Le bal de l'Impératrice

Mes cartes étaient l'Impératrice, la Maison-Dieu et le Soleil. J'ai donc choisi l'Impératrice, qui était celle m'inspirant le plus. En espérant que ça vous plaise ! Bonne lecture

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Ils dansent.

Sous les dorures du palais, ils tournoient au rythme de la valse jouée par l’orchestre. Et moi, perchée tout en haut sur mon trône d’or, d’émeraude et de saphir, je les observe. Princes et princesses, comtes et comtesses, ducs et duchesses, marquis et marquises… leur rang n’a plus d’importance ici. Ils ne sont rien d’autre que mes invités d’une nuit.

Devant mes yeux, des amours naissent entre les cavaliers et leurs partenaires. D’autres meurent, tués par la jalousie de voir l’être aimé loin de ses bras. Sur les visages des danseurs, j’aperçois des sourires aimants autant que des larmes désespérées. Dieu, que j’aime ce spectacle ! Je me délecte du pouvoir que j’ai sur eux. En les recevant ainsi dans ma demeure, je décide de leur futur, de qui je couronnerai des grâces de l’amour et du plaisir, et de qui je plongerai dans l’abîme de la solitude et de la haine. Je suis l’alpha et l'oméga, le commencement et la fin de leurs vies, de leurs rêves, de leurs gloires… Tout passe par moi, et moi seule.

Alors, que sifflent les anches des hautbois et clarinettes, que vibrent les cordes des violons et des harpes, que résonnent les peaux des tambours et les cymbalettes des tambourins ! Que la musique soit et qu’on l’entende dans tout le palais ! Que tout le monde l’entende dicter ses pas ! Et surtout, qu’ils sachent que j’en suis l’autrice, que chacune des notes arrivant à leurs oreilles fut couchée sur le papier par ma plume ! Qu’ils en perçoivent les codes, les messages cachés que je leur ai adressés !

Au premier rang se trouvent le comte de Morthemer et la princesse du Val Écarlate, unis comme aucun des autres couples dansant avec eux. Je les ai vus réagir lorsque le hautbois a joué une mélodie fusionnant des airs de leurs contrées respectives. Ils ont réalisé que je bénissait leur amour et en échange, ils m’expriment toute leur gratitude par un regard bienveillant suivi d’une révérence furtive, mais appuyée. Je ne leur en demandais rien de plus. Ensemble, ils me seront fidèles jusque dans l’autre monde.

Quelqu’un d’autre a compris sa destinée dans la musique. J’ai aperçu le marquis de Port-Albert reconnaître un chant de marin parmi les notes des harpes. Mais dans mon œuvre, celui-ci s’achève par une dissonance imperceptible, sauf de celui connaissant la mélodie originelle. C’est son cas à lui, l’homme de la mer. Maintes fois il a entendu le lugubre appel des sirènes qui venait s’échouer sur ses oreilles. Il sait ce que c’est d’entendre la mort en personne l’appeler. Son palissement soudain trahit sa peur. Cette nuit, alors que la princesse et le comte s’adonneront à leurs ébats dans un lit de lumière et de diamant, lui agonisera dans son cachot d’ombre et de crasse pour avoir fomenté un complot à mon encontre. Voilà la peine encourue par les traîtres : la souffrance infâme, pour l’éternité. Oh, il peut bien s’enfuir s’il le souhaite ! Le palais tout entier le poursuivra, jusque dans l’au-delà s’il le faut ! Et Port-Albert brûlera, se consumant jusqu’à la dernière braise…

Ils dansent.

Les candélabres éclairent toujours les dorures du palais. La valse rythme encore les pas des couples. Les sanglots continuent à se mêler aux rires. Mais désormais, tous ont été frappés par le destin que je leur ai réservé. Plus un seul n’ignore si son avenir s’écrira en lettres d’or ou de sang. Ils savent s’ils rentreront chez eux dans la fortune, dans la ruine ou dans un cercueil; aimé, rejeté ou oublié; heureux, malheureux ou mort… Tous connaissent mes intentions à leur égard. Et pourtant, je n’ai pas prononcé un seul mot. Je me suis contenté de les regarder danser là-haut, depuis mon trône. J’arbore un sourire de satisfaction, bienveillant envers les élus et provocant envers les déchus. Il est facile de déterminer qui appartient à quelle catégorie en lisant leurs visages. Les uns expriment toute leur admiration à mon égard, les autres leur détestation. Mais personne, absolument personne, ne peut nier ma toute-puissance. Je suis l’Impératrice, reine du monde terrestre, maîtresse de tout ce qui existe qu’il soit un être vivant ou une simple chose inanimée. Ils me doivent tout. En cette soirée, je les ai conviés dans ma demeure pour qu’ils affrontent mon jugement. Dès que j’ordonnerai au silence de revenir, il y aura les vainqueurs et les vaincus, les vivants et les morts… En attendant, ils font la même chose.

Ils dansent.