ne suis guère attentif. Sans doute est-ce là le premier effet du vin, me dis-je.

Les torches commencent à s’allumer au fur et à mesure que le crépuscule avance. Dans la nuit naissante, je distingue une pâle lueur blanche à travers les frondaisons. La Lune est en train de se lever. Le comte le sait, je l’ai aperçu en train de la guetter depuis le sommet de la plus haute des tours. Cinq minutes après, le voilà qui apparaît sous un tonnerre d’applaudissements. De son orgue portatif s’élève une mélodie d’un autre âge. Celle-ci est tellement belle qu’aucun mot ne saurait lui rendre justice. Je me retrouve paralysé, happé par la musique que joue mon hôte.
- Cela nous fait tous le même effet la première fois, me murmure Annabelle dans le creux de l’oreille. Mais je l’entends à peine.

Le comte vient nous voir, un par un, sans quitter son instrument. Je ne peux que bafouiller mon nom lorsqu’il se présente à moi et Annabelle doit me prendre par la main pour m’emmener à l’intérieur où la fête se poursuit. Là, sous les voûtes du Salon d’Honneur, épiés par les portraits des membres de la famille de Chantdoiseau, les convives dansent au rythme de la valse que joue le comte, désormais accompagné d’un petit orchestre. Je me retrouve avec Annabelle à tournoyer encore, et encore, et encore… La lueur de la musique se mêle aux senteurs des lustres et à l’harmonie des mets. Je tombe, étourdi.
- Tout va bien ? me demande Annabelle. Je lui réponds par un simple sourire avant de reprendre la danse.

Nous valsons encore pendant une demie-heure, jusqu’à ce que le comte ne vienne porter un toast. Alors, se dévoilent à nous les saveurs des plats apportés par les cuisiniers du château. Les délicats amuses-gueules font place aux plus raffinés des aliments, venus des quatre coins du Monde. Au centre d’eux, trône le Roi de la Lune, spécialité inventée pour le comte. J’en prends un morceau, incité par Annabelle. Je ne saurais décrire l’effet produit, même avec tous les mots de toutes les langues de la Terre. On m’apporte alors un vin, provenant de l’île de Cortalona.
- Une seule de ses gouttes suffit à vous enivrer de bonheur, m’annonce le sommelier. Il ne ment pas. Dès l’instant où je le porte à mes lèvres, je me retrouve à jubiler comme jamais je n’avais jubilé auparavant et je reste dans cet état jusqu’à la sonnerie des cloches.

Douze coups annonçant minuit. C’est la tradition la plus fameuse de Chantdoiseau, et pourtant la plus simple. Je suis le flot des invités jusqu’au bord du plan d’eau jouxtant le château. Là, alors que résonnent les cloches, j’observe la Pleine Lune passer tout à fait dans l’axe de la Grande Tour, dont la silhouette vient se découper sur l’astre. Ce phénomène ne se produit qu’une seule fois par an, à la Pleine Lune d’Automne et est à l’origine de cette nuit de festivités. J’en avais entendu parler depuis des années et le voilà qui se réalise enfin sous mes yeux. Immobile, j’attends que le son du dernier coup se perde dans l’infini. Je veux le capturer jusqu’au dernier instant et à ce moment-là, rien ne pourrait m’en empêcher.

Et puis, le silence revient. Je dois m’asseoir, encore ébahi de ce que je viens de voir. Je ferme même les yeux quelques minutes, avant de me décider à rejoindre les autres. Annabelle m’attend, à quelques mètres de là.
- Tu n’as pas encore vu la chapelle ? me demande-t-elle. Sans attendre ma réponse, elle m’entraîne dans les bois, à l’écart de la fête. La chapelle n’est pas bien loin et pourtant, elle est tout à fait invisible depuis n’importe quel endroit du château. La porte y est toujours ouverte, me dit Annabelle. Je m’étonne de la présence de cierges allumés alors même que personne ne semble être entré ici depuis fort longtemps.
- Ils brûlent éternellement, sans se consumer. Je les ai toujours vus tels qu’ils sont cette nuit.
Les explications d’Annabelle ne parviennent pas à me convaincre, mais je ne m’en préoccupe pas. Tout ce que je souhaite c’est m’imprégner du lieu et ressentir le moment. Pour la première fois de la soirée, Annabelle ôte son masque. Elle sort une cigarette je ne sais d’où et l’allume avec la flamme d’un des cierges. J’ignore à quoi elle pense à cet instant.

Nous restons dans la chapelle cinq minutes, ou peut-être trois heures. Ce qui me fait retourner au château, c’est l’appel de l’orgue. J’entends à nouveau sa douce mélodie. Je dois m’en approcher, il le faut. Je veux l’entendre au plus près. De nouveau dans les corridors du château, je constate que je ne suis pas le seul. Devant et derrière moi, d’autres invités empruntent le même chemin pour remonter à la source de la musique. L’orgue résonne de plus en plus entre les murs de Chantdoiseau. Nous montons l’escalier de la Grande Tour et nous parvenons au cabinet du comte. Il est assis sur le rebord de sa fenêtre à contempler la lune et à caresser de ses doigts les touches. Je le vois qui me regarde. Il me sourit avant de basculer dans le vide.

Horrifié, je dévale les marches du château pour lui porter secours. Mais j’entends encore l’orgue, plus fort que jamais. Ses notes ressemblent à des cris stridents, des appels à l’aide venus d’outre-tombe. Ils se déforment au gré de l’écho, se confondent avec les battements de mon coeur et le bruit de mes pas. Soudain, une pierre tombe juste devant moi. Puis une autre. Et encore une autre. Chaque note de l’orgue est un coup donné dans les murs, plus violent que le précédent. C’est maintenant la pièce entière qui s’effondre autour de moi. Je m’agrippe à ce que je peux trouver, pierre, tableau, tapisserie, lambris ou que sais-je? Tout ce qui m’importe et de m’extirper de là. J’atteins la porte menant à une petite chambre où le calme règne. Il n’y a d’autre lumière que celle de la Lune pour l’éclairer. Avec prudence, j’ouvre la fenêtre pour chercher une sortie. Sous mes yeux, il n’y a plus que le feu. Toute la forêt s’est embrasée en un instant et je suis encerclé.

L’orgue continue de jouer. Pour qui est cette musique, enfin ? Il n’y a plus personne dans le château ! Plus personne à part moi et je ne veux plus l’entendre ! Je ne veux plus de l’orgue ! Dorénavant, chaque note est un poignard planté dans mon corps. Je sens le sang, mon sang, se répandre tout autour de moi. Je veux sortir de la chambre, il faut que je sorte à tout prix ! Je veux franchir la porte, mais quelqu’un m’en empêche. Il y a un homme, un pantin écorché et désarticulé, qui ne veut pas que je sorte de cette chambre. Je recule et je le vois se retourner. C’est le comte et il me sourit comme il me souriait en haut de la Grande Tour.

La chambre tangue. J’en suis persuadé, les murs bougent et le sol est prêt à se dérober sous mes pieds. Le comte m’observe, continuant à faire résonner sa musique du Diable. Il veut faire s’écrouler la chambre et moi avec. Voilà son projet et je suis impuissant face à lui. Je sens le feu me lécher le dos. Les flammes gagnent toute la pièce, brûlant le lit, le tapis et les tableaux qui y sont accrochés. Et le comte continue de jouer de l’orgue. Je n’ai plus le choix. Je fonce dans le comte, le percutant de toutes mes forces, pour qu’il puisse enfin me libérer le passage. J’entends ses os craquer sous le choc, à moins que ce ne soient les miens ? Je le griffe, je le mords, je le frappe autant que je peux, jusqu’à ce qu’il finisse par lâcher prise. Je me précipite dans le couloir n’est plus qu’un champ de ruines enflammées.
- Au secours ! Au secours ! entends-je, tout autour de moi. Je pense d’abord qu’il s’agit d’autres invités du comte, pris au piège comme je le suis. Cependant, je réalise bien vite que ce n’est pas le cas. Ces cris de détresse proviennent des portraits en train de disparaître dans le feu. Les ancêtres de Chantdoiseau sont là cette nuit. Ils me narguent ! Leurs appels à l’aide sont là pour se moquer des miens ! Ils rient à mon passage ! Ils rient…

J’avance encore quelques mètres avant d’apercevoir une silhouette au cœur du brasier. Je m’en approche et je reconnais l’un des musiciens de l’orchestre. En m’entendant arriver, il prend son violon et se met à accompagner l’orgue dans leur symphonie. C’est à ce moment que j’abandonne. Autour de moi, il n’y a rien d’autre que le feu. Je m’assois, exténué et je regarde le violoniste fantôme exécuter sa musique en étant dévoré par des flammes qu’il ne ressent pas. Je l’écoute, lui et le comte avec son orgue, et je ferme les yeux.

Il fait déjà jour lorsque je me réveille. L’herbe est humide de la rosée du matin et une fine brume enveloppe les bois. Un corbeau vient à ma rencontre. Il me dévisage un peu avant de revenir sur ses pas. Je décide de le suivre. Il m’amène au pied des douves du château. Chantdoiseau est en ruine, loin de sa splendeur de la veille. Entre les pierres poussent des arbres dont certains paraissent avoir plusieurs siècles au vu de leur circonférence. Par endroits, je distingue encore quelques éléments de décor, mais ceux-ci sont parsemés entre des blocs dont il semble qu’ils sont là depuis des décennies. La forêt est toujours là, parée de ses couleurs d’automne se reflétant dans les douves et dans le plan d’eau. Un peu à l’écart du château se trouve désormais un cimetière, uniquement remarquable à ses croix émergeant du tapis de feuilles mortes. Je décide de m'y rendre et d'y découvrir les noms qui y sont inscrits. Les premiers sont ceux de la famille de Chantdoiseau. Mais arrivé à l’une des tombes, j’y lis un autre nom : Annabelle Floralentis. Je recule, stupéfait, jusqu’à buter sur une autre sépulture, dont je jurerait qu’elle n’était pas là il y a trente secondes. Je m’en approche et je remarque mon nom. Harold Mar, écrivain. Voilà ce qu’il y a d’écrit ici.

Pris de panique, je me mets à courir. Je me rue vers le portail marquant l’entrée du domaine. Celui-ci s’ouvre devant moi et je sens une force me pousser vers lui. Je m’effondre sur le chemin et j’entends les grilles se refermer derrière moi. Planté devant elles, se trouve un panneau indiquant, en lettres capitales : CHÂTEAU DU CORBEAU - PROPRIÉTÉ PRIVÉE.  


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Toctoc
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Le château de Chantdoiseau Empty Re: Le château de Chantdoiseau

Mar 1 Nov - 16:06
Bien sympa ce texte de style "Manoir de l'enfer". J'aime beaucoup son ambiance gothique.

Céhah aime ce message

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Le château de Chantdoiseau Empty Re: Le château de Chantdoiseau

Mar 1 Nov - 18:22
Merci pour ton retour!

Content que t'aies aimé l'ambiance gothique, c'était clairement ma source d'inspiration pour ce texte Le château de Chantdoiseau 1f600
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