La corde ....
Dim 26 Mar - 16:06
Une larme de sueur glissa sur le visage d’Azed, laissant une traînée acide derrière elle. Haut dans le ciel, le soleil l’écrasait de sa chaleur depuis des jours sans interruption. Le garçon avançait en regardant droit devant lui, incapable de lever les yeux sur la boule incandescente ou de perdre son regard sur le sable brûlant qui se glissait entre ses sandales. L’atmosphère tremblait tout autour de lui, comme prête à exploser. Il n’y avait pas de vent. Il n’y avait pas d’air. Respirer c’était pareil à avaler de la poussière.
Par tous les dieux, où se trouvait-il ? Cette plaine de désolation avait-elle une fin ? Il lui arrivait de se retourner pour surveiller ses empreintes de pas et s’assurer qu’il ne tournait pas en rond. Pas de vent, pas de mouvement. Ses sandales semblaient pouvoir rester imprimées dans le sol ocre jusqu’à la fin des temps.
Et puis, il y avait cette corde, enroulée autour de ses poignets et qui le tirait en avant. Une ligne de chanvre qui se perdait à l’horizon et qui lui interdisait de s’arrêter. Courir, il pouvait. Il avait essayé. Courir le plus vite possible pour remonter le long du lien et en trouver la source. Il avait tenu une dizaine de minutes avant de s’effondrer, accablé par la chaleur. Ses boyaux s’étaient liquéfiés à ce moment-là et il avait vomi une bile jaune qui avait incendié sa gorge.
La corde lui avait laissé une seconde de répit avant de le tirer doucement. S’il ne s’était pas relevé, elle l’aurait traîné.
- Mais tu vas finir par me lâcher ! avait-il hurlé, la voix plus rauque que dans son souvenir.
Sa peau brune avait rougi et pelé autour de ses articulations. Des miettes de chair qui lui donnaient l’impression de se décomposer sur place. Bientôt cette saleté de corde traînerait un cadavre ! ça devrait déjà être le cas, il n’avait rien bu depuis son arrivée ici, mais une force obscure le maintenait en vie.
- Pourquoi ? souffla-t-il. Pourquoi…
Il s’effondra une nouvelle fois. Ses cheveux fondaient sur ses épaules, la moindre parcelle de son corps s’enflammait, il le sentait. La plante de ses pieds lui donnait l’impression d’être arrachée couche après couche. Il ne voulait plus avancer. C’en était trop.
La corde se tendit davantage et commença à le traîner sur le sol. Le sable attaqua son corps comme un million de flèches, mais il se laissa faire. Qu’il l’écorche, le scalpe. Au moins, il mourrait. Et alors qu’il fermait les yeux pour se laisser désagréger, une voix lointaine glissa sur ses oreilles.
Azed se redressa, se demandant s’il avait bien entendu. Pendant un instant, il n’y eut aucun bruit à part celui de ses pas. Et puis, la voix reprit. Elle psalmodiait des mots dans une langue inconnue, aussi aride que le désert. Des « chr », des « kr » qui devenaient des échos entêtants. La seule chose dont il était sûr, c’est que ça venait de droit devant. Là-bas, au loin, il y avait quelqu’un.
Le garçon accéléra la marche, puisant dans ses dernières réserves. Ses jambes tremblaient, le sable en avait arraché la peau, mais l’espoir le portait. Ce lieu de malheur avait une fin. Il allait être sauvé.
Il faillit ne pas le voir. L’autre homme. Un type comme lui, juste un peu plus vieux. Il se trouvait à sa gauche, lui aussi traîné par une corde. Ses vêtements étaient en lambeaux, une espèce de parure qui avait dû être luxueuse dans une autre vie. Des perles étincelaient encore à ses oreilles, se balançant de droite à gauche. Etait-ce lui le chanteur ?
- Samu ajily ! hurla l’autre. Hay navo !
Azed resta muet, sa langue était devenue du charbon dans sa bouche. Il ne comprenait rien de ce qu’il racontait, même si certains mots lui faisaient penser à du patsy.
Ils progressaient tous deux dans la même direction, les cordes devaient se rejoindre à un moment. Mais l’autre était bien plus en avance, son cou devait se contorsionner pour suivre Azed. Il continua de lui parler dans son dialecte avant de laisser tomber.
Une femme se trouvait de l’autre côté. Une vieille qui avançait par à-coups. Ses genoux avaient été élimés par le sable et son visage n’exprimait que la souffrance. La corde la tirait sans ménagement, au même rythme que les autres.
La voix s’intensifiait. Elle était devenue omniprésente maintenant et Azed ignorait pourquoi, mais son cœur battait plus vite en l’entendant. La femme âgée émit une plainte, les mains jointes dans une supplication désespérée. Comprenait-elle ce que le chant signifiait ?
- Le dévoreur… le grand dévoreur… pleura-t-elle.
Azed pensa avoir mal compris. Et puis un cri retentit. C’était l’homme sur sa gauche, celui à la belle parure. Il s’était laissé tomber sur le sol et tirait de toutes ses forces sur la corde. Le chanvre lui sciait les mains, lui arrachait les doigts, mais il n’y avait rien à faire. Il continuait d’avancer malgré lui.
Le garçon leva les yeux vers le ciel et crut devenir fou. Un titan, aussi grand qu’une montagne, les attendait. Des bracelets massifs entouraient ses bras, peints de signes blancs qui se prolongeaient jusqu’à son torse. Le même métal ceinturait sa taille jusqu’à un trou noir au niveau du nombril. C’est là où les cordes se retrouvaient. Des milliers de cordes qui arrivaient de partout, avec des humains au bout.
Un prêtre se trouvait sur une estrade, juste devant. C’était sa voix qui parcourait le désert. Les orbites vides, il restait la nuque tordue vers le soleil, les deux bras en l’air à chanter. Ses lèvres gercées ne se fermaient pas, chaque son était expulsé directement de sa gorge.
Azed s’emmêla les pieds et s’effondra par terre. Il ne pouvait y croire. Le dévoreur. Le moindre de ses gestes faisait vibrer les environs. Et lorsqu’il tendit la main pour attraper l’homme à la parure et l’enfoncer dans sa gueule, le garçon ferma les yeux.
Par tous les dieux, où se trouvait-il ? Cette plaine de désolation avait-elle une fin ? Il lui arrivait de se retourner pour surveiller ses empreintes de pas et s’assurer qu’il ne tournait pas en rond. Pas de vent, pas de mouvement. Ses sandales semblaient pouvoir rester imprimées dans le sol ocre jusqu’à la fin des temps.
Et puis, il y avait cette corde, enroulée autour de ses poignets et qui le tirait en avant. Une ligne de chanvre qui se perdait à l’horizon et qui lui interdisait de s’arrêter. Courir, il pouvait. Il avait essayé. Courir le plus vite possible pour remonter le long du lien et en trouver la source. Il avait tenu une dizaine de minutes avant de s’effondrer, accablé par la chaleur. Ses boyaux s’étaient liquéfiés à ce moment-là et il avait vomi une bile jaune qui avait incendié sa gorge.
La corde lui avait laissé une seconde de répit avant de le tirer doucement. S’il ne s’était pas relevé, elle l’aurait traîné.
- Mais tu vas finir par me lâcher ! avait-il hurlé, la voix plus rauque que dans son souvenir.
Sa peau brune avait rougi et pelé autour de ses articulations. Des miettes de chair qui lui donnaient l’impression de se décomposer sur place. Bientôt cette saleté de corde traînerait un cadavre ! ça devrait déjà être le cas, il n’avait rien bu depuis son arrivée ici, mais une force obscure le maintenait en vie.
- Pourquoi ? souffla-t-il. Pourquoi…
Il s’effondra une nouvelle fois. Ses cheveux fondaient sur ses épaules, la moindre parcelle de son corps s’enflammait, il le sentait. La plante de ses pieds lui donnait l’impression d’être arrachée couche après couche. Il ne voulait plus avancer. C’en était trop.
La corde se tendit davantage et commença à le traîner sur le sol. Le sable attaqua son corps comme un million de flèches, mais il se laissa faire. Qu’il l’écorche, le scalpe. Au moins, il mourrait. Et alors qu’il fermait les yeux pour se laisser désagréger, une voix lointaine glissa sur ses oreilles.
Azed se redressa, se demandant s’il avait bien entendu. Pendant un instant, il n’y eut aucun bruit à part celui de ses pas. Et puis, la voix reprit. Elle psalmodiait des mots dans une langue inconnue, aussi aride que le désert. Des « chr », des « kr » qui devenaient des échos entêtants. La seule chose dont il était sûr, c’est que ça venait de droit devant. Là-bas, au loin, il y avait quelqu’un.
Le garçon accéléra la marche, puisant dans ses dernières réserves. Ses jambes tremblaient, le sable en avait arraché la peau, mais l’espoir le portait. Ce lieu de malheur avait une fin. Il allait être sauvé.
Il faillit ne pas le voir. L’autre homme. Un type comme lui, juste un peu plus vieux. Il se trouvait à sa gauche, lui aussi traîné par une corde. Ses vêtements étaient en lambeaux, une espèce de parure qui avait dû être luxueuse dans une autre vie. Des perles étincelaient encore à ses oreilles, se balançant de droite à gauche. Etait-ce lui le chanteur ?
- Samu ajily ! hurla l’autre. Hay navo !
Azed resta muet, sa langue était devenue du charbon dans sa bouche. Il ne comprenait rien de ce qu’il racontait, même si certains mots lui faisaient penser à du patsy.
Ils progressaient tous deux dans la même direction, les cordes devaient se rejoindre à un moment. Mais l’autre était bien plus en avance, son cou devait se contorsionner pour suivre Azed. Il continua de lui parler dans son dialecte avant de laisser tomber.
Une femme se trouvait de l’autre côté. Une vieille qui avançait par à-coups. Ses genoux avaient été élimés par le sable et son visage n’exprimait que la souffrance. La corde la tirait sans ménagement, au même rythme que les autres.
La voix s’intensifiait. Elle était devenue omniprésente maintenant et Azed ignorait pourquoi, mais son cœur battait plus vite en l’entendant. La femme âgée émit une plainte, les mains jointes dans une supplication désespérée. Comprenait-elle ce que le chant signifiait ?
- Le dévoreur… le grand dévoreur… pleura-t-elle.
Azed pensa avoir mal compris. Et puis un cri retentit. C’était l’homme sur sa gauche, celui à la belle parure. Il s’était laissé tomber sur le sol et tirait de toutes ses forces sur la corde. Le chanvre lui sciait les mains, lui arrachait les doigts, mais il n’y avait rien à faire. Il continuait d’avancer malgré lui.
Le garçon leva les yeux vers le ciel et crut devenir fou. Un titan, aussi grand qu’une montagne, les attendait. Des bracelets massifs entouraient ses bras, peints de signes blancs qui se prolongeaient jusqu’à son torse. Le même métal ceinturait sa taille jusqu’à un trou noir au niveau du nombril. C’est là où les cordes se retrouvaient. Des milliers de cordes qui arrivaient de partout, avec des humains au bout.
Un prêtre se trouvait sur une estrade, juste devant. C’était sa voix qui parcourait le désert. Les orbites vides, il restait la nuque tordue vers le soleil, les deux bras en l’air à chanter. Ses lèvres gercées ne se fermaient pas, chaque son était expulsé directement de sa gorge.
Azed s’emmêla les pieds et s’effondra par terre. Il ne pouvait y croire. Le dévoreur. Le moindre de ses gestes faisait vibrer les environs. Et lorsqu’il tendit la main pour attraper l’homme à la parure et l’enfoncer dans sa gueule, le garçon ferma les yeux.
Petite Aloy, Akari Mizuki, zebulon911, Celui-ci, Azulys, Yoomise, Asuka et aiment ce message
- ninja-janine
- Messages : 107
Date d'inscription : 29/01/2023
Re: La corde ....
Mar 28 Mar - 10:35
Waouh! Comme pour d'autres textes, c'est frustrant les textes d' ateliers d'écriture parce que tenue en haleine jusqu'au bout, je voudrais connaître la suite, et je ne la connaitrai hélas jamais la suite
- Citerne
- Messages : 18
Date d'inscription : 29/01/2023
Age : 29
Re: La corde ....
Ven 31 Mar - 16:52
Une larme de sueur glissa sur le visage d’Azed (...) => goutte de sueur ?
Le sable attaqua son corps comme un million de flèches, (...) => j'adore
Ses cheveux fondaient sur ses épaules, (...) => j'adore !!
Aux derniers paragraphes, j'ai beaucoup croché au texte et le rythme est très entraînant. Bravo Sauf qu'au début j'ai eu plus de mal à rentrer dans l'histoire.
A+ :-D
Le sable attaqua son corps comme un million de flèches, (...) => j'adore
Ses cheveux fondaient sur ses épaules, (...) => j'adore !!
Aux derniers paragraphes, j'ai beaucoup croché au texte et le rythme est très entraînant. Bravo Sauf qu'au début j'ai eu plus de mal à rentrer dans l'histoire.
A+ :-D
ninja-janine aime ce message
- Akari Mizuki
- Messages : 71
Date d'inscription : 07/10/2021
Age : 25
Localisation : Franche-Comté
Re: La corde ....
Ven 31 Mar - 18:39
Wow ton texte et vraiment incroyable ! J'ai beaucoup aimé. Ta plume est fluide, tu as ton style bien à toi, un style très terre à terre mais qui comporte une pointe de grandiose et de mystique. J'étais à fond dans la lecture. Va falloir que je lise tes romans s'ils sont aussi cool que ce texte ! Le coup du titan c'était vraiment classe et approprié à la musique qui passait en même temps "Shadow of the colossus" !
Quelques éléments que j'ai relevés au cours de la lecture :
"Le garçon avançait en regardant droit devant lui, incapable de lever les yeux sur la boule incandescente ou de perdre son regard sur le sable brûlant qui se glissait entre ses sandales." je chipote mais j'ai tiqué sur la phrase, elle est un poil longue.
"Respirer c’était pareil à avaler de la poussière." la formulation me paraît étranges (je chipote, il y a vraiment pas grand chose à dire dans ton texte, il est très bon !)
"Il lui arrivait de se retourner pour surveiller ses empreintes de pas et s’assurer qu’il ne tournait pas en rond. Pas de vent, pas de mouvement. Ses sandales semblaient pouvoir rester imprimées dans le sol ocre jusqu’à la fin des temps." C'est TROP classe, j'adore !
Merci beaucoup pour tes commentaires et ton texte
Quelques éléments que j'ai relevés au cours de la lecture :
"Le garçon avançait en regardant droit devant lui, incapable de lever les yeux sur la boule incandescente ou de perdre son regard sur le sable brûlant qui se glissait entre ses sandales." je chipote mais j'ai tiqué sur la phrase, elle est un poil longue.
"Respirer c’était pareil à avaler de la poussière." la formulation me paraît étranges (je chipote, il y a vraiment pas grand chose à dire dans ton texte, il est très bon !)
"Il lui arrivait de se retourner pour surveiller ses empreintes de pas et s’assurer qu’il ne tournait pas en rond. Pas de vent, pas de mouvement. Ses sandales semblaient pouvoir rester imprimées dans le sol ocre jusqu’à la fin des temps." C'est TROP classe, j'adore !
Merci beaucoup pour tes commentaires et ton texte
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