Une confiance aveugle

Le sol tremble dans le camion et je me réveille en sursaut. Le moteur du véhicule ronronne, on nous déporte. Depuis que le virus est apparu, les gens sont devenus incontrôlables. Quand ma vue a commencé a chuté, comme la plupart de mes voisins, je me suis rendu à l’hôpital, grossière erreur, plutôt que de nous soigner, ils nous ont enfermé pour contenir le virus. Mais ils ne comprennent pas que c’est trop tard, que le virus mute chaque jour et qu’il n’affecte pas les gens de la même manière. C’est sûrement ce détail-là qui leur fait si peur, ils redoutent que de symptôme en symptôme, le virus en vienne à décimer la population et surtout à les décimer eux, les puissants. Chacun y est sensible à sa façon.

— Tenez, monsieur ?

Une voix a résonné à ma gauche. Une voix douce, agréable. C’est étonnant que dans ce cauchemar au ralenti, la voix d’un ange puisse retentir. Nous sommes nombreux dans le camion, Je ne sais pas si c’est à moi que la personne s’adresse alors je ne réponds pas.

Une main attrape la mienne et y remet un objet fin, plié. Aux formes rondes présentes deux fois, je comprends de quoi il s’agit.  

— Vous avez fait tomber vos lunettes.

Un comble.

— Je n’en ai plus besoin, je crois.

La fille ne répond pas, insiste de ses doigts pour que je garde mes lunettes, peut-être les considère-t-elle comme porteur d’espoir. Peut-être que ce foutu virus régressera ou qu’un antidote sera trouvé ? À voir comment l’armée nous traite, j’en doute.

— Merci, murmuré-je.

Et je range les lunettes dans la poche de ma veste.

Soudain, le véhicule s’arrête et je sens tout mon poids heurter mon voisin de droite.

— Désolé.

— Il n’y a pas de mal.

Les portent à l’arrière s’ouvrent dans un bruit métallique mais personne ne descend. La peur nous a envahit.

— Posez une main sur votre voisin de droite, ordonne une voix grave.

Je m’exécute et, à tâtons, recherche l’épaule de mon voisin.

— Vous faites quoi ? Demande-t-il avant de comprendre : Oh, d’accord. Vous pensez qu’on va où comm...

Un bruit éclate à quelques mètres de moi et je reçois des éclaboussures. Un liquide poisseux me recouvre le visage, rentre dans ma bouche. Il a le goût du sang.  

Il lui a tiré dessus ?

Le corps du type tombe contre moi et, surpris, je le réceptionne mal. Son poids m'entraîne dans sa chute.

— Et maintenant, sortez tous du véhicule en silence.

La panique a gagné l’habitacle. Au sol, je me fais marcher dessus. Je ne leur en veux pas, ils n’y voient pas plus que moi. La poussière me fait éternuer. Je reste au sol. L’envie de me relever m’a abandonné, j’aimerais que tout s’arrête là. Aucun instinct de survie. Allongé sur le sol, je ressens toutes les aspérités du camion, certains trous. Des impacts de balles ?

Dans la poche de ma veste, les lunettes se tordent. Bizarrement, je ne veux pas qu’elles se cassent.

— Venez !

On me saisit par l’épaule, me relève et je suis, à l’aveugle, les pas de cet inconnu.

Sans me lâcher, je sens que son pas accélère. Ça ne va pas plaire aux militaires.

— Ils s’échappent ! A neuf heures, capitaine, un vert et un bleu.

Un vert et un bleu ?

Un son de mitraille détonne et un sifflement frôle mon oreille gauche. Mes jambes se mettent à courir plus vite et je dépasse ma partenaire de survie. Qu’est-ce qui m’a pris de la suivre, de me laisser embarquer ? Je ne sais même pas où je vais mais ne rien voir n’est pas le pire. Le pire, c’est la peur. Et la confiance chasse cette peur.

Alors que je cours droit devant moi, ma partenaire tire sur mon bras et je trébuche. Au sol, mes poings se serrent dans un réflexe. Est-ce que ça fera moins mal si je prends une balle ?

Ce monde aveugle n’est fait que d'imprévus et de mauvaises surprises.

Une nouvelle pluie de mitraille passe par dessus moi. Je l’entends, la ressens.

— Tout va bien ? Me demande l’inconnu. Je reconnais la voix, c’est celle qui m’a remis mes lunettes dans le camion.

— On est protégés par un rocher, ne bougez pas.

— Comment vous savez ça ?

Pas de réponse.

— Est-ce que vous voyez ? Je hurle.

Puis je réalise que le virus nous atteint tous d’une manière différente. Si la fille ne me répond pas, c’est peut-être parce qu’elle ne m’entend pas. J’allonge le bras dans la direction où j’ai entendu la voix pour la dernière fois et referme mes doigts sur du vide.

— Je suis là, m’indique-t-elle en attrapant ma main. Hoche la tête si tu m’entends.

Je m’exécute.

— Est-ce qu’ils tirent encore ?

Je tends l’oreille. Non, la mitraille a cessé. Ma tête se balance alors de gauche à droite.

— Je m’appelle Nora.

— Aaron.

— Je vois tes lèvres bouger mais j’entends pas.

Mon visage se déforme alors en une grimace, comment communiquer avec elle ? Mes mains s’agitent en l’air avant de se poser sur le sol. Friable comme du sable. Je lui lance une poignée de sable poussiéreux.

— Hé !

J’ai son attention. J’enfonce alors un doigt dans le sable et écris le plus lisiblement en lettres capitales : AARON.

— Enchanté Aaron, dit-elle d’un ton que j’estime souriant, je te propose un jeu de coopération. Pour s’en sortir, on va devoir allier nos forces, tu es d’accord ?

Je hoche la tête, attrape les lunettes dans la poche de ma veste et les pose sur mon nez. En quelques secondes, cette fille a réveillé mes instincts primaires. C’est peut-être ridicule mais je me sens à nouveau vivant. Pour la première fois depuis l'expansion du virus, je me sens lié à quelqu'un.

Puis j’écris quelques mots sur le sol : Tu as été mes yeux, je serai tes oreilles !

J'aime beaucoup !

C'est beau et c'est bien écrit ... Merci pour ce texte

Un virus qui attaque progressivement les sens, mais qui n'agit pas de la même manière selon les personnes... L'idée est vraiment incroyable !   Il y a de quoi créer tout un univers autour de ça et donc potentiellement, un roman entier. Franchement, chapeau pour ça !

Et pour le reste, le texte est super bien écrit, très agréable à lire et vraiment poignant. Donc vraiment, là je vois pas trop ce que je pourrais dire d'autre.

C'est très fluide et bien écrit !
Bravo !

On tape dans du bon ! Pas de suspens, on sait d'emblée que notre gars ne voit rien et que c'est nouveau pour lui ; beaucoup de questionnement, il essaie de se repérer comme il peut avec ce qu'il lui reste. C'est en ça que l'abondance flagrante d'appuis sur les autres sens dans la description prend du... sens. Que la fille insiste avec les lunettes prend son sens par la suite. Des petits cailloux, mais pas trop, ce qui laisse de la place à un peu de surprise pour la fin du texte !

Il n'y a pas une inondation de "je", ce qui donne un bon rythme et une bonne narration ! On pourrait chipoter sur un détail ou deux, mais c'est tellement infime que ça n'en vaudrait pas vraiment le coup ^^

Bravo pour ton texte ! Il est bien rythmé, l'idée est bien trouvée, bon respect de la consigne.

Quand ma vue a commencé a chuté, comme la plupart de mes voisins, je me suis rendu à l’hôpital, grossière erreur, plutôt que de nous soigner, ils nous ont enfermé pour contenir le virus. : un point pour couper la phrase en deux et donner plus de rythme.

Aux formes rondes présentes deux fois : je pense qu'il y a plus joli

Mes jambes se mettent à courir plus vite et je dépasse ma partenaire de survie. : un peu plus de course aurait été chouette

Ce monde aveugle n’est fait que d'imprévus et de mauvaises surprises. : un peu déconnecté par rapport à ce qui se passe je trouve mais pourquoi pas si le personnage n'a plus trop d'instinct de survie

Merci pour ta participation !

Salut ! J'aime beaucoup ton idée, et ton texte est bien écrit et se lit bien. Bravo !
Juste un petit détail que j'ai trouvé étrange :
"Mes jambes se mettent à courir plus vite et je dépasse ma partenaire de survie. Qu’est-ce qui m’a pris de la suivre, de me laisser embarquer ? Je ne sais même pas où je vais mais ne rien voir n’est pas le pire. Le pire, c’est la peur. Et la confiance chasse cette peur."
Je vois pas trop de quelle confiance il parle, là, mais j'ai peut-être mal compris... C'est le fait de courir qui lui redonne confiance ? Mais je sais pas si ça peut vraiment donner cet effet-là, courir à l'aveuglette, sachant que tu peux tomber et te faire mal à tout moment.
Mais bon, c'est pas un gros soucis, en plus j'ai l'air d'être la seule à avoir relevé ça donc c'est vraiment juste moi qui ai pas compris ^^'
Encore un grand bravo pour ton texte !