Agir, enfin...

Un léger craquement résonna dans son dos et il serra les mâchoires. Bon sang, ils ne peuvent pas me ficher la paix ? Au moins aujourd’hui ? Il se retourna, prêt à incendier l’importun, mais retint sa tirade.

« Ah, c’est toi, marmonna-t-il.
- Comment tu as fait pour m’entendre ? J’ai été discrète, pourtant ! »

Il leva les yeux au ciel alors qu’Osham se laissait tomber à ses côtés.

« Tu te crois plus discrète qu’une biche ? ironisa-t-il.
- Non, sans doute pas, admit-elle. Mais je me suis améliorée, hein ? » poursuivit-elle avec un regard plein d’espoir.

Une ébauche de sourire étira les lèvres de Ren.

« Oui, en effet », concéda-t-il.

Il reporta son attention sur l’os à moitié sculpté qu’il tenait dans sa main et se remit à le tailler.

« C’est très beau. C’est pour elle, n’est-ce pas ? Tu vas lui offrir ? »

Il se crispa et sa lame ripa, manquant de s’enfoncer dans son pouce.

« Merde !
- Ça va ? s’alarma immédiatement sa cousine.
- Oui, c’est bon », grogna-t-il.

La jeune fille se mit à tresser une couronne de pâquerettes alors qu’il poursuivait sa sculpture. Après un moment de silence seulement troublé par le glougloutement du ruisseau à leurs pieds, elle demanda à mi-voix :

« Je sais que c’est pas grand-chose… C’est moins impressionnant que ce que tu es en train de faire, mais… Est-ce que je pourrais venir avec toi sur sa tombe, et déposer ça ? C’est ma tante, après tout. Enfin, sauf si tu veux absolument être tout seul. Mais… c’est peut-être mieux que tu ne sois pas tout seul, non ? »

Ta tante que tu n’as jamais connue… Moi non plus, d’ailleurs. Et par ma propre faute… Tu es bien plus légitime que moi pour lui rendre hommage.

« Ren ? »

Il se racla la gorge.

« Fais ce que tu veux », répondit-il d’un ton bourru.

Il détourna la tête pour ne pas qu’Osham voit ses yeux s’embrumer et remarqua un nuage de poussière à l’horizon. La vague de douleur qui menaçait de le submerger fut stoppée net, et son sang se mit à bouillonner.

Eux.

Il fourra la statuette dans sa poche, s’empara de son arc et de son carquois et bondit sur ses pieds.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Merde ! Osham… Sa résolution de tendre une embuscade aux chiens de garde du seigneur se heurta à l’inquiétude pour la sécurité de sa cousine. S’il ne parvenait pas à tous les abattre, ils risquaient de rattraper la jeune fille avant qu’elle n’ait atteint le village.

« Debout ! la pressa-t-il. Ils arrivent. »

La frayeur envahit le visage de l’adolescente. Elle s’agrippa de toutes ses forces à sa main et il l’entraina à sa suite. Ils dévalèrent la colline, sautèrent par-dessus une barrière et traversèrent un champ en jachère. Elle ralentit dans la côte qui menait au village, à bout de souffle.

« Continue ! » l’encouragea Ren, haletant lui aussi.

Ils franchirent l’entrée de l’enceinte en bois et elle s’effondra par terre.

« Ne reste pas là, rentre chez toi ! Je dois aller prévenir mon père. »

Il a intérêt à faire quelque chose, cette fois ! Il se dirigea vers le centre du village à petites foulées. Olen se trouvait sur la grand-place, en pleine discussion avec le charpentier.

« Père ! Ils sont de retour ! » les interrompit-il.

Le chef suspendit sa conversation et se tourna vers lui.

« Déjà ?
- Oui, déjà !
- Mais leur dernière visite date de la semaine dernière », marmonna-t-il en passant une main sur sa barbe, les sourcils froncés.

Visite ? VISITE ? Tu appelles ça une VISITE ?! Ren se mordit si fort l’intérieur de la joue qu’il sentit le goût métallique du sang se répandre sur sa langue.

« C’est de plus en plus fréquent ! Il est grand temps de réagir, non ? s’écria-t-il.
- Laisse-moi gérer ça, mon garçon. Je vais leur demander des explications. »

Le charpentier hocha la tête, tout comme une matrone qui s’était approchée, son panier sous le bras. Le jeune homme écarquilla les yeux, abasourdi.

« Demander des explications ? Vous allez leur servir la bière, aussi, tant qu’à faire ?
- Assez, Ren.
- Et ça vous convient, ça, à vous ? lança-t-il aux habitants qui se regroupaient autour d’eux, attirés par les éclats de voix.
- J’ai dit ASSEZ ! » tonna Olen en le fusillant du regard.

Ren se retint de justesse. Il était allé trop loin en défiant son père en public. Hors de question de se faire gifler devant tous ces gens. Il serra les dents, fit volte-face et se traça un chemin dans la foule à coups d’épaule. La voix du chef retentissait derrière lui, distribuant ses ordres pathétiques :

« Gardez votre calme. Faites rentrer les enfants dans les maisons… »

Et cette bande de moutons allaient obéir. Ils obéissaient toujours. Ils ne bougeraient jamais s’ils avaient l’occasion de s’aplatir.

L’idée fusa dans son esprit, manquant de le faire trébucher. C’était évident ! Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Il devait leur enlever l’occasion de s’aplatir s’il voulait les faire bouger. Le seigneur ne pardonnerait pas la mort de ses soldats de malheur sous la palissade du village.

Ren crispa les doigts sur son arc et changea de direction.

Il fonça droit vers l’enceinte.