Belle plante

Elle attendait depuis déjà trente minutes dans la salle d’attente du docteur Fayette. Ces trente minutes, sans voir l’ombre d’un docteur ni d’un patient, à supporter une odeur de chou cuit, la firent douter. Avait-elle commis une erreur dans la date du rendez-vous ? Elle soupira rien qu’à l’idée des épreuves qui l’attendait si jamais ce docteur n’avait pas les compétences requises pour venir à bout de sa maladie aux allures de sortilège.  
On lui avait conseillé ce médecin qui selon les rumeurs, aussi volatiles que des papillons, était un spécialiste des cas les plus étranges. A en croire sa voisine de pallier, il était venu à bout de plusieurs maladies orphelines. Son doute s’amplifia. Pourquoi un si grand docteur serait-il tapi dans un cabinet désertique qui sent la feuille de chou ? Ne devrait-il pas être débordé de patients ?
La porte s’ouvrit. Le docteur apparut dans l’encolure de la porte rendue lumineuse par l’excès de lumière présente dans le cabinet.
- Madame June Gonzac.
Elle se leva en pensant qu’il était inutile de l’appeler par son nom puisqu’elle était la seule patiente.
Le docteur était un vieil homme peu souriant avec des paupières tombantes sur des yeux d’un vert terne.
- Un moment je vous prie, dit-il avant de porter à ses lèvres un verre d’eau qu’il but si lentement qu’elle put voir la trajectoire de l’eau ondoyée dans sa tachée aussi souple que celle d’un crapaud. Il posa ensuite le verre avec délicatesse puis reprit la parole à nouveau :
- Que vous arrive-t-il ?
Cette question la stupéfia.
Il attendait une réponse, ses petits yeux tombants fixés dans sa direction. Il aurait pu rester ainsi figé dans l’éternité, en attente de sa réponse. Il devait bien avoir cent ans.
« Mais enfin, songea-telle, était-il sot ou aveugle ? »
Bien sûr, les convenances ne l’autorisèrent pas à révéler de telles pensées.
- Ça se passe de commentaire, rétorqua-t-elle en secouant les petites branches pleines de feuilles qui  étaient apparues depuis peu, bien enracinées dans son cuir chevelu.
- Ha, en effet, c’est remarquable, dit il platoniquement tout en l’observant avec curiosité. Je suis confus de ne pas l’avoir remarqué immédiatement mais, vous savez avec tous ces effets de mode aujourd’hui, je ne m’étonne plus de rien.
Il se leva en direction de sa table d’auscultation.
- Approchez s’il vous plaît, tournez-vous. Avec son accord, il souleva sa chemise. Ha, le processus est avancé, on voit les racines dans votre tronc, enfin dans votre colonne vertébrale…
- Est-ce que c’est grave docteur ?
Il fit une sorte de moue qui annonça une réponse nuancée :
- Ce n’est pas la première transformation à laquelle j’assiste ma chère, j’en ai vu de bien plus impressionnante, un de mes patients s’est littéralement transformé en grille-pain, un autre en raton laveur ! Puis j’ai eu un enfant ballon, très difficile ce cas. Certes je n’avais jamais vu de transformation végétale, mais bon, cela me paraît bien plus vivable. Les gens aujourd’hui vont au delà des apparences, il va falloir vous faire accepter tel que vous êtes. »
Elle remit sa chemise, très affectée par les mots du docteur. Il lui était impensable de se résigner à devenir une plante.
- Mais,  je veux savoir la raison de ma transformation docteur ? dit elle désespérée. Il doit bien y avoir une réponse ?
- Ne vous angoissez pas, vous allez faire tourner vos racines ou ternir vos jolies feuilles.
Deux larmes coulèrent sur le visage de June. Aucun des médecins qu’elle avait consultés jusqu’ici n’avait su lui répondre. Elle était maudite.
- Je suis persuadée qu’on nous a lancé un sort, ajouta-t-elle. Pas seulement à moi mais à l’humanité.
Le médecin se dirigea vers son bureau, épuisé par la consultation. Il s’assit en s’aidant du bureau et se laissa tomber pour éviter de plier les genoux.
- Oui, sans aucun doute, répondit-il calmement, sans l’ombre d’une émotion. Il toussa dans son mouchoir d’un bruit inhabituel rappelant celui d’un croassement de crapaud.
Ce bruit inattendu l’épouvanta.
- Ma prescription jeune dame, renchérit-il, est de boire beaucoup d’eau, vous êtes complètement déshydratée. Veuillez vous nourrir de nourriture humaine et de substrat. Je vous fais l’ordonnance pour aller chercher ce qu’il faut au magasin de jardinerie. Et puis, pour les tourments de l’âme, n’hésitez pas à
consulter un psychologue. Cela fera cinquante euros madame Grozac.
- Gonzac, dit-elle sèchement.

June sortit du cabinet le ventre nouée par un mélange d’émotions allant du découragement à la colère.
Ce médecin est grossier et incompétent pensa-t-elle, aller voir un psychologue ? la belle affaire !
Elle marchait dans la ville, la tête pleine de noires ruminations, évitait les regards qui pesaient sur elle, sur ces petites branches au bout duquel des bourgeons étaient apparus.
M’accepter tel que je suis ? Mais que suis-je ? Il n’est même pas capable de me le dire. Je déteste ce docteur ou devrais-je dire ce charlatan.
- Idiot, proféra-t-elle à voix haute sans s’en apercevoir.
- Idiote toi-même !  Entendit-elle.
Elle s’arrêta net et voulu s’excuser auprès de celui qu’elle venait d’offenser mais il n’y avait personne. Pas un seul humain. Ses yeux parcoururent la façade de l’immeuble dans l’espoir de trouver quelqu’un perché à sa fenêtre. Encore une fois, il n’y avait personne.
Un géranium était posé sur l’encolure d’une fenêtre dans son pauvre bac de terre.
- Est-ce toi qui m’a répondu ? demanda-t-elle en se trouvant ridicule.
Il y eut un silence de quelques secondes.
Evidemment que ce n’est pas toi pensa-t-elle.
Elle regarda sa montre. Si elle n’accélérait pas le pas, elle allait manqué son bus. Mais au moment de partir la voix reprit :
- Idiote !
Elle pris conscience avec stupeur que c’était bien la plante lui parlait.

C'est pas mal ! Ça m'a fait penser à L'Écume des jours... "Elle a un nénuphar, vous comprenez..." Il y a des détails intéressants ! Et j'aime beaucoup le médecin qui fait comme si tout était normal !