A la plage

Ce fut la douleur qui me réveilla. L’impression d’avoir été broyé par une essoreuse et recraché sur le sol, les vertèbres remontées dans le désordre. Un puzzle humain qu’on avait fait à l’envers et dont il manquait la moitié des pièces. Mon dos restait crispé, figé dans un carcan où chaque mouvement mettait un nerf à nu. J’hoquetais, comme un poisson hors de l’eau, à essayer de trouver une position moins inconfortable. Lamentable échec. Mes côtes n’arrivaient pas à se déployer, les poumons aussi vides qu’un ballon crevé. Et lorsqu’enfin je réussis à basculer sur le côté, je toussotais tant qu’un filet de bave m’étrangla la gorge.
- Sam, je crois que j’ai un problème.
Mes mains tâtonnèrent, à la recherche de mes draps, à la recherche du corps toujours brûlant de Sam. Mais il n’y avait que de la roche et de la poussière. Les grains s’étaient faufilés partout, ils collaient à mes fesses, à mes jambes… j’en avais jusque dans la bouche. Ils avaient un goût salé et je me demandai si c’était du sable.
- Mais qu’est-ce que…
J’essayai d’ouvrir les yeux, mais tout restait noir autour de moi. Un noir absolu que je n’avais jamais connu jusqu’alors. Je réalisai que mes paupières me brûlaient, la chaleur qu’elles dégageaient enveloppait mon crâne d’une douleur sourde. Mes doigts s’aventurèrent lentement sur mes tempes et découvrirent une peau boursoufflée et pleine de cloques. L’image de ces visages, brûlés à l’acide, s’imposa dans mon esprit. Les dents serrées, je continuai mon examen jusqu’à mes yeux. Mon cœur envoyait des pulsations tellement fortes qu’elles menaçaient d’exploser ma cage thoracique. Je le sentais battre dans tout mon corps tandis qu’un mauvais pressentiment me tordait l’estomac, et avant même d’avoir touché le coin de mon œil, je savais.
- Oh mon dieu… Oh mon…
Quelque chose avait scellé mes yeux, au milieu d’un capharnaüm de chairs et de pus. Le moindre contact me donnait envie de hurler, mais je ne pouvais résister à l’envie de suivre le tracé de mes cils, essayer de sentir le mouvement de ma pupille. Rien. Seulement une bouillie immonde. Le dégoût secoua mon ventre en une vague puissante et je vomis à côté de moi. L’acide détruisit ma gorge, me laissant un sale goût sur la langue. Je toussai encore et encore, jusqu’à ce que la bile arrive.
En sueur, je restai un instant immobile au-dessus de la flaque. Mon corps tremblait tant que j’étais incapable de me mettre debout de toute façon. Il régnait ici une chaleur humide, une couche d’air tellement lourde qu’elle donnait l’impression de vous écraser contre le sol. J’avais envie de pleurer, mais le sanglot restait bloqué et seule une longue plainte sortit de mes entrailles. Mes ongles s’enfoncèrent dans le sable, raclèrent la pierre autour.
- A l’aide, s’il vous plaît, aidez-moi !
Je commençai à m’agiter et avançai à quatre pattes. Les anfractuosités me lacéraient les genoux, mais il me semblait sentir un courant d’air face à moi. La brise était ténue. A peine une caresse. Je me dirigeai vers elle un peu plus vite, n’osant toujours pas me lever, lorsque ma main tomba dans de l’eau. Je la retirai aussitôt, surpris, avant de toucher prudemment la surface. Le liquide était tiède, contenu dans un trou de roche pas plus profond que mon pouce. Le goût du vomi m’agressait encore les dents alors je trempai mes lèvres et sentis aussitôt un goût salé. Des grains de sable me restèrent sur le menton. J’en déduisis que je ne devais pas être loin de la mer.
Je repris ma progression, à moitié redressé maintenant. Mes bras balayaient le vide devant moi tandis que mes pieds tâtaient le terrain. De la pierre, je passai aux algues. Leur texture poisseuse m’effraya au début mais elles sentaient tellement l’iode que je fus vite rassuré. Elles étaient encore humides, une poignée de mouches bourdonnaient autour. Au loin, des mouettes criaient par-dessus le bruit des vagues. C’était maintenant un vent frais qui m’enveloppait et si le reste de mon corps accueillit les bourrasques avec plaisir, délassant mes muscles transpirants, mon visage n’en ressentit qu’une plus vive douleur. La mitraille de sable et de sel torturait mes chairs à vif, mais je n’avais pas la force de m’en protéger. Venir jusqu’ici m’avait déjà coûté trop d’efforts. Les mouches qui s’intéressaient aux algues me tournaient autour désormais. Je sentais leurs pattes explorer mes plaies. Certaines avaient déjà dû pondre. Je les balayais de la main au début, maintenant je les laissais faire.
Ce n’est qu’une fois les pieds dans la mer que je me laissai tomber. Un cri derrière moi fut la dernière chose que j’entendis.

wow ! Respect ! On voit la pro !

Souffrances du jour, bonjour ! Gore mais pour le coup, je souffrais avec le personnage.