change-forme

   Mir adorait les humains. De loin. Elle adorait observer les humains. Les grands, les petits, les clairs, les foncés, les crânes lisses et les bouclés… tant de variété. Et les papillons ! Leurs ailes majestueuses aux motifs bariolés d’exquises couleurs. Toutefois, les humains vivaient plus longtemps que les papillons. Ils vivaient plus longtemps que son espèce aussi. Non pas que les change-formes ne puissent théoriquement atteindre un âge avancé. Elle n’en savait rien à vrai dire. Personne ne savait. Les aléas de l’existence se montraient hélas cruels avec les siens.

   Sa mère avait disparu, emportée par une rafale alors qu’elle avait pris la forme d’une feuille. Son père s’était vaillamment occupé de Mir et son frère avant de succomber à l’amour d’une mante religieuse. « Une fin digne d’une vie passionnée » deviserait leur tante si elle était encore de ce monde.
Mir et les autres change-formes, à la recherche d’une forme plus durable, prenaient grande leçon de leur défunts aïeux. Le processus était lent et les décès impromptus menaçaient constamment la transmission du savoir accumulé jusqu’alors, mais ils n’abandonneraient pas. Les générations futures mourraient un jour de vieillesse, honorant ainsi le sacrifice de leurs pères avant eux.

  Un humain avec des ailes de papillons ! Mir serait magnifique. Elle aurait des ailes pour voler, une bouche pour manger, des yeux pour voir… Pas comme un caillou. Quelle idée d’avoir pris la forme d’un caillou ? Oh elle était durable, et discrète. C’étaient les principaux aspects qui avaient motivé son choix paniqué.

  Maudit papillon. Elle avait pris la forme d’une joli coccinelle la veille, virevoltant au gré des vents et de ses envies, à la recherche d’un sujet intéressant. Un magnifique lépidoptère azuré c’était alors présenté à elle, dans toute son envoutante splendeur. Mir l’avait suivi, évidemment. Avant qu’elle ne le réalise, elle s’était retrouvée au milieu des humains. Les petits ADORENT les coccinelles. Sa grand-mère en avait fait la mortelle expérience, à ce qu’il paraît - elle n’avait pas eu le temps de la connaître. Bref, ni une ni deux, elle s’était transformée en caillou.

  Tout était noir, silencieux, inodore, intangible. Combien de temps c’était-il écoulé depuis sa métamorphose ? Sans rien pour la rattacher au monde matériel, elle craignait que sa conscience finisse par s’évaporer elle aussi. Était-ce ça la mort ? Houlà elle n’aimait pas ça. Pas du tout du tout. Ni tenant plus, elle se fit pousser une paire d’yeux.
Un petit humain la fixait.