Charlie fait du speed-dating

Une suspension de clochettes carillonna quand Charlie poussa la porte d’entrée de l’Enchanteur et une chaleur infernale fouetta ses joues mordues par le froid de cette soirée d’automne. Alors qu’elle se débarrassait de son épaisse écharpe en laine qui l’étouffait, la jeune femme pris conscience du brouhaha qui dominait le bar et qui ne laissait aucune place à la musique d’ambiance qui s’échappait des haut-parleurs. La cinquantaine de personnes, dont certaines déguisées, s’était divisée en plusieurs petits groupes, confortablement installés dans des banquettes moelleuses ou accoudés au comptoir du bar. Les murs étaient recouverts de fausses toiles d’araignée dans lesquelles étaient accrochées des feuilles mortes flamboyantes. Des citrouilles creusées en forme de tête de monstre luisaient sur quelques tables et sur le parquet ciré. La douce lumière orangée que projetait la flamme des bougies se mêlait à celle des guirlandes, le tout conférant à la pièce une ambiance à la fois douce et mystérieuse.
Charlie se fraya un chemin entre les corps chauds, mal à l’aise au milieu de tout ce monde. Qu’est-ce qui lui a pris d’accepter cette idée ? Elle n’aurait jamais dû écouter Léa et rester chez elle à avaler des bonbons devant sa série du moment. Mais sa meilleure amie savait se montrer persuasive quand elle le voulait.
La jeune femme soupira, rassurée d’avoir trouvé un petit coin tranquille au fond du bar.
Mais une énorme main poilue se posa sur son épaule, la faisant sursauter et lui arrachant un petit cri d’effroi. La créature monstrueuse – un orc si elle ne s’y trompait pas – qui l’avait surprise s’esclaffa.
— Tu devrais voir ta tête, s’exclama l’homme d’une voix exagérément grave.
Il émit un son guttural, qui se voulait sûrement ressembler au grognement d’une bête sauvage.
— C’est quoi tu petit nom ma jolie ?
— Charlie, et toi ?
— Azorh, chef de la compagnie des Orc Buveurs de Sang, répondit-il en se frappant le torse avant de lui adresser un petit clin d’œil.
Il l’invita à s’assoir sur une petite table non occupée, et il passa quelques minutes à lui expliquer en quoi consistait son rôle de chef, sans manquer de grogner de temps à autres.
— Arrête de me regarder comme ça, minauda-t-elle en plaisantant.
— Regarder comment ? demanda Azorh en se penchant vers elle, les yeux remplis d’envie.
— Comme si t’allais me découper en morceaux pour me dévorer.
L’orc conserva son sérieux, grogna et déclara.
— Je pensais à autre chose de plus agréable pour toi, mais je pourrais toujours finir par te découper si l’envie m’en prend.
Charlie sourit et le gratifia d’une bourrade.
— Ouuuh, je tremble de peur.
Azorh continua de blaguer, d’un humour souvent déplacé voire carrément inapproprié, mais Charlie appréciait cette compagnie qui avait réussi à la mettre à l’aise. Au bout d’un moment, ils se levèrent pour se diriger vers le bar, mais une femme percuta l'orc et poussa un cri d’effroi devant son allure monstrueuse.
— Quel costume réaliste, s’exclama-t-elle d’une voix suraiguë tout en s’éventant d’une main. J’ai cru m’évanouir, je ne pensais pas croiser un orc ici !
— Ce n’est pourtant pas étonnant le soir d’Halloween, plaisanta Charlie. Ne t’inquiètes pas, il n’est pas méchant.
Elle se retourna vers Azorh qui foudroyait la nouvelle arrivante du regard avant de faire tomber sur Charlie un visage accusateur.
— Je pensais que ça se passait bien entre nous, mais je vois que tu préfères flirter avec d’autres personnes, cracha-t-il avant de s’éloigner d’un pas lourd à en faire trembler le sol.
Charlie resta coi un moment puis la femme se glissa dans son champ de vision avec un petit salut de la main.
— Puisque tu es seule maintenant, on peut peut-être faire connaissance ? Moi c’est Lucie, ravie de te rencontrer.
Ses cheveux étaient relevés en un chignon impeccablement tiré sur le haut de son crâne, et une frange droite tout aussi bien peignée lui tombait sur le front jusqu’à ses grandes lunettes à monture épaisse, qu’elle remontait compulsivement sur son nez.
— Charlie, se présenta la jeune femme avec un sourire. Le plaisir est partagé.
— Quel joli prénom ! Ça me rappelle ma petite Charlotte, quelle fripouille celle-là. M’enfin, dis-moi, tu aimes les chats j’espère ? Parce que j’en ai 5, tous adoptés après que mon stupide ex-mari m’a laissée tomber pour sa secrétaire. Une jolie femme, je ne peux pas le nier, ça c’est sûr ! Il fait chaud tu trouves pas, ça te dit qu’on aille prendre l’air et qu’on fasse plus ample connaissance dehors ?
Elle s’exprimait avec de grands gestes et manqua à plusieurs reprises de gifler l’homme installé à la table juste sous leur nez, et qui leur lançait des œillades agacées.
— Je suis sûre que t’es super sympa, mais ça ira, je préfère rester ici.
Lucie arrêta net de gesticuler, tourna les talons et s’en alla sans un regard en arrière pour Charlie qu’elle venait de planter au milieu du bar.
La jeune femme tourna un peu en rond jusqu’à repérer un homme qui s’était réfugié dans le même coin qu’elle un peu plus tôt. Il regardait autour de lui, l’air perdu, aussi le prit-elle en pitié et décida d’aller l’aborder.
— Hey ! Ça va ?
Il sursauta en la voyant lui adresser la parole et rentra la tête dans les épaules.
— Ça va et toi ?
— Au top ! Moi c’est Charlie, et toi, c’est quoi ton petit prénom ?
Son expression se froissa et sa bouche se contracta.
— P… Pet… Peter. Tu… tu viens souvent ici ?
Charlie lui décocha un sourire chaleureux dans l’espoir qu’il se sente un peu plus à l’aise.
— Non, jamais. C’est la première fois, sur les conseils d’une amie. Et toi ?
— Non plus.
Il marqua un court temps de pause pour réfléchir à ce qu’il pouvait ajouter.
— Tu aimes rencontrer des gens comme ça ?
— Euh, ouais c’est sympa. Enfin, je n’en ferais pas un loisir non plus, répondit Charlie avec un petit rire.
Le téléphone de Peter sonna, brisant le silence gênant qui s’était installé. Il marmonna une excuse et sorti pour prendre l’appel, laissant Charlie seule. Encore.
La jeune femme fut rattrapée par la soif qui avait rendu sa bouche pâteuse et décida d’aller commander un verre au bar. Elle prit place derrière le comptoir en bois massif et attendit sa boisson en tapotant la surface lustrée, quand un soupir de désespoir lui fit prendre conscience de la présence à sa droite.
Une petite femme déguisée en elfe se tenait avachie sur son tabouret, le visage caché par les cheveux synthétiques de sa perruque scintillante.
— Ça ne va pas ? s’inquiéta Charlie.
…

Je n'ai pas eu le temps d'écrire la suite, mais mon choix final se serait porté sur Azorh l'orc-un-peu-trop-investi-dans-son-rôle