Mission à terminer

Son reflet se brouilla lorsque sa botte écrasa la surface de la flaque, bien plus profonde que prévu. Il grimaça en sentant l’eau glacée s’infiltrer sous les lacets de ses godillots.

« Temps de chiotte… » marmonna-t-il.

Il pressa le pas. Le pont du tramway était enfin visible. Dès qu’il l’aurait atteint, il n’aurait plus qu’à le longer et il finirait par tomber sur eux, et…

« Et merde ! »

Il se rejeta en arrière ; la ruelle débouchait bien plus près du club que ce qu’il ne pensait. La voix de son frère résonna dans ses oreilles :

« Tu vois, tu aurais dû réparer ton GPS avant de te lancer là-dedans. »

Il secoua la tête, réveillant la douleur qui pulsait sous son crâne depuis que ce connard d’Aron l’avait envoyé s’écraser contre les murs de l’open space désaffecté. Les chocs successifs avaient endommagé plusieurs de ses fonctions internes : outre le GPS intégré, son système de régulation thermique faisait aussi des siennes, et les communications sautaient une fois sur deux.

Mais c’était moins grave que de se retrouver avec un tournevis planté dans la nuque. N’est-ce pas, Aron ?

« Pas le temps pour ça, ni les thunes. Faut qu’on boucle ce contrat pour se refaire. Et t’étais censé me guider à distance, j’te rappelle, chuchota-t-il.
- Et moi j’te rappelle que je n’ai plus ta localisation en direct. C’est toi qui m’a pas bien décrit où tu étais, grésilla la voix. Comment tu veux que je te trace un chemin si tu me donnes pas ton point de départ correct, hein ?
- C’est bon, ça va… » maugréa-t-il.

Il dégaina son arme, ôta le cran de sécurité et plongea la main dans la poche de son manteau tout en gardant le doigt sur la gâchette.

L’effet de surprise et la vitesse.

Plus que jamais, il allait en avoir besoin.

« J’ai les cam, lui indiqua son frère. Trois mecs qui fument, à côté de leurs bécanes. Moteurs éteints. Plus le videur de la boîte, à l’écart.
- OK. J’y vais.
- J’coupe les cam. Courage, frérot. Evite de te faire péter un autre truc, cette fois. »

La communication coupa avant qu’il n’ait le temps de l’envoyer promener. Il leva les yeux au ciel avec un petit rictus amusé, avant de se reconcentrer.

Une bombe bactériologique à récupérer.

Quatre hommes dehors, au moins autant dedans.

Il inspira profondément et s’engagea dans l’artère éclairée par les néons des bâtiments. Un feu de poubelle, sous le pont, attira immédiatement son attention. À en juger par le tas de couvertures et les journaux étalés par terre, c’était sûrement un clochard qui l’avait allumé, pour passer la nuit. Le pauvre gars n’était pas là, sans doute parti uriner dans un coin. C’est ton jour de chance, l’ami. Reste loin jusqu’à ce que j’ai terminé, ou tu devras y passer aussi.

Une vague de chaleur nauséabonde lui frappa le visage lorsqu’il passa devant la bouche de ventilation d’un immeuble grisâtre. Le tram passa sur le pont au même instant, étouffant la musique sourde en provenance de la boite de nuit et faisant vibrer les câbles électriques tendus en travers de la rue. Un rat surgit d’une bouche d’égout et fila se réfugier sous une voiture de sport écarlate, le genre qui aurait pu appartenir à un fils à papa si elle avait été garée ailleurs, mais qui, ici, indiquait surtout la présence d’un gros ponte de la pègre.

« Et merde », grinça-t-il pour la deuxième fois.

Tant pis. La mission était trop pressante pour être reportée.

Plus il se rapprochait, plus il sentait la fumée des clopes et les vibrations de la musique. Le videur, les bras croisés dans le dos et la mine renfrognée, baignait successivement dans l’orangé et le rose, au gré des clignotements des enseignes. Les trois motards, eux, fumaient dans une lumière blanche et crue, leurs rires gras résonnant bruyamment dans la nuit.

Ses doigts serrèrent la gâchette.

Trois.

Deux.

Un.

Maintenant.