L'histoire de l'étranger

Voici les cartes qu'on m'a proposé :

L’Hermite
L’Impératrice
Le Mat

J'ai choisi le mat (qui est une sorte de fou/vagabond de ce que j'ai compris)


Le silence s’était imposé comme une évidence ce jour-là. Je faisais le service, je sais de quoi je parle. Même le gros Claude avait fermé sa bouche. Faut y aller pour intimider cette grande gueule d'habitude. Un grand gaillard maigrichon était entré dans la taverne, sans un bruit. Les étrangers, c'est pas notre tasse de thé. En général, ils se font dépouiller avant même de poser le pied en ville. L’extérieur, c'est rien que des emmerde. C'est dommage pour l’économie, mais important pour notre salubrité. Faut pas se mélanger. On les fait couiner avant qu'ils aient le temps de polluer notre quotidien. Mais cette fois-ci, il y a pas eu un cri pour l'annoncer. Il était apparu dans l'encadrement de la porte, sans avoir existé avant ça. Comme un fantôme, silencieux. Vous comprenez en quoi le Claude était sur le cul. Lui, il s'en ventait de ratonner des curieux. C’était du flan pour sûr, pour se faire paraître plus gros qu'il n'est. Tout le monde savait secrètement qu'au fond, il était plus couard qu'il voulait faire croire. On s'en fichait. L'important c’était les drôles d'histoires qui en découlaient.

L’étranger s’était installé à une table dans le silence entendu. L'air débonnaire et les pieds sur la table, il posa un large sac sur la table dans un bruit sourd. En réponse, on avait que des murmures et des regards interrogateurs. On s’était alors mis d'accord implicitement, fallait que le gros Claude y aille régler son compte à ce gars-là. Il était gêné d’abord, mais en voyant l’engouement monter il pouvait plus se défiler. Pis il a dû se dire que ça allait rajouter du grain à sa légende. Ni une, ni deux, v'la qu'il enquille sa bière cul-sec. Un joli spectacle se préparait pour nous autre. Moi j’étais déjà ravi d'avance. Ça sentait la tournée générale derrière. Fallait juste qu'il fasse gaffe au mobilier.

- Bah alors mon gaillard, tu t'es perdu ? T'as soif peut-être ?
- Une bière s'il vous plaît.

On sentait bien que le Claude était pas à l'aise avec ce genre d’exercice. Quand il balbutiait pas, c’était pour regarder dans notre direction, comme pour nous demander quoi dire.

- Tu me prends pour le serveur ou quoi ? Écoute mon copain, je suis sûr que tes poches sont pleines de petites piécettes. Ça te dirait pas plutôt de partir en les laissant sur la table. Ne t’inquiète pas, la bière est pour moi.

Il était fier de sa petite saillie. Il cherchait de l'encouragement dans nos regards. On était plus amusé qu'autre chose.

- Mon pauvre Claude, noyer ton chagrin ne fera pas revenir ta mère.
- Ma mère ? De quoi tu m'parles mon garçon ? Pis comment tu connais mon nom ?

C'est à ce moment-là que l'ambiance est devenue bizarre. Je saurais pas l'expliquer clairement, tout s'est passé si vite. Les murs se sont refermés sur nous, on était prisonnier de cette pièce, sans pouvoir rien dire. Un bruit d'eau perlant sur le sol pour seul marqueur temporel.

- Essayes même pas de me raconter des sornettes le gueux, qu'est-ce que t'as à baragouiner sur ma mère encore ? Dis !
- Le deuil est lourd à porter, je sais de quoi je parle. Quand une personne qu'on a aimée disparaît, on a l'impression de la voir partout, tout le temps.
- Mais qu'est-ce qu'il bave le va-nu-pieds. Ma mère est partie acheter des chèvres en Sarhavie, elle est pas morte. Change pas de sujet donc, aboule l'or si tu veux pas te faire botter les fesses.
- Oh, alors Gontran ne t'a rien dit ?

La scène devenait absurde. Nous tout ce qu'on voulait c’était voir le Claude le jeter dehors à coup de gnons. Gontran qu’était assis s'est mis à suer à grosses gouttes. Moi je l'ai remarqué. C'est pas juste à servir qu'on me paye, mais aussi à observer.

- Hein ? Gontran, tu le connais ce gars-là ? Il te dit quelque chose ?
- Jamais vu. Fais-lui manger ses dents qu'on en finisse et qu'on retourne à boire. Aller !
- En tout cas, je trouve que c'est une belle ouverture d'esprit d'avoir pardonné à ton ami. Surtout de la façon dont il l'a égorgé. Je l'aurais toujours mauvaise personnellement.
Gontran s’était levé d'un coup, renversant sa chaise.
- De quoi qu'il parle lui ? Fermes bien ta gueule dis !
- Qu'est-ce que c'est que ça encore Gontran, qu'est-ce qu'il raconte.

Les regards amusé et curieux s’étaient tous éteints. Nos pensées avaient été mises en pause. On se regardait, déboussolés, agités. Il n'y avait bien que l’étranger qui restait calme, vissé sur sa chaise.

- J'en sais rien j'te dis ! Je sais pas qui c'est ce gars-là, mais si tu lui pètes pas la gueule, moi je vais le faire.

Il s’était élancé en direction de l’étranger, décidé.

- Pourquoi tant de violence. Je suis simplement venu prendre un verre et vous rendre service à Claude et à toi.
- Nous rendre service ? Gontran assieds-toi dis ! Je m'en occupe d'accord. J'aime pas trop la tournure que prennent les choses alors t'as intérêt à t'expliquer fissa.
- Eh bien je vous l'ai ramené. Il aurait été dommage de l'oublier dans la forêt.

L’étranger ouvra le sac qu'il avait posé sur la table. La salle se remplit d'une odeur de mort. De là où j’étais, je ne put bien voir mais j'ai entendu les cris.

- Ce n'est pas moi, je te jure Claude. J'y suis pour rien ! C'est arrivé comme ça. Écoutes !

Ce fut la pagaille, Claude se jeta sur Gontran. Les tables volaient, c’était le chaos. C'est à ce moment-là que je pu apercevoir ce qui se trouvait dans le sac. Le corps de la mère de Gontran, démembrée, ficelée dans un linge imbibé de sang.

Les gens s’écharpaient alors, ils se sont pas rendu compte. Mais moi oui. J’étais la bouche ouverte tout ce temps. L’étranger avait disparu.

Ils n'ont pas fait gaffe au mobilier du coup.
Quand il a posé son sac, je me suis dit que ça serait cool qu'il y ait une tête dedans. Je suis pas déçue ! xD

Un bon texte. Au début j'ai pas trop compris pourquoi ils étaient tous silencieux. Si c'était juste le fait de voir un étranger ou parce qu'il dégageait quelque chose de particulier.
J'aurais bien aimé savoir pourquoi Gontran l'a tuée. x)

Tu as écrit une belle histoire

J'ai adoré ton texte ! On est tout de suite immergé dans ce PMU miteux du fin-fond de nulle-part (même si tu dis que ça se passe dans une ville, moi j'ai pas pu m'empêcher d'y voir le bar merdique où traînent les poivrots du village), avec ces deux gros beaufs racistes et alcoolos, d'énormes clichés mais qui marchent totalement. Et puis ce gars qui débarque de nulle-part juste pour foutre le bordel, c'est un régal   

Contrairement à Sisuki, je trouve qu'il n'y a pas besoin d'en savoir plus. J'aime bien le fait qu'on s'imagine pourquoi Gontran a tué la mère de Claude et comment ce gars sait tout ça, sans qu'on n'aie le fin mot de l'histoire. Tout ça a vraiment un côté de ces histoires un peu sordides et glauques que toute personne ayant vécu ou ayant de la famille dans un bled archi paumé connait et j'adore cette ambiance (enfin... en texte, bien sûr, pas en vrai   ). 

Si je devais pinailler, je dirais que j'aurais aimé que la vulgarité des personnages et des dialogues soit encore plus accentuée, mais c'est vraiment pas grand chose.

Merci beaucoup pour vos retours, ca fait plaisir

@Sisuki Au début du récit ils sont silencieux parce qu'ils n'ont pas l'habitude de voir des étrangers. Cela leurs semble bizarre, anormal, ils sont stupéfaits. A la fin du temps d'écriture j'avais plus de 1.000 mots donc j'ai du faire des coupes pour limiter, j'ai du perdre un peu de compréhension sur certaines scènes à ce moment là.
Et pour ce qui est du pourquoi Gontran a tué la mère j'en ai aucune idée xD. Je cherchais juste à engendrer un conflit à l'aide d'un personnage extérieur (l'étranger) qui tiendrait un peu de la fable, presque du mystique. Et c'est la première idée qui m'est venue x)

@Céhah C'est vrai que ca aurait pu être un peu plus vulgaire. Je me suis trop attaché au fait que le personnage de Claude soit un faux courageux et je me suis donc un peu restreint sur sa verve. D'ailleurs j'ai l'impression que j'ai laissé des redondances dans ses façons de parler (typiquement les phrases du genre "quoi, qu'est ce que tu dis", qui sont peut-être un peu trop nombreuses). A corriger pour la prochaine fois

Pour le coup, j'avais pas du tout remarqué les redondances (et même en relisant, ça me saute pas aux yeux). Et en vrai, ça aurait pas été un défaut : au final, ça aurait donné un tic de langage à un des personnages, ce qui aider à facilement le caractériser.

Coucou ! J'ai adoré ton texte ! L'humour qui s'en dégage et rend le final encore plus glauque et malaisant, exquis ! J'ai bien aimé aussi que le narrateur soit "extérieur" au coeur de l'action, on a bien pu observer les réactions de tout le monde comme ça, et surtout, rester aussi perdus que lui ^^

Juste 2 petits points de chipotage: "En tout cas, je trouve que c'est une belle ouverture d'esprit d'avoir pardonné à ton ami. Surtout de la façon dont il l'a égorgé." Je pense qu'il y a un problème de syntaxe dans la 2ème phrase, parce que ça ferait "tu lui as pardonné de la façon dont il l'a égorgée" et ça ne se dit pas. "Etant donné la façon, vu la façon...", c'est des exemples qui auraient fonctionné sur le plan de la syntaxe ^^

"L’étranger ouvra le sac qu'il avait posé sur la table." Petit problème de conjugaison ici: "ouvrit" et pas "ouvra" ^^

Mais sinon rien à dire, excellent texte, bravo !

j'ai adoré lire ton texte, bien immergée dans l'ambiance et moi non plus je ne suis pas pressée de savoir pourquoi Gontran l'a égorgée, il l'a fait voilà tout.

Merci pour ton texte ! J'ai bcp aimé le ton, bon rythme, bonne narration, bonne histoire, originalité ++. C'est très bien.

On les fait couiner avant qu'ils aient le temps de polluer notre quotidien. : je trouve que le sujet des étrangers a déjà été abordé avant, puis tu es passée sur l'extérieur en général et là tu reviens sur les étrangers. Je trouve mal placé du coup.

Un bruit d'eau perlant sur le sol pour seul marqueur temporel. : pas beau "marqueur temporel"

Merci pour ta participation !