Robes et hauts de forme

Eglantine n’appartenait pas forcément à une caste défavorisée du royaume d’Emandtia, mais comme toutes les jeunes filles de son âge, elle pouvait être sujette aux mariages arrangés qui régissaient les liens politiques et économiques des plus grandes cités du royaume. Habitante de la capitale avec ses parents et ses deux frères, elle était consciente d’être sur la sellette depuis quelques mois, mais rien ne l’avait préparé à la scène qui se déroulait à présent sous ses yeux. Une sorte de vente aux enchères forcée avec, comme récompense, sa main.

— L’offre ouvre à 3 000, argumenta Ezur, son père, en croisant les bras. Regardez-moi ses beaux yeux bleus et sa peau diaphane ! Messieurs, vous avez devant vous la preuve que ma fille n’est pas une vulgaire paysanne mais un véritable membre de la caste supérieure. Elle parle le français, le latin et même le laerquois, joue de la flûte traversière et a gagné de nombreux prix d’escrime. Évidemment elle reste une femme mûre, docile et particulièrement douée devant les fourneaux.

Ezur tapota la joue d’Eglantine comme on tempère une bête de foire. La jeune fille serra le poing jusqu’à en blanchir ses phalanges. Comment son propre père pouvait-il se permettre de tenir de tels propos ? C’était profondément humiliant et injuste. Pour se donner de la contenance, la jeune fille tourna sa longue chevelure brune à sa gauche, où attendaient les suivantes. Une file bien organisée composée d’adolescentes apeurées, ridicules dans leurs robes à froufrous et jupons énormes. Elles étaient pour la plupart affublées de coiffures grotesques qui les rendaient superficielles et impossibles à prendre au sérieux. Encore une façon de les faire passer pour des faibles, songea Eglantine, dont la tenue n’avait pas échappé à la règle malgré une coiffure -Dieu merci- bien plus sobre. L’une des filles qu’elle ne reconnaissait pas, particulièrement frêle, disparaissait derrière un couvre-chef en forme de cygne. Les traits crispés, elle luttait pour conserver son équilibre et durant les quelques secondes où Eglantine l’observa, manqua de tomber par deux fois avant de se redresser de justesse.

— 4500, ici 5000 pour le monsieur à gauche, merci beaucoup ! 5200, oui pour le grand monsieur du milieu ! cria son père en ne cachant même plus son excitation.

La vente aux enchères se continuait inlassablement sous le regard empli de rage d’Eglantine.  Cet argent allait sauver sa famille de la famine qui s’annonçait durant plusieurs mois, mais aux prix de sa liberté. Et elle n’était pas prête à faire ce sacrifice. Elle jeta un coup d’œil à son géniteur, ses dents de cheval et son embonpoint prononcé. Dix-huit années passées à obéir à cet homme odieux, à tenter de le rendre fier, pour que ce traître la vende au plus offrant. Si sa mère pouvait voir ce spectacle…Mais non, cet imbécile avait bien prévu son coup. Elle était partie avec ses deux frères cinq jours plus tôt au marché d’Elias, et ne rentrerait pas avant une semaine, les bras chargés de victuailles, mais le porte-monnaie vide. Ezur se dépêcherait de le remplir avec l’argent des enchères, c’était certain, pensa la jeune fille, un goût amer dans la bouche. Loeana serait furieuse quand elle apprendrait qu’il avait préparé cette farce dans son dos avec les autres clowns du village, mais que pourrait-elle faire ? Il serait trop tard. Et sa fille, mariée pour toujours à un inconnu autant intéressé par ses facultés intellectuelles que la reproduction des escargots au Nouveau Mexique.

— 6500 une fois ? Messieurs, je vous en prie, ma fille est un trésor inestimable de grâce et de fertilité ! Elle connaît même la valse !

« Un mot de plus et c’est mon pied que j’envoie valser dans tes parties », grogna intérieurement Églantine, consumée par la colère. Dans quelques minutes, elle deviendrait pour toujours spectatrice de sa vie. Non, correction, si elle devait vraiment être honnête avec elle-même, elle l’était déjà. Cette réalisation lui fit le même effet qu’un électrochoc. Mais qu’est-ce qu’elle faisait là, à accepter une sentence qu’elle ne méritait pas, aussi docile qu’il la décrivait, alors qu’elle n’avait plus rien à perdre ? Elle était déjà condamnée !

— 12 000 pour le Monsieur de gauche ! Ma fille a vraiment un admirateur cher auditoire ! La petite chanceuse ! ricana Ezur en se frottant les mains, juste avant de recevoir un uppercut en pleine mâchoire.

Déjà Eglantine relevait ses jupons, prête à reprendre l’offensive. Elle fit un croche-pied à son père qui venait de remettre debout avant de lui enfoncer son talon dans le ventre.

Ezur voulut crier mais en eut le souffle coupé.

— Tu as raison, ne put s’empêcher de dire Eglantine, je ne suis pas une paysanne, ces chaussures sont vraiment de très bonne qualité.
Elle se tourna ensuite finalement vers les autres filles qui la regardaient, l’air médusé, et leva son poing en direction du ciel.

— ¬Les filles ! C’est le moment ou jamais de remettre ces messieurs à leur place et de leur prouver que nous méritons mieux que ces enchères sexistes ! A l’attaque !

Alors qu’elle s’attendait à créer un regain d’espoir parmi ces visages ensevelis sous des couches de maquillage, elle fut accueillie par le silence. Une fille au cou extrêmement long retira son chapeau en plume et baissa les yeux.

— Mais réveillez-vous ! hurla Eglantine, qu’est-ce que vous attendez ?

Des bras musclés l’attrapèrent par derrière pour la faire taire. Elle mordit dans sa main le plus fort qu’elle put, envoya un coup de tête en arrière et ils relâchèrent leur pression. Elle en profita pour se baisser et récupérer l’épée que l’homme qui l’avait retenu portait à sa ceinture. L’homme en question, qu’elle reconnut comme « le Monsieur de gauche », essuya sa bouche d’un revers de la manche.

— ¬Espèce de petite peste, je suis bien content de ne pas avoir fait l’erreur de t’acheter. Je vais t’apprendre les bonnes manières.

— En combat singulier, et désarmé, vous n’avez aucune chance, mon pauvre, rétorqua Eglantine en brandissant son épée. « A gagné de nombreux prix d’escrimes », c’est comme ça que m’a décrit mon père, non ?

— Qui te dit que c’est un combat singulier espèce de sotte ? s’esclaffa l’homme en faisant frémir sa moustache à la française.

Eglantine recula, sur le point d’être encerclée par une horde de « Monsieur » coiffés d’un haut de forme. Si les filles ne réagissaient pas, elle allait devoir rendre les armes.

— Vous, le sexe inférieur, vous êtes toutes les mêmes, renchérit l’homme en s’avançant d’un air bestial. Bonnes à faire des gosses et à fermer votre gueule.

— Je ne crois pas non.

Sortie de nulle part, la fille à la coiffe en forme de cygne abattit le plat de sa main contre la nuque de l’homme qui s’affaissa devant elle. Une dizaine de filles la suivait, les robes déchirées, et prêtes à en découdre. Elle retira ensuite le nœud qui retenait son énorme coiffure en place et le posa sur son derrière.

— Tu connais le poids de ce truc ? Parce que moi non, mais je te jure qu’on dirait que ça pèse une tonne. Essaye un peu de porter ça sur ta tête, « sexe supérieur ».

L’homme émit un borborygme, le visage face contre terre, mais ne se releva pas. Autour d’elles, les autres adolescentes s’activaient à former une ronde protectrice auprès d’elle et Eglantine. Les hommes essayaient de briser le cercle par tous les moyens, mais elles tenaient bon, les maintenant à distance à l’aide de leurs poings, broches et autres instruments de torture que certains osent qualifier d’accessoires de mode.

— J’ai eu du mal à les convaincre, mais tu nous as vraiment inspiré, reprit la fille en souriant. Moi c’est Dhariah. Heureusement, je suis moins chétive que j’en ai l’air. Toi c’est Eglantine, c’est ça ? J’ai entendu ton nom tout à l’heure.

La jeune fille hocha la tête.

— Avec plaisir. Bon, on y retourne ?

Eglantine sourit, et munit de son épée, se jeta dans la mêlée. Elle se rendit vite compte que sans la rage indescriptible qui balayait les rangs des filles et leur prodiguait une force quasi surhumaine, elles n’auraient eu aucune chance. En quelque sorte, les hommes avaient nourri leur rancœur et seraient bientôt consumés par leur propre hubris. Eglantine tint bon devant un escrimeur particulièrement habile, mais aidée par Dariah, il ne fit pas le poids. Ses genoux fléchirent et il s’effondra bientôt devant elles. Dhariah esquissa un sourire satisfait. Avec une précision chirurgicale, Eglantine fendit l’air et son épée rencontra le bras d’un ancien admirateur à elle. Le jeune homme cligna des yeux sous la surprise puis grogna, l’épée figée dans son épaule. Eglantine voulut la récupérer mais ne réussit pas. A la place, elle le regarda, pétrifiée, la retirer avec toutes les difficultés du monde, puis la brandir à son tour. N’ayant aucune arme pour se défendre, la jeune fille se retourna, les joues empourprées, et prit la fuite. Elle ne fit pas quinze pas avant de basculer sous le poids de la cage de sa robe à crinoline et se retrouver les quatre fers en l’air. Elle lâcha un petit cri en tombant, mais sa tenue amortit le choc.

— Mais quel calvaire ! bougonna-t-elle en essayant de détacher sa cage.

A côté d’elle, les combats faisaient rage mais chacun des participants avait trouvé un adversaire à sa mesure. Aussi, personne ne fit attention à elle tandis qu’elle peinait à se dépêtrer de ses dizaines de couches de tissu.

(Bon je n’ai pas fini mais en gros j’allais continuer la baston jusqu’à ce que les filles remportent la partie, les ligotent comme des saucissons et forcent les hommes à porter les tenues loufoques dont ils les ont affublés)

Coucou ! J'ai beaucoup aimé ton texte, comme lors des autres ateliers que tu as partagé je trouve que tu écris très bien, on lit très facilement et c'est agréable! Je trouve juste un peu dommage que la scène de combat arrive un peu tard, mais comme je l'ai dis ça reste agréable à lire car c'est bien écrit et on comprend bien le contexte alors c'est cool ! Malgré le côté assez révoltant de la situation, le fait qu'un père veuille vendre sa fille au plus offrant, je trouve que tu as rendu le texte assez drôle par endroits, loufoque pour reprendre le terme que tu utilises. C'est aussi le cas pour la scène de combat et je trouve ça marrant ce côté un peu "décalé" et pas 100% sérieux, ce qu'on a souvent tendance à faire lorsqu'on écrit une scène de combat haha. Dommage aussi pour la fin j'aurais bien aimé lire ton idée jusqu'au bout, mais je sais qu'on peut souvent manquer de temps avec les ateliers !
Bravo à toi en tout cas !

SORORITÉÉÉÉÉÉÉÉ !!!!!
J'avais des "Rebelle" vibes au début je me demandais si elle allait s'acheter toute seule en combat l'épée ou un truc du genre, mais la révolte des femmes me plaît bien plus ! L'action est bien gérée, ce qui est pas évident dans une mêlée comme celle-ci. C'était une bonne idée de se concentrer sur Eglantine, et c'est super kiffant de leur voir se faire leur "prétendants", toujours avec une petite touche d'humour, c'est très divertissant ^^ Dommage que t'ait pas eu le temps de finir, c'est déjà fou tout ce que t'as réussi à faire et installer, bravo pour ce texte très intéressant !

Merci beaucoup pour vos retours, ça me fait super plaisir! Je vous avoue que je n'étais pas convaincue du tout par la qualité de mon texte, j'ai même hésité à le poster, mais je me suis bien amusée à l'écrire et je suis contente qu'il vous ait plu

@clarapnz> Tu as raison, le contexte m'a pris trop de temps et après je n'en ai pas eu assez pour bien décrire la baston correctement et respecter la consigne de départ...Faudra que je fasse plus attention la prochaine fois mais j'aime bien écrire les bla-blas du début pour installer l'histoire Et je suis agréablement surprise que tu aies aimé le ton de mon texte, ce n'est pas quelque chose que je fais habituellement mais je me suis bien marrée durant l'écriture.

@Martatin> J'aurais clairement pu partir sur un duel, mais l'idée d'une mêlée était beaucoup trop tentante, surtout lorsque je m'imaginais la scène xD En tout cas merci pour ton commentaire! J'avais justement peur de m'éparpiller mais tu me rassures alors si tu as trouvé que c'était bien géré

J'aurais bien aimé aller encore plus dans l'action et le combat mais par manque de temps j'ai du abrégé là donc la consigne est un peu passée à la trappe (désolée, pas taper)

Coucou,

Bravo pour ton texte. J'ai bien aimé l'idée d'une mêlée générale et d'une révolte des filles contre les hommes. Bien mérité, non mais ! L'humour et le côté exagéré et loufoque de la situation sont bien retranscrits, ça donne un texte plutôt léger et agréable à lire.

J'ai une petite remarque à faire question style: les phrases sont longues et tu utilises beaucoup d’adverbes. C'est dommage parce que ça casse le rythme par moments.

La plupart des actions étaient claires, ce qui est plutôt bien géré en 1h30 et sur un combat de mêlée, mais sur certaines phrases, j'ai du m'y reprendre à deux fois pour visualiser l'action. Par exemple, sur celle-ci: "Elle retira ensuite le nœud qui retenait son énorme coiffure en place et le posa sur son derrière."

En tout cas, bravo, c'était original, bien écrit et c'est dommage que tu n'aies pas eu le temps de finir

Hello allya ! J'ai bien aimé ton texte. L'idée d'avoir une horde de filles qui se révolte contre plein de gentlemen moustachus et sexistes m'a beaucoup plu. Il y a ce petit côté décalé entre la gravité de la situation et l'humour que tu glisses habilement dans tes dialogues comme l'ont souligné les autres, ça donne un style original qui est tout à fait le genre de plume que j'aime lire x) Le combat met un peu de temps à démarrer c'est vrai, mais ça ne m'a pas gênée plus que ça. Mention spéciale pour le petit moment de malaise quand Églantine en appelle pour la première fois au girl power. Si les filles avaient répondu tout de suite à son appel, j'aurais peut-être trouvé ça un peu cliché. Là c'était parfait et cohérent donc bravo pour ça Dommage qu'on ait pas eu la fin avec ces messieurs relookés, c'était prometteur

Coucou !

Même si le début est un peu long à démarrer, j'ai pas été plus gênée que ça, parce que ça reste très fluide ^^
J'aime bien comprendre le "pourquoi" de la scène, donc top !

Comme Ginevra, je trouve certaines phrases un peu longues, donc la "lenteur " "réduit" la gravité du combat, je sais pas si je suis claire xD Mais en gros, ça le rend comme moins violent. Je ne sais pas si c'est volontaire, mais c'est un style après tout ^^

En tout cas ça se lit très bien, je trouve que tu maitrises bien les enchainements ! Au final, j'ai beaucoup aimé ce texte, je trouve aussi qu'il apporte une certaine touche de légèreté sans que je ne puisse te dire quoi exactement

(Ah oui, et Elgantine, c'était le nom de ma petite chatonne d'amour qui n'est plus de ce monde malheureusement. Du coup ça m'a fait un petit quelque chose ^^) (Très beau prénom au passage !)

D'ailleurs, ton idée me fait beaucoup penser à une des scènes de mon autre manuscrit avec une vente aux enchères aussi, je retrouve un peu la même ambiance au début. Et je valide !

Bravo pour ton texte

Oh merci beaucoup pour tous vos retours ça me rassure sur le côté décalé du texte et l'humour que j'avais peur d'avoir mal géré!

@Ginevra> C'est vrai que de base j'ai tendance à faire des phrases longues, mais je ne m'en rends jamais compte à moins qu'on ne me le dise, donc merci à toi de le souligner! Il faut vraiment que je continue de travailler dessus. Et pour les adverbes, pareil, je n'avais pas réalisé, mais en relisant maintenant, je me rends compte qu'ils sont vraiment très (trop) présents! J'avais écrit d'une traite sans me relire et me prendre la tête donc le rendu n'était, de mon point de vue, pas top du tout mais du coup je vois ce qu'il faut que je corrige avec plus de clarté Et pour la phrase que tu as cité, je comprends ce que tu veux dire! Je m'imaginais la scène mais pareil en relisant au final la phrase arrive peut-être un peu tard vu que j'ai changé de point de vue à la phrase précédente!

@Sayuri.K> Wow merci beaucoup pour ton retour, ça me fait super plaisir et je suis heureuse que tu aies aimé le ton de mon texte! Et oui la fin me donnait trop envie aussi je l'avais déjà en tête c'était plutôt drôle xD Mais bon j'ai passé trop de temps avec le contexte...

@Petite Aloy> Pour ce qui est des phrases longues qui apportent de la longueur, je crois que je comprends! Ce n'était pas fait exprès et je vais aussi essayer de faire plus attention la prochaine fois Et Eglantine c'est vraiment trop mignon comme nom pour une chatte <3 / Et pour ce qui est de la vente aux enchères, j'aime l'idée qu'il y ait mille façons de l'interpréter, c'est tellement révoltant que en fonction des points de vue et de l'ambiance on peut vraiment en faire quelque chose de différent à chaque fois! xD

Coucou ! J'ai beaucoup aimé ton texte, j'ai été plongée dedans dès le début et le tournant que ça prend est très satisfaisant D'ailleurs j'aurais aimé avoir la suite car l'idée est vraiment fun
C'est vrai que le combat met du temps à arriver et est un peu rapide, mais j'étais tellement dans le texte que je ne me suis fait la réflexion qu'après.

Désolé je le dis à chaque fois, mais certaines phrases sont sans doute un peu longues Sinon rien à dire, c'est un texte très chouette qui se lit tout seul

Hello ! Bravo pour ton texte ! Il se lit très bien, c'est rythmé, le ton humoristique passe bien. La scène de combat est bien chorégraphiée. Juste :

Eglantine n’appartenait pas forcément à une caste défavorisée du royaume d’Emandtia, mais comme toutes les jeunes filles de son âge, elle pouvait être sujette aux mariages arrangés qui régissaient les liens politiques et économiques des plus grandes cités du royaume. : ça pourrait être plus clair.

Moi c’est Dhariah. Heureusement, je suis moins chétive que j’en ai l’air. Toi c’est Eglantine, c’est ça ? J’ai entendu ton nom tout à l’heure. : dialogue qui fait pas très naturel selon moi.

Merci pour ta participation !