Trois mois

- Emilda !
Trois coups firent trembler la porte.
- Emilda !
Je me frottai les yeux.
- Police, ouvre !
Je me levai d’un bond. Je n’étais pas habillée, quelle heure était-il ? Ils frappèrent encore.
- Putain ! trébuchai-je.
J’attrapai en vitesse mes vêtements de la veille, cinq coups de plus s’écrasèrent. Ils ne venaient pas si tôt d’habitude, si ? Je manquai encore de tomber, sautillai pour aller ouvrir. L’autre derrière martelait la porte. J’ouvrai d’un coup sec.
- Quoi ?
La lumière du couloir manqua de m’aveugler. Ce connard de commissaire Rubin tirait encore la gueule. Il crispait tellement son front chauve que je cru qu’il allait le déchirer.
- Vous avez failli me défoncer la porte, râlai-je.
Le commissaire grogna, me poussa l’épaule et s’invita chez moi. Les cinq autres se mirent à sa suite, me bousculèrent et m’écrasèrent les pieds. Loïc fermait la marche, tout timide qu’il était. Il présenta ses excuses dans ses lèvres tremblantes, et mon cœur palpita, mon ventre se serra un peu plus : les avait-il apportés ?
Je me pressai pour tirer les rideaux derrière lesquels se révéla un ciel endormi : le soleil n’était même pas encore levé. Rubin installa son gros cul fainéant dans le fauteuil de mémé, et ses chiens restèrent debout, le visage austère et froid. Je m’appuyai sur le rebord de la fenêtre.
- Je vous sers quelque chose à boire ?
- Ce sera court.
Je passai ma main derrière ma tête.
- Tu sais pourquoi on est là ?
- Vous ne l’avez pas trouvée ?
L’autre chauve pinça son front et souffla. C’était toujours la même chose depuis trois mois.
- On sait très bien que tu la planques, Emilda. Dis-nous où elle est, épargne-nous.
- Elle n’est pas ici, Rubin. Tu perds ton temps.
Mon regard s’arrêtait sur Loïc. Il était plus nerveux que d’habitude. Je ne pus cacher un sourire.
- Fouillez, ordonna Rubin.
Il n’y avait pas grand-chose à fouiller dans un dix-huit mètres carrés. Pourtant, ils s’affairèrent tous à bouger mes meubles, à déranger, renverser. Ils allaient vraiment trouver ma sœur sous mes papiers de banque ?
Loïc me secoua l’épaule.
- Tu m’offres un café ?
Rubin eut un mauvais regard. Il leva les yeux et tourna son dos, question d’habitude pensais-je. J’emmenai Loïc dans la cuisine, à l’écart. Je baissai ma voix :
- Tu les as ?
Il leva la tête pour vérifier que personne n’entrait. Mon cœur s’accélérait : bien sûr qu’il les avait. Il sorti les papiers de sa poche droite, délicatement. Je m’en saisi, mes mains étaient moites. Les larmes montaient, je crois, je ne sais pas, mon cerveau frétillait comme si des milliers de confettis tournaient, comme si des centaines de papillons s’exaltaient à l’intérieur. Je tentais de camoufler mon sourire, mon rire qui venait mais c’était impossible. Trois mois que nous attendions. Trois mois.
- Demain je ne veux plus jamais entendre parler de toi, dit Loïc en saisissant mon bras. Je risque beaucoup à cause de ça.
Je retins encore mes larmes. Qu’il était gentil.
- Merci, Loïc.
Je ne savais plus quoi dire, je ne savais plus quoi penser. Je sentais à peine mes jambes, j’aurais voulu sauter, crier, embrasser Loïc, embrasser Rubin, foutre cette vie en l’air et tout recommencer là-bas. Cela faisait si longtemps que je n’avais plus espérer, que je pensais que tout était perdu, qu’ils allaient la retrouver et que jamais nous ne partirions d’ici. Mais ils étaient là, dans ma main, nous allions partir cette nuit, oui, et ne plus revenir. Loïc mordit ses lèvres, ses yeux devenaient rouges et humides. Je le pris dans mes bras.
- Merci, merci.
Il effaça ses larmes du revers de la main, me mit une tape sur l’épaule et sorti de la cuisine. Je serrai les papiers contre moi, les glissai dans ma poche. Enfin, je retournai dans le salon, tentai le plus de cacher mon émotion. Le commissaire Rubin marchait d’un pas lourd, il était furieux : ils ne l’avaient pas trouvée.
- T’as quelque chose à voir là-dedans, je le sais, rumina-t-il. Je te lâcherai pas.
Il s’en retournèrent, lui et ses fidèles. Loïc me lança un dernier regard, un dernier sourire et ferma délicatement la porte. Je les écoutai descendre les escaliers, gueuler encore dans la rue. Leurs voitures s’éloignèrent. Et mon rire froissa le silence. Je riais, je criais, je pleurais, je pleurais toutes les larmes que je retenais, toutes les larmes qui étaient là depuis trois mois, toutes les larmes qui n’étaient pas sorties depuis la mort de maman. Mon sang tapait dans mes tempes, dans mes dents, dans mes jambes.
Je me relevai, sorti dans le couloir sans fermer derrière, montai tous les escaliers jusqu’au dernière étage, bougeai l’armoire, sorti l’échelle, ouvris la trappe. Sa bouille toute blonde m’attendait, ses grands yeux bleus s’écarquillèrent.
- Alors ? demanda-t-elle doucement.
- Alors on rentre à la maison.
Son visage s’illumina. Elle répéta « à la maison ».

Ils sont sympathique tes personnages, c'est cool. Tu as très bien géré la joie, on la ressent bien. C'est efficace. Bravo !

Texte très sympa à lire, j'aime bien la relation entre la protagoniste et les policiers ^^
Par contre, je n'ai pas compris la fin xD c'était quoi le problème avec sa soeur, pourquoi elle la cachait ?

Merci beaucoup pour vos retours !! Je pense que la fin est en libre interprétation, on sait que leur mère est morte mais sans plus : j'ai essayé de pas trop m'étaler sur le contexte pour laisser plus de place à l'émotion, j'espère que ça fonctionne comme ça

La joie est évidente. Super ton texte, j'ai pris plaisir à le lire. La fin est libre d'interprétation, c'est un peu frustrant mais il faut bien l'accepter pour des textes d'atelier d'écriture. Tu laisses au lecteur tout loisir d'imaginer le pourquoi du comment et c'est pas plus mal

ninja-janine a écrit:La joie est évidente. Super ton texte, j'ai pris plaisir à le lire. La fin est libre d'interprétation, c'est un peu frustrant mais il faut bien l'accepter pour des textes d'atelier d'écriture. Tu laisses au lecteur tout loisir d'imaginer le pourquoi du comment et c'est pas plus mal

Merci beaucoup, ça me fait très plaisir ! Contente que ça t'ait plu !