Une virée d'nuit

Baaah ! C’était pas que d’l’eau. Sur toutes les flaques de flotte de la rue, il fallait que je tombe sur une vieille mare d’huile de j’sais pas quoi. Ben j’suis bon pour avoir les bottes dégueulasses moi. J’essuie c’que j’peux sur le bord du trottoir et je reprends ma route. Il drache plus au moins, c’est déjà ça. Presque un mois d’affilée que le ciel pisse tout ce qu’il peut sur la ville. J’suis pas de nature à aimer le soleil h24, mais là quand même, ça commence à faire long sans un p’tit rayon de soleil. Enfin, j’peux toujours rêver. À deux du mat’, j’pense pas que la boule de feu daigne pointer le bout de son nez, et à tous les coups les nuages de merde qui flottent entre les gratte-ciel nous laisseront pas profiter.

Même maintenant, on voit à peine toutes les fenêtres, alors qu’elles sont allumées, ça y’a pas de doute ! C’est pas le genre des corpos d’éteindre en sortant du taf. Le métro passe au-dessus de moi, sur le rail magnétique ou électrique, j’sais jamais. J’suis pas ingé après tout. Ça vibre en tout cas, dans toute la rue, jusqu’à faire voler mon manteau de cuir synthé. Ah ouais, c’est du synthé, j’suis pas Crésus, donc il est faux. Plus faux qu’ça tu meurs ! Mais il résiste, et ça, c’est tout ce que je lui demande. J’ai pas besoin d’un truc super classe qui crève au moindre bout de vent. D’autant qu’dans cette ville, il y en a de la bourrasque, de la brise, de l’alizée, de… 'Fin du vent quoi. On est gâté pour ça, trop chouette…

Ben tiens, après le vacarme du train, c’est le bordel avec les motos. Y en a quatre devant moi, avec une petite équipe de mecs et de nanas bien baraques qui hurlent en faisant gueuler leurs bécanes. Bon, mieux vaut changer de trottoir, je veux chercher des noises à personne, moi, je suis sympa c’soir. Faut juste que j’fasse gaffe à pas me faire écraser, ce serait couillon. Pour être sûr, ma main plonge dans ma poche droite, et serre les bouts de papier. Ils sont encore là, tout va bien. Le seul truc bien de ma vie, j’ai pas envie qu’ça file entre les doigts. J’passe à côté d’un garage fermé que j’reconnais bien, c’était là que tonton Harold venait faire réparer sa caisse dans le temps.

Le néon est mort. Il l’était pas la dernière fois. Il continuait à cracher sa lumière, 'fin le peu qu’il lui restait, sur son morceau de trottoir. Jamais vu de la lumière aussi flemmarde de ma vie, comme si elle avait décidé de jamais sortir de son coin d'monde. À côté, la ruelle gerbe une lumière bien rouge et criarde sur le mur, les tuyaux d’aération, les fenêtres noires et le garde qui se tient là, comme un con. Ça vient d’la Miche Dorée, et du Cul Bénit, j’me souviens jamais du nom d’ce truc. Faut dire que j’me suis déjà fait jeté de tellement de c’genre d’endroit que je serais bien embêté de retrouver comment il s'appelle. C’est le même mec que d’habitude. Il me regarde tranquille, et me fait un sourire. Il a passé une bonne journée lui au moins. Il se tient bien droit, il a l’air ravi de sa vie, on dirait qu’il est amoureux. Probablement ça en vrai, j’vois pas c’que ça pourrait être d’autre.

Ah tiens, le groupe de loubards me fixe bizarre, ça sent le coup fourré. Je rabats le col de mon manteau et j’presse le pas. Vu comment la nuit a commencé, ce serait pas mal d’essayer de pas me faire piquer le peu de pognon qui m’reste. Plus que deux carrefours et j’y serais, j’vois déjà le bâtiment avec le néon. Gris terne avec des colonnes d’aérations, comme tous les autres. La lumière des lampadaires le fuit, elle arrive pas à s’y accrocher et tombe sur le sol, qu’elle éclaire trop, mais juste sur la surface d’une bagnole. Mal foutu l’éclairage public dans ce coin. Je passe un plot en béton peint de lignes jaunes et noires. Il a dû servir pour marquer des travaux dans l’temps, mais ça fait trop longtemps qu’il est là à rien faire, ils ont dû l’abandonner.

La lumière blafarde d’une épicerie s’échappe par la vitre couverte de saleté de sa porte d’entrée. Ça gueule à l’intérieur. J’me demande si ça a pas à voir avec le gang de tout à l’heure. Il me semble bien que j’suis sur le territoire des Satanas, et ils sont pas en très bon termes avec grand monde en ce moment. D’ici à c’que du sang gicle dans une boutique, il n’y a qu’un pas, et vaut mieux que ce soit pas le mien. Je lève les yeux pour trouver, accroché sur un mur où l’eau a tracé des coulures sombres au travers des années, un beau néon d’une belle nana dans un beau rose bien flashy. Sa lumière est si claire qu’elle me pose problème, parce qu’il est pas neuf, ce truc, ça c’est sûr. Qu’il y ait encore des gens pour nettoyer ça dans c’te ville, c’est dingue.

J’passe à côté une benne à ordures remplie à ras bord pour m’avancer dans une ruelle puante. Merde, c’est pire que d'habitude. Je fais la grimace, mais j'm'arrête pas. La petite porte en fer est là, dix mètres en dessous du néon du club. Je tape trois coups forts dessus, puis j’recule et tourne la tête autour de moi. Pourquoi faire, c’est juste une ruelle basique dans c’te ville, elle a rien de particulier. 'Fin presque rien de particulier. À part que j’y reviens tout le temps, elle a rien de bizarre. C’est peut-être cette plaque d’égout que j’connais le mieux, ces boites de clim que j’ai le plus vu de ma vie. Et c’est la poubelle dans laquelle j’ai passé le plus de temps, ça c’est sûr ! Sauf peut-être celle du Lion, mais bon, j’crois pas qu’ça compte ça.

La porte s’ouvre avec un grincement à réveiller les morts. Même le vent peut pas cacher ce boucan. De la lumière propre s’échappe de l’ouverture et découpe une silhouette de femme. J’arrive quand même à voir son visage. Elle me regarde avec des yeux pâles et des cernes qui m’font pitié. C’est la seule meuf du métier à m’faire ces yeux-là. Du mépris, de la haine, ça j’ai l’habitude. Du désir, pourquoi pas, si la nana s’est bien shooté, ça arrive. Mais ça ? Non, y’a qu’elle. P't’être parce qu’elle a pas à faire semblant avec moi. Quand ses collègues font genre, ça se voit. 'Fin moi je le vois en tout cas. Je sors la main de ma poche et je lui tends le blé.

— Pour le gamin, que j’lui dis, comme chaque semaine.

Tu as réussi à me faire oublier l'image de départ, je me suis complètement laissé embarquer par le regard de ton personnage : j'ai laissé la vision d'ensemble de côté pour suivre chaque étape de sa progression.

J'ai beaucoup aimé les contrastes entre la nuit et les lumières artificielles : ça glisse tout le long de ton texte et ça donne un rythme clignotant franchement agréable.

Bravo !

Coucou ! Ton texte est vraiment chouette ! J'aime beaucoup le ton et la manière de décrire l'ambiance et les lieux à travers les pensées et le ressenti du personnage.
Bravo à toi !

Hello ! Bravo pour ton texte, le ton est vraiment particulier et fonctionne très bien. On prend plaisir à suivre ton personnage, le vocabulaire est bon.
je pense néanmoins que ça aurait été plus rythmé avec des paragraphes moins similaires et des dialogues.
Merci pour ta participation !

Merci beaucoup pour vos messages !