Deux détonations qui résonnent dans ma tête

Deux détonations qui résonnent dans ma tête. Boum boum. La sensation du pavé froid. Le sang qui coule. Et puis plus rien.

Dalle de ciment. Crasse sur les murs humide. Odeur de pisse. Cris de terreur au loin. Rires moqueurs. Objets métalliques sur les poignets.

Je suis en cellule.

 Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Je vois rien. Mal au crâne. Me lève et tombe. Me relève. Retombe. 
- Allez, debout ! je me dis.

J’essaie de me rappeler. La manif. La première charge. Puis la seconde. Deux détonations qui résonnent dans ma tête. Boum boum. La sensation du pavé froid. Le sang qui coule. Et puis plus rien.

J’entends que ça barde encore. Ça gueule à la mort, ça tape sur les barreaux, ça insulte… Ça tente quelque-chose. 
- Il se passe quoi ? Hey ? Vous m'entendez ?

Pas de réponse. Trop de bruit. Alors je cogne. Sur les murs, sur les grilles, sur le sol. Je veux me faire entendre.
- Eh toi, t’arrêtes ça ou on t’en crève un troisième ! qu’on me dit. 

Je me fige. Et je comprends. 

Deux détonations qui résonnent dans ma tête. Boum boum. La sensation du pavé froid. Le sang qui coule. Et puis plus rien.

J’avais pas réalisé jusque-là. Tout est allé si vite. Je passe ma main sur mon visage et je sens le sang sur mes doigts. Assis sur le sol en silence. Mortifié. Terrorisé. Désespéré.
- C’est ça, tiens-toi sage comme ça ! Vaut mieux pour toi !

La haine. La haine chevillée au corps. Haine de ce qu’on m’a fait, de comment on me traite, de ce type qui m’insulte et me menace. Qu’une envie : lui mettre mon poing dans sa gueule. Là. Tout de suite. Mais j’ai pas la force. 

Je reste là pendant plusieurs minutes. Immobile. À attendre que quelque-chose se passe. J’écoute ce qu’il y a autour de moi. Ça veut péter les barreaux et les flics avec. Ça se coordonne pour les harceler. Ça veut s’échapper. Pour aller où ? Toute la ville est bouclée et quadrillée par les CRS. C’est se foutre encore plus dans la merde. J’entends qu’on les frappe, qu’on les matraque, qu’on les étrangle. Et qu’à chaque coup, ça répond plus fort. 

Je voudrais les aider, mais je peux pas. Je reste là, à me refaire le film. Recoller les morceaux, comme je peux. 

Deux détonations qui résonnent dans ma tête. Boum boum. La sensation du pavé froid. Le sang qui coule. Et puis plus rien.

Soudain, ça cède. Grand fracas métallique. Déferlante de cris et de coups dans les corridors. Demande de renforts urgents. Ils ont réussi. 

La porte de ma cellule s’ouvre. Je reconnais la voix de Millie qui tente de me rassurer. Je crois que Basile m’enlève les menottes. Cette odeur de tabac froid et cette voix rauque… Oui, c’est lui. Tous d’eux m’aident à me relever. Je tiens à peine sur mes jambes.
- La vache, ils t’ont pas loupé, Seb ! me dit Basile. Il pleure. 
- T’en fais pas, ça va aller, me dit Millie. On va te soigner, tout ira bien. Mais pour ça, faut qu’on se sorte de ce merdier. Suis-nous.

Agrippé à eux deux, j’avance dans les couloirs. Basile me guide à travers les ruines des cellules. J’enjambe les tas de barreaux et de plâtre qui jonchent le sol. Je sens qu’il y a des corps par terre et que je leur marche dessus. Millie en relève quelques-uns. Mais pas tous. 
- Couvre-toi le nez ! me dit Basile.

Une odeur âcre qui prend les narines. Lacrymos ? Non. Plus suffoquant et plus chaud. De la fumée. 
- Tout est en train de cramer, s’affole Millie. 

Je sens les flammes qui m’entourent. Elles me réchauffent. Me lèchent la peau. Me brûlent un peu. Me font peur aussi. Mais je sais qu’il faut passer au travers. Alors je me lance.

De partout, j’entends les hurlements. Panique totale. Vacarme assourdissant. Millie me dit un truc, mais je comprends pas. Je me rapproche d’elle et commence à discerner ses mots.
- À couvert ! À couvert ! Ils tirent !  

Deux détonations qui résonnent dans ma tête. Boum boum. La sensation du métal brûlant. Les douilles qui tombent. Et puis plus rien. Un instant de silence et d’incertitude. Et soudain : 
- On fonce !

Basile m’attrappe et me force à courir. Le feu est partout mais je ne le ressens plus. Je trébuche une, deux, trois fois. On arrive à un escalier. On monte. Marche après marche. Tout droit ? Non. Y a du tonfa en face. Faut tourner. Mais c’est partout pareil. Alors on se prend tout. Matraques, tasers, gazeuses, bottes, poings nus… Explosion qui te déglingue le corps. Grenade ? Probablement. 

Basile s’écroule. Quelque-chose l’a atteint, je sais pas quoi. Y a trop de merdes qui volent ici. 
- Millie, t’occupe pas de moi ! Sors de là avec Seb ! Barrez-vous, vite !
Il souffre et peut à peine parler. Des coups sourds arrivent à mes oreilles : on le tabasse. Je voudrais l’aider mais impossible. Je perçois plus rien, tout se mélange. Millie me pousse. Avancer, coûte que coûte. Encaisser les coups. Ne pas craquer. Fuir. Le plus loin possible.

D’un coup, de l’air frais dans les poumons. Et des vivats dans la foule. On est dehors ! On l’a fait ! Millie m’abandonne à des gens. Sans doute des médecins. Ils me montent sur un brancard. 
- Je vais chercher Basile ! dit-elle avant de disparaître. 
Millie… Je veux lui parler, une dernière fois. Mais rien ne sort.

Dans l’ambulance, les premiers soins. Perfusion, piqûre de quelque-chose, masque à oxygène, bandage sur les yeux… 
- Oh putain de merde… Le comico vient d’exploser ! hurle le chauffeur.
- Quoi ? 
- Tout vient d’exploser, je l’ai vu dans le rétro ! Le feu a dû toucher le gaz ou je… Merde, ça recommence !

Le souffle de la première explosion arrive alors. Puis celui de la seconde. Et enfin, la réalisation de l’horreur : Basile et Millie. 

Ils sont à l’intérieur. 

Deux détonations qui résonnent dans ma tête. Boum boum. Mais ni le pavé froid, ni le sang qui coule. Juste les visages de Basile et de Millie.

 Et la peur.

Bravo pour ton texte, la consigne n'était pas évidente. On ressent bien l'atmosphère et l'entraide entre les personnages. J'aime beaucoup l'effet de répétition aussi, le personnage déboussolé et comme déconnecté de lui-même.

Super texte, comme d'habitude
J'ai beaucoup aimé le style, surtout les petites phrases sèches du début, comme pour transcrire les bribes de conscience qui lui arrive par flash.
Peut-être aurais tu pu rajouter plus d'incompréhension quand à sa position, que son corps soit ballotté de toute part, etc. Vu qu'il est transporté rapidement entre plusieurs endroits différents tout en étant à moitié assommé. C'est un coup à très vite perdre ses repères, même sans être aveugle.
Mais c'est vraiment pour pinailler :p
Bravi-Bravo !

Merci à tous les deux pour vos retours !

Pour la perte de repères due à sa position, j'avoue ne pas y avoir pensé et c'est vrai que ça aurait ajouté quelque-chose. Maintenant, j'aurais pas eu la place (je suis à 999 mots   ) !

999 mots en 1h30 ! Trop fort !
Beaucoup d'action, ton texte nous tient en haleine.

Bravo pour ton texte, il est très bien. Original le style, super rythme, bonne utilisation de la consigne. ++++
Merci pour ta participation !

J'adore !

Coucou j'ai adoré ton texte. Très bien écrit et super bien rythmé. J'aime bien l'utilisation des phrases très courtes notamment, ça rend bien le ton et l'ambiance de l'histoire. Bravo

Salut ! Génial ton texte ! On ressent bien le choc du personnage. J'adore la répétition du "Deux détonations...", avec ses variantes à la fin, c'est super impactant. Le rythme est nickel.
Un grand bravo !