Une gueule d’ange

Je me réveillai, une douleur atroce au visage. Un liquide poisseux coulait sur mes joues, une sorte de cascade au goût métallique. Du sang. Je tâtai ma peau, boursouflée et douloureuse. Un bout de scotch recouvrait mes yeux, mais je sentais que c’était autre chose qui m’obstruait la vue. Je pivotai, cherchait un faisceau lumineux, une couleur, pour atténuer ce noir qui me donnait un mal de crâne atroce. Du noir, toujours du noir.
Mon cœur commença à s’accélérer dans ma poitrine. Je me débattis, des liens m’enserraient les mollets, comme des fils de fer me broyant la chair. Mon bassin aussi était enlacé à un bout de plastique. Une chaise, sans doute. Je gigotai de nouveau et le meuble grinça sous mes à-coups. J’étouffais, mon corps entouré de cordelettes s’épuisait d’effort. Mes mains tentaient de déchirer les barbelés qui me retenaient prisonnier, en même temps qu’un souffle rauque s’échappait de mes lèvres. Ne pas paniquer, surtout, tu peux rentrer dans une transe sous les projecteurs mais peu importe, tu-ne-foires-pas-le-défilé. Les paroles de mon manager me revenaient en tête, comme à chaque fois que je faisais une crise d’asthme avant de monter sur scène. C’était con.
— Fils de pute, articulai-je entre mes dents. Tu vois pas que rien ne sera plus comme avant ? que je mettrais peut-être plus jamais tes costumes Dior et un kilo de fond de teint sur la tronche ? Bordel !
La chaise bascula sur le côté, et un bout de ma mâchoire s’éclata contre le sol. Merde. Paniqué, je ramenai mes mains contre mon visage. L’impact avait brisé le cartilage et ouvert la peau jusqu’à l’os.
Des sanglots restèrent coincés dans ma gorge, j’en avais ras-le-cul du noir, ras-le-cul de m’être mordu la langue de douleur. Ras-le-cul d’avoir tellement mal aux yeux que je devais serrer les dents et les entendre crisser dans ma bouche. Sous mes doigts, je ne touchais non pas de la peau, mais de la chair, de la charcuterie comme on en achète au rayon frais du supermarché. A quoi ressemblait ce visage d’ange qui posait pour des magazines, autrefois ? celui qui me rapportait de la thune avec son sourire et ses yeux en amande ?
— Arthur O’Connor, le mannequin le plus demandé par les agences ces derniers mois, ricana une voix d’homme derrière moi. Lamentable. Je vais te dire à quoi tu ressembles, moi, à un triso qui a raté sa chirurgie esthétique !
Je sursautai. Des semelles claquèrent contre le sol et se rapprochèrent de moi à une vitesse folle. Une odeur de transpiration emplit mes narines, l’homme se trouvait sans doute à quelques centimètres de mon visage. Je pouvais sentir son haleine putride.
Un liquide chaud coula dans mon pantalon. Je serrai les poings, mes paumes étaient moites et mes mains tremblaient.
— Enfoiré !
— Ferme-la, gosse de riche, postillonna-t-il en enfonçant son talon dans ma joue, en même temps que j’hurlais de douleur. Tu mérites de crever ! de pourrir en enfer !
Son rire se mêla à une quinte de toux.
— Je veux que tu comprennes ce qu’on ressent, nous les moches, les rejetés de la société. Je veux que tu croupisses ici, avec pour seule compagnie ta laideur, ta gueule de merde !
Il arracha les bouts de scotch de mes yeux. Un film flou me recouvrait la vue, mais j’arrivais à voir mon reflet dans le miroir de poche qu’il me tendait. Avant de m’évanouir, j’aperçus un trou béant à la place de mon œil gauche et du côté droit, un œil exorbité. Celui qui me permettait de voir le massacre causé par le scalpel.

Bravo pour ton texte ! j'aime les idées ainsi que le comportement du personnage, le vocabulaire cru comme "ras le cul" ou la comparaison avec son visage de charcuterie, mais je pense que tu aurais pu aller plus loin dans la douleur, qu'il semble à peine ressentir (il s'explose la mâchoire sans moufter et même après, il parle sans problème).

Mon bassin aussi était enlacé à un bout de plastique. : bizarrement dit

Je me débattis, des liens m’enserraient les mollets, comme des fils de fer me broyant la chair. : autant parler des barbelés tout de suite, ou alors parler de quelque chose qui déchire la peau plutôt. Trop de choses différentes.

Merci pour ta participation !