La painpauté
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Citerne
Citerne
Messages : 18
Date d'inscription : 29/01/2023
Age : 29

Christine ou Victoria Empty Christine ou Victoria

Lun 31 Juil - 19:35
– Jacques ?
Je me réveille. Autour de moi, rien. Je palpe les alentours. Mon duvet, mon coussin. Ma paire de godasses au bord du lit m’aide à me repérer dans l’espace, à visualiser, imaginer le décor. J’ai dormi à droite du lit conjugal, je me suis réveillé au même endroit. Sauf à un détail près, un simple détail.
Je me frotte les yeux, mes paupières sont ouvertes. Je gratte l’iris et touche la viscosité humide de l’œil. Au-dessus, mes cils frôlent le bout de mes doigts. Je referme les yeux, les ouvre et exécute ce geste au moins dix fois.
– Jacques, qu’est-ce que tu fais ? me demande Christine.
– J’ai un petit problème, je crois.
Je tourne la tête à gauche et à droite. La nuit ici, ça n’a jamais existé. Jamais. Le lampadaire de la rue illumine la chambre de vingt heure à six heure du matin. J'accuse le coup, flanque mon coussin entre mes bras et me balance d'avant en arrière. Christine doit bien remarquer ma détresse.
– Qu’est-ce qui se passe ? On a rendez-vous dans une heure, Jacques. Lèves-toi.
– Je…
Un bruit soudain me fait sursauter. Elle claque des doigts à deux centimètres de mon visage. Je ne l'avais pas entendu s'approcher. Elle étreint fort sa main dans la mienne quitte à m'enfoncer les ongles dans la chair, éprise de panique. Un filet de sueur coule sur ma tempe, mais je n’y prête aucune attention car le seul ami dans cette obscurité la plus totale est ce petit repère rassurant : le coussin serré contre ma poitrine. La main de Christine ne donne pas plus de soutien à cette situation que le moelleux du matelas à mémoire de forme sous mes fesses, un peu trop chaud après une longue nuit d’été.
– Qu’est-ce que tu nous fais Jacques ?
– Je…
– Tuuuu ? fanfaronne-t-elle. On ne va pas jouer aux devinettes toute la matinée. Crache le morceau.
Mes mots buttent contre mon palais, impossible à sortir un mot de ma bouche, je m’efforce à déglutir, sortir un syllabe ou deux. Rien de plus. Je ne peux pas avouer ce qui se passe, l’avouer serait admettre le néant qui m’entoure et Christine, la connaissant, va angoisser. Je la connais, elle panique pour un rien. L’autre jour, elle a marché sur un caca de chien, c’était la crise pour les deux jours suivants. Prions pour qu’elle soit bien lunée aujourd’hui.
– Je ne vois rien.
– Comment ça tu ne vois rien ?!
– Je suis aveugle, Christine !
J’aurais dû me marier avec Victoria, putain. Je me suis gourée pour une belle paire de fesses. Elle est inutile, strictement inutile.
– Bon. Je vais appeler les urgences, dit-elle d’un calme olympien (étonnant). Attends-moi ici.
Elle remonte dans mon estime, la Christine.
– Où veux-tu que j’aille.
Christine a filé à l’étage chercher son smartphone, j’imagine. J’espère qu’il est chargé. Chaque fois c’est pareil, elle met trois plombes et moi, dans cet état-là, le temps a tendance à m'oppresser. J’agrippe mon réveil imitation d’aube dans les mains et colle mon visage contre le pseudo-jour qu’il doit simuler. Je ne vois rien, aucune lueur, aucune lumière. J’aimerais beugler pour qu’elle se dépêche mais ce serait se tirer une balle dans le pied, autrement dit un auto-goal. Allez, garde ton sang froid, Jacques.
Des pas reviennent par le couloir puis une forte odeur de café emplit la pièce. Christine a pris le temps de se couler un express, cette courge. Il n’y a pas d’urgence, c’est vrai. Ne rien voir est plutôt banal pour un samedi matin.
Je grince des dents pendant qu’elle énumère les formalités au téléphone : Jacques Costo, 60 ans, n° de sécu et consort. Christine, l'épaule collée contre la joue pour tenir son smartphone, s’assoit à côté de moi et m’invite à exécuter, selon son interlocuteur, une ribambelle de mouvements pour évaluer mon état. Christine ordonne. Je me redresse, lève les bras, les jambes, debout, assis, encore debout. Christine me palpe les joues et m’invite à lui sourire, je souris. Indécise, elle marmonne au téléphone.
Au bout du fil, l’urgentiste conclut que mon état n’est pas vital. Il nous conseille de nous rendre à l’hôpital des aveugles au plus vite. Christine raccroche et me choisit illico des habits dans le dressing. Elle est nerveuse. Je le sens à sa manière d’enfiler mon pantalon. Elle n’a pas remarqué mon membre sorti quand elle remonte la baillette.
– Aïe !
Christine zéro, Victoria, un. Mon ex aurait au moins été plus attentionnée à mon égard, aux vues des circonstances. Elle, elle suce juste mon fric.
– Prête pour l’asile ?
– Hôpital des aveugles, corrige Christine. Pas asile.
– Ils l’appelaient asile des aveugles quand j’étais petit, renchéris-je.
– Peu importe, grogne-t-elle. T’as mis où les clés ?
– Là, je ne vais pas pouvoir t’aider.
Je longe le mur du couloir, me repérant au crépi et aux petits meubles déco (et inutiles) jusqu’à la salle de bain.
– Tu fous quoi ? demande-t-elle d'une voix cinglante.
J’entends le tintement des clés qu’elle gigote, pressée de partir.
– Deux minutes.
Je trouve enfin le tube de dentifrice et inonde ma brosse à dent. Beurk, trop pâteux. Je l’ai remarqué d’une fois l’avoir mis à ma bouche. Christine elle, ne m’aurait pas aidé. J’ai vraiment foiré entre elle et Victoria. Pourquoi ai-je choisi Christine, déjà ? Bonne question.

Evil or Very Mad Cool Razz  Bisous bisous.
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Ricocotam
Messages : 14
Date d'inscription : 11/10/2021

Christine ou Victoria Empty Re: Christine ou Victoria

Ven 4 Aoû - 8:52
Le texte est top !
On sent bien l'agacement de Jacques, le show don't tell à son excellence. Je me suis bien amusé en lisant, bravo !
Admin
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Messages : 571
Date d'inscription : 03/10/2021
Age : 30
https://lapainpaute.forumactif.com

Christine ou Victoria Empty Re: Christine ou Victoria

Ven 4 Aoû - 15:26
Bravo pour pour ton texte ! Il est vraiment super à lire, bon rythme, bonne narration, Jacques est top. Bon respect de la consigne.

Elle étreint fort sa main dans la mienne quitte à m'enfoncer les ongles dans la chair, éprise de panique. : elle étreint ma main dans la sienne ; prise de panique

La main de Christine ne donne pas plus de soutien à cette situation que le moelleux du matelas à mémoire de forme sous mes fesses, un peu trop chaud après une longue nuit d’été. : peut être dit de manière plus claire mais bonne idée

Merci pour ta participation !
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Christine ou Victoria Empty Re: Christine ou Victoria

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