Atelier d'écriture Balade nocturne 17/10/2021 - Chasseur des Ombres

La nuit a entrainé les rues de la ville sous son manteau ébène. Quelques heures auparavant, les piétons se rencontraient sur ces pavés. Ces mêmes personnes sont désormais terrées chez elles, isolées de cet univers qui vient de naître.

J’aperçois les lumières de leurs salons à travers les fenêtres. Plus qu’une ouverture vers l’extérieur, ces carrés de PVC constituent une barrière entre notre monde et celui des morts. Un portail qui me rappelle ma fragilité. Je suis dehors, en proie au froid et au vent parmi d’autres menaces bien plus grandes encore, tandis que les lâches se camouflent derrière ces murs de béton, emmitouflés dans leurs couvertures, bercés par leur télévision.

J’ai toujours aimé la nuit, autant qu’elle m’effraie. Je me retrouve dans le calme qu’elle me propose, mais la façon qu’elle a d’influencer son environnement et de noircir ses traits a toujours eu le don de faire ressurgir mes angoisses les plus profondes.

Le soleil se veut rassurant. Il apporte les couleurs sur un monde terni par la cruauté et le machiavélisme des Hommes. Quand la Lune remplace son homologue dans la voûte céleste, elle détruit les faux-semblants. Elle montre le monde tel qu’il est. Des nuances de gris et de noir. Un silence pesant au-delà de tout mensonge, de toute fourberie. Les endroits que nous connaissons deviennent des repaires de bandits. La moindre branche soufflée par le vent devient un bras vengeur prêt à nous arracher du sol pour nous étrangler.

Le jour n’est qu’un camouflage, une façade pour permettre aux Hommes de garder espoir.  

Au moment où une voiture avance dans ma direction, je ferme les yeux pour les protéger de la lumière des phares. Encore un connard qui vient me déranger pendant mon travail. La fenêtre du côté passager se baisse. Je laisse mon regard se glisser à l’intérieur de l’habitacle. Le conducteur reste silencieux. Comme si je n’avais que ça à faire…
— Je peux vous aider ?
— Tu ne devrais pas rester là, petit. C’est dangereux de traîner dehors la nuit. Tes parents ne te l’ont jamais dit ?
Pour toute réponse, je détache la dague de ma ceinture et dévoile la célèbre marque. Contre toute attente, il ne semble pas impressionné.
— Tu ne voudrais pas m’accompagner ? J’aurais une mission pour toi.
— Non, merci. Ce soir, je bosse dans ce quartier.
— Tu es sûr ? Je peux te donner une belle somme…
— Cassez-vous !
Il m’insulte, referme la fenêtre et repart, emportant avec lui la si précieuse lumière. Je me retrouve une nouvelle fois noyé dans l’obscurité.

L’arrivée de la pluie m’oblige à trouver un abri, mais je ne peux pas me permettre de rester trop longtemps dans le noir. Je m’assois à l’ombre d’un lampadaire et relève ma capuche au-dessus de ma tête. L’éclairage m’offre une visibilité suffisante pour surveiller les alentours, sans pour autant altérer la pureté des ténèbres.

De temps en temps, le bruit d’un moteur de voiture vient briser le silence, et tandis que les phares oblitèrent les miasmes nocturnes en formation au pied des immeubles, je reste vigilant au moindre assaut.

Car les créatures sont là. Je le sens. Je les sens. Elles gravitent autour des lampadaires, des néons et des phares. Elles pourchassent leur proie dans l’ombre, sans jamais franchir la porte de leur monde. Elles abhorrent la clarté autant que je méprise ceux qui sont à l’origine de mon état. Ceux qui m’ont condamné à combattre les émissaires de la nuit, ces êtres sournois au regard glaçant. Ces monstres affamés, égarés.
Destructeurs de lumière.