Après le pillage

Ren écumait de rage. Il avait accouru quand Osham était venue le tirer de sa partie de chasse en foret. Les troupes de ce maudit seigneur étaient là, vidant les réserves de grain et de viande d’Ayoum, promettant de nouvelles semaines de rationnement à ses habitants. C’en était trop pour Ren, il devait les arrêter, préserver son village de ces parasites. Mais il arrivait trop tard.

Alors qu’il traversait la place du village d’un pas vif, Osham parvenant enfin à le rattraper, il ne pouvait que constater son échec. Les roues des chariots des pillards avaient laissé de profonds sillons dans le sol en repartant, preuve du volume de ressources qu’ils avaient emportées avec eux. Tournant la tête pour observer les alentours, il croisa le regard de l’aubergiste, qui s’efforçait d’effacer les traces de bottes devant son établissement.

– Ah, Ren, Osham… Vous êtes l…

– Où est mon père ?, le coupa Ren d’une voix rocailleuse.
L’aubergiste soupira, les épaules tombantes, et répondit d’un simple claquement de doits vers la rue principale, au bout de laquelle s’élevait la hutte de chef du village.

Ren reprit sa marche sans même le remercier, obligeant Osham à se remettre elle aussi en route alors qu’elle tentait de reprendre son souffle. Il avait les yeux fixés sur la hutte, ses longs cheveux bruns battant au vent. Il ne prêta pas la moindre attention aux villageois qu’ils croisèrent, trop accaparé par ses pensées bouillonnantes. Alors qu’il lui restait dix mètres à parcourir, il vit son père émerger de la hutte, des sacs de grains vides sur l’épaule gauche.

– Tu tombes bien, tu vas pouvoir m’aider à sortir tout ça et à les porter au moulin, commença Olen en laissant tomber son fardeau.

– Tu les as ENCORE laissés faire ?!?, cracha Ren en s’arrêtant à cinq mètres de son père.

– NOUS les avons laissés prendre ce dont ils ont besoin, nous ne voulons pas de problème, soupira le guerrier en fixant du regard son fils. Combien de fois devrais-je t’expliquer cela ?

– M’expliquer quoi ?, tempêta Ren, vers lequel tous les yeux s’étaient tournés.

– Qu’il faut parfois savoir où sont tes limites, rétorqua Olen d’un ton plus froid, plus dur. En tant que chef, je ne peux pas risquer la vie de tous mes frères et sœurs pour un combat perdu d’avance, ajouta-t-il en désignant les rangs de bâtisses de part et d’autre de la rue.

– Dis plutôt que tu as trop peur, tu n’es qu’un lâche ! cria Ren, des flammes de rage plein les yeux.

Les traits d’Olen se tirèrent, une ombre passant sur son visage. Il fit un pas vers son fils. L’approche du redoutable prédateur qu’il était. Instinctivement, Ren s’arqua, près à se défendre. Il vit du coin de l’œil qu’Osham était blême, tandis que nombre d’habitants s’étaient plaqués aux murs.

– À qui penses-tu parler, jeune idiot ?, lâcha Olen. Il fit un deuxième pas vers son fils. La moitié de la distance les séparant avait été couverte en seulement deux enjambées. Je suis ton père, ton chef de village, qui crois-tu être pour m’insulter ?

– Je suis celui qui a le courage de faire ce que tu fuis. Je suis un homme désormais, dit Ren en levant son pouce vers l’os de cerf taillé qui traversait ses cheveux emmêlés. Et si tu n’es pas prêt à te battre pour protéger ceux que tu appelles tes frères et sœurs, alors je le ferais !

Il avait dit ces mots d’une voix forte mais qui, à son grand désarroi, avait souffert quelques trémolos. Son père était grand, élancé, puissant. Les années n’avaient pas amoindri sa stature, et le voir marcher sur lui de la sorte l’avait plus ébranlé qu’il ne l’aurait voulu. Sa main s’était machinalement portée vers l’étui de cuir de son couteau, mais il savait que si une véritable lutte devait s’engager, son arme ne lui octroierait aucun avantage.

– Oui, quelle brillante réussite !, ironisa Olen en passant son doigt sur son propre menton, traçant la cicatrice qu’avait ramené Ren de sa chasse au cerf rituelle. Tu as été assez buté et inconscient pour tenter et réussir un test réservé aux adultes, mais regarde-toi. Ta peau est encore celle d’un enfant, et tes forfanteries ont la tremblote à la simple approche d’un lâche tel que moi…

– Seth me protège, rétorqua avec fierté Ren, bombant le torse autant qu’il le put. Je n’ai pas peur de me battre, ou de mourir, contrairement à toi !

– Hanau te protège, fils ! tonna Olen. Depuis ta naissance, ta Vie est sacrée, tous nos Dieux te prêtent assistance et veillent sur toi…

– À quoi bon ? Vos Dieux de l’Abondance, de la Fertilité ou de la Rivière veillent sur vous en laissant les fruits de la culture, de la pêche ou de la chasse être arrachés par ces salauds ? Seul Seth peut nous guider, nous devons nous battre ! Je suis prêt à donner cette « vie sacrée » qui m’a été offerte !

Ren sut qu’il était allé trop loin à l’instant où ces mots quittaient ses lèvres. Il vit la résolution traverser un instant le visage furieux de son père, s’attendant à ce qu’il fonde sur lui trop vite pour qu’il ne puisse analyser son mouvement. Lui-même s’en voulait de parler si trivialement de cette vie que sa mère avait sacrifiée en le mettant au monde. Il se souvenait des mythes que son père lui racontait sur Hanau, ce dieu de la Naissance qui rappelait parfois les mère à lui dans le processus. Le renouveau de cette vie qui s’achève symbolisé par celle qui débute était honoré par sa tribu, et par Olen particulièrement. Mais il n y’ eut pas de déferlement. Olen serra les poings, se mordant la lèvre, mais finit par se détendre.

– Rendez-vous utiles en allant aider le vieux Teyak à la sortie du village, souffla-t-il. Aidez-le à ranger sa grange. Tous les deux !

Ni Ren ni Osham ne dit mot, et ils se mirent en route.

Hello !

Bravo pour ton texte, il est vraiment super. C'est fluide, c'est bien écrit et l'on ressent bien les émotions qui traversent Ren à l'égard de son père.

Le passage de sa naissance et du Dieu Hanau est touchant. C'est une belle trouvaille !
Un léger bémol pour moi à la fin « Olen serra les poings, se mordant la lèvre, mais finit par se détendre. » Je pense que ce n'est pas suffisamment impactant comparé au reste de ton texte. Il passe trop vite d'une émotion à une autre, comme si finalement ce n'était pas si important ce qu'avait dit Ren. Peut-être remplacer le « détendre » par « se détourna ». Ça marque bien qu'il passe au-dessus, mais que ça n'affaiblit pas la douleur qu'il a ressentie aux mots de Ren. À mon sens, je peux me tromper !

Encore bravo, j'ai été happée par ton histoire !

Je rejoins Rattis, ton texte est très bien raconté et très fluide. Surtout, on y croit et l'antagonisme entre Ren et Olen me paraît très naturel.

Seule remarque que je vois : des flammes de rage plein les yeux, c'est peut-être un peu too much je pense. De la rage plein les yeux suffisait sans doute.

Bravo pour ton texte ! Tu montres bien le caractère de Ren en le faisant apostropher son père en public, la narration est très bien, le rythme est bon. Très bien utilisé la mort de sa mère avec les dieux.

preuve du volume de ressources qu’ils avaient emportées avec eux. : un peu lourd le "preuve du volume". Tu aurais pu faire sans explication ou être un peu plus léger.

cria Ren, des flammes de rage plein les yeux. : attention, tu mets des incises à tous les dialogues, ce qui fait un peu redondant.

Tu as été assez buté et inconscient pour tenter et réussir un test réservé aux adultes, mais regarde-toi. : un peu lourd les deux "et", seul le deuxième est nécessaire je pense.

Merci pour ta participation !