La Mer de Sable

Kaena parvenait à peine à extraire ses pieds nus du sable pour faire un pas. Sa simple robe safran tachée de sang claquait dans le vent chaud du désert, et sa peau la faisait souffrir, là où le soleil couchant mordait sa peau. Les vautours volaient en cercle au-dessus de sa tête. Leurs croassements et leur danse aérienne ressemblaient une procession funéraire.
Pourtant Kaena n’était pas morte. Et elle ne mourrait pas. Même si à l’ouest d’Altas seule la Mer de Sable recouvrait la terre. Même si les barbares ayant saccagé la cité étaient probablement encore à ses trousses. Même ses jambes étaient douloureuses, et que le soleil la consumait petit à petit. Kaena survivrait, et préviendrai la cité voisine d’Alkor et la cachée préserverait de la destruction.
Il me faut seulement un point de repère. Au milieu du désert...
Elle s’empara de l’outre à sa ceinture pour tromper son anxiété. Voilà déjà deux jours qu’elle aurait dû apercevoir immenses murs blancs d’Alkor, et tout ce qu’elle voyait à l’horizon, c’étaient les immenses dunes de la Mer de Sable et son atmosphère ardente.
Kaena porta l’outre à ses lèvres sèches. Une unique goutte d’eau humidifia sa langue.
Elle envoya l’urne voler dans un grognement éraillé. La gourde de cuir dévala la dune.

— Ça valait bien la peine d’étudier ce maudit désert ! Quelle conne je suis ! Je vais mourir ici et ce sera entièrement ma faute !

Son cri fut si violent que le sable vibrait. Une seconde. C’était physiquement impossible.
Elle pivota et son sang de figea.
Une horde de cavalier galopait dans sa direction, ne laissant que poussière dans son sillage.
Ils l’avaient retrouvée.
Elle tenta une course dans le sable, mais ne parvint qu’à se prendre les pieds dans une pierre dissimulée sous le sable. Dans sa chute, elle dévala la dune. Les grains de sable l’éraflèrent comme une multitude de petites miettes de verre. Une pierre stoppa son roulé boulé.
Kaena cracha du sable, et tenta de se hisser sur ses jambes. Sa vision tanguait, mais elle voyait les cavaliers se rapprocher. Leurs cimeterres étincelants sous le crépuscule lui retournèrent l’estomac. Les lames étaient encore tachées du sang des siens.

— Bordel, bordel...

Elle tenta de nouveau de fuir, mais une pression sur son bras interrompit son geste. Un lasso enserrait avant-bras, l’empêchant d’avancer davantage.

— Où vas-tu comme ça, princesse ? cria un mercenaire dans le vent crépusculaire.

C’était trop tard, les mercenaires l’avaient rattrapée. C’en était fini d’elle. Elle aurait dû pourtant savoir qu’elle ne parviendrait pas à échapper à un groupe de cavalier. Des images du massacre d’Atlas défilaient devant les yeux. Les regards de sa famille, ses amis, ses sujets perdus qui s’accrochaient à elle tandis qu’ils basculaient dans l’abîme. L’odeur du sang qui lui retournait les boyaux...

— C’est ton tour maintenant, siffla un second, tandis qu’il bloquait sa gauche.

Le premier tira sur la corde pour la déséquilibrer et Kaena s’étala sur le sol. Sa peau hâlée était couverte de cicatrices et un rire mesquin dévoila une rangée de dents jaunes.
Un troisième sauta de sa monture, cimeterre au clair. Son immense silhouette bloquait le soleil et projetait son ombre sur elle. Le géant devait mesurer dans les deux mètres. L’idée de faire couler le sang de la jeune femme semblait le rendre particulièrement euphorique.
Elle ferma les yeux, les muscles tétanisés, la respiration saccadée. Si ne luttait pas, elle souffrirait moins.
Soudain, quelque chose siffla près de son oreille. Un rugissement éclata à sa gauche.
Kaena risqua un coup d’œil. Le mercenaire qui avait levé son arme pour l’abattre tenait sa main en hurlant. Une flèche avait transpercé sa paume. Le sang ruisselait de sa main et formait une flaque à ses pieds. Une seconde flèche se ficha dans son cœur, et il s’écroula dans un gargouillis.
Le bruit d’un galop lui parvint à sa droite. Avant même qu’elle ne puisse tourner la tête, un éclair de métal trancha la corde.
Un nouveau cavalier venait de faire son apparition. Mais à la différence des mercenaires, Kaena reconnut l’emblème brodé sur sa tunique. Une pyramide d’or surplombée d’un œil violet. Un éclaireur de la cité d’Alkor.

— Sauve-toi de là !

Kaena ne réfléchit pas une seule seconde. Elle plongea sur le côté.
Le visage du chef de la bande se tordit de rage. Il lâcha le morceau de corde et chargea, son cimeterre luisant dans le crépuscule. Un geste irréfléchi. L’éclaireur l’embrocha du bout de son sabre. La lame traversa tissus et boyaux, pour ressortir de l’autre côté de l’abdomen de l’assaillant. Il s’écroula dans le sable.

— Attention ! lança Keana.

Le dernier mercenaire de la bande en avait profité pour se faufiler derrière eux. Kaena aperçut son outre dans le sable à côté d’une pierre qui dépassait du sable. Par réflexe, elle s’empara de la pierre et la projeta au visage de leur ennemi.
L’éclaireur profita de cette ouverture pour lui trancher la tête. Dans un hennissement, le cheval du mercenaire se cabra et cavala vers l’horizon.
Kaena retint son souffle. Par quel miracle un éclaireur d’Alkor s’était aventuré aussi loin de la cité lui échappait. Mais en plus, il avait tenu en respect trois combattants chevronnés.
Il sauta de son cheval et lui tendit la main.

— Tu as eu de la chance, les lions du sud sont de redoutables adversaires.

Kaena balbutia un « merci » et accepta sa main calleuse, typique des archers. L’éclaireur la hissa sur ses pieds, et l’aida à tenir debout.

— Tu as une sale mine. Qu’est-ce qui t’a pris de partir comme ça dans la Mer de Sable ?
— Je suis Kaena d’Atlas. J’apporte de mauvaises nouvelles à la cité d’Alkor.