Le baptême

Iris s’avança vers le berceau d’un pas nonchalant. Tous les regards étaient braqués sur elle. Cela ne l’aurait pas dérangée s’il y avait au moins eu un beau jeune homme, célibataire de surcroît. Oh, des célibataires, ce n’était pas ce qui manquait. Où qu’elle posât les yeux, la demoiselle en croisait d’autres paires, des prunelles qui se disaient soit tout à fait bonjour soit complètement au revoir. Et bien souvent, les lèvres s’étiraient en un sourire édenté auquel elle ne répondait pas, trop occupée à essayer de ne pas vomir.
 Elle soupira tellement fort que sa cousine Anémone lui lança un regard noir. Iris toussota et reprit contenance. Elle faillit frissonner en se remémorant la dernière fois qu’elle avait provoqué son courroux, et se concentra à nouveau sur le berceau.
  Arrivée à sa hauteur, elle jeta un dernier regard en arrière, à la recherche d’un beau soupirant. En vain. Elle se retint de justesse de soupirer à nouveau alors qu’elle daignait se pencher au-dessus du berceau. A l’intérieur, un bébé tout en froufrous la fixait avec de grands yeux curieux, avant de rire.
  L’assemblée au complet s’attendrit en entendant les tendres gazouillis du nourrisson. Iris en était écœurée, il n’y avait absolument rien de mignon là-dedans. D’autant que ce bébé était affreux, avec ses grosses joues et ses cheveux blonds clairsemés. Était-elle vraiment obligée de faire ça ?
  Iris jeta un œil implorant à Anémone. Les yeux de cette dernière se révulsèrent et s’assombrirent davantage. Rien ne servait d’insister. Ses neuf cousines s’étaient attelées à la tâche et elle était la dernière, il n’y avait aucune raison qu’elle en réchappe.
– Pour la princesse Amélia…
– Euh, veuillez m’excuser, gente dame, mais la princesse se prénomme Amalia.
  Iris releva lascivement la tête et fit face à la reine, visiblement très gênée d’avoir à interrompre le rituel.
– Oh… répondit-elle d’un ton désabusé. Amélia, Amalia… C’est quand même très proche, on peut facilement se tromper, vous ne trouvez pas ?
  La reine écarquilla les yeux, ne sachant que répondre. Toujours aussi niaise que quand elle était une simple noble de province, celle-là…  Iris sentait la fureur d’Anémone lui brûler la nuque, aussi s’empressa-t-elle de rajouter:
- Évidemment, la faute m’incombe, je ne dis pas du tout qu’il s’agit d’un mauvais choix de prénom, pas du tout. Reprenons la bénédiction de la princesse A-ma-lia si vous le voulez bien.
  La reine hocha vivement la tête, un grand sourire aux lèvres. Décidément, elle représentait tout ce qu’Iris détestait. La douceur, la candeur… l’hypocrisie. Tous autant qu’ils étaient, ce n’était que des hypocrites. Ils venaient déposer leurs offrandes et clamer mille et un compliments… Mais Iris n’était pas dupe. Quand ses congénères gloussaient d’aise, s’extasiant de la bonté des humains, elle voyait clair dans leur jeu. Ils ne cherchaient qu’à s’attirer leurs faveurs, une bénédiction par-ci, une malédiction brisée par-là… Elle en avait assez de tout ça. Et pourtant, elle était condamnée à s’y coller pour au moins les cents prochaines années. Même pour une princesse aussi laide et insipide que son prénom.
– Y a-t-il un problème ?
  Loin de s’offusquer, Iris se figea en entendant cette voix. La plus belle voix qu’elle ait jamais entendue, plus belle encore que le chant des sirènes.
– Absolument aucun problème, votre Majesté, pourquoi cette question ?
– Eh bien, c’est que… vous sembliez perdue dans vos pensées, et vos sourcils étaient exagérément froncés.
– Mes sourcils ne sont jamais froncés, vous devez faire erreur.
– Oui, assurément.
  Que le roi ait pu penser que ses sourcils étaient froncés était la pire chose qui pouvait lui arriver. Enfin, la pire chose après son mariage avec la reine. Qu’il lui ait préféré cette campagnarde la révoltait. Anémone avait beau s’être évertuée à lui expliquer que les princes épousaient de nobles dames humaines et pas leurs bienfaitrices, elle ne l’acceptait pas.
  Et maintenant elle devait donner la bénédiction à sa progéniture. C’était décidément le pire jour de sa vie. Iris observait la petite créature gigotante avec dégoût. Cette dernière tendit ses petites mains potelées et baveuses vers elle. La jeune femme eut toutes les peines du monde à réprimer une grimace tandis que les badauds s’émouvaient une nouvelle fois du spectacle.
– Oh ! s’exclama le roi. Je crois qu’elle vous aime bien, vous avez de la chance !
– Je ne crois pas, non.
  Ce n’est que lorsqu’elle croisa les visages confus du couple royal et des convives qu’Iris compris qu’elle avait pensé à voix haute.
– Je veux dire… la princesse A… Amalia est tellement aimable que je ne pense pas être particulièrement chanceuse de cette attention.
  Les soupirs d’aise fusèrent dans la salle de réception, et on reçut le compliment d’Iris avec moult applaudissements. L’intéressée étira ses lèvres en un sourire tordu et reporta son attention sur la princesse. Quelle bénédiction allait-elle bien pouvoir lui donner ? Elle n’avait pas le droit de maudire ouvertement, et elle le savait très bien. Mais faire passer un mauvais sort pour de belles paroles, cela ne lui était pas interdit… Un sourire franc et sincère traversait le bas de son visage alors qu’elle prononçait ces mots:
– Pour la princesse Amalia, moi, Iris, sa dixième marraine, fait don de cette vertu: une aisance en amour aussi grande que la mienne.
  Les invités, qu’ils soient monarques étrangers ou simples bourgeois, acclamaient chaleureusement cette gracieuse qualité dont avait fait don Iris. La reine prit sa fille et la brandit pour montrer à tout le monde ce modèle de beauté et de vertu.
  La reine s’éloignait vers la sortie, son trophée en main. Tous lui emboîtèrent le pas, n’ayant plus d’yeux que pour la petite princesse. Tous sauf Anémone et le roi, leurs regards hagards posés sur une Iris triomphante en fin de cortège.
  Elle déploya ses ailes pour s’envoler vers le ciel azur, désormais certaine de ne jamais plus être conviée à ces épouvantables cérémonies de baptême.

Génial !
Il est trop bien ton texte !
Lupi a adoré aussi <3

Ton texte m'a rappelé le début du film Disney "La belle au bois dormant", c'est une bonne idée d'avoir fait de marraine la bonne fée, une femme au franc parlé qui est désabusé par l'hypocrisie du monde qui l'entour. C'était très agréable à lire!

Oh, merci tout le monde pour vos compliments ! En relisant, je le trouve horrible, plein de répétitions et PUNAISE, j'ai osé écrire TROIS FOIS "sourcils renfrognés" alors que je sais très bien que c'est un air renfrogné et des sourcils froncés
Je suis d'autant plus soulagée qu'il vous plaise alors ! Merci encore !

Oh non, la vilaine ! J'en ai presque de la compassion pour cette pauvre petite princesse c'est tellement bien pensé Ça ressemble à une bénédiction mais c'est clairement un lourd fardeau qu'elle va devoir porter. J'ai juste adoré Iris, on ressent tellement ses émotions et son amour pour le roi, sa jalousie envers la reine et sa rancoeur de devoir faire semblant que tout va bien. Moi aussi ça m'a un peu fait penser à la belle au bois dormant avec le début c'est super original ce que tu en as fait au final. J'adore toujours autant tes ateliers Vivement le prochain Merci à toi !

Merci beaucoup Sayuri pour tous ces compliments 🥰 Et oui, Amalia a beau être dotée de toutes les vertus en beauté et caractère, elle est condamnée à ne jamais vivre un amour durable, en l'écrivant je me sens vraiment méchante de ce que je lui ai infligé XD Mais c'est Iris, c'est pas moi !

Très bon texte ! Le personnage d'Iris est bien écrit, on sent qu'elle n'a pas envi d'être là et que toute cette cérémonie la gonfle J'ai beaucoup aimé l'idée de ce don qui sonne comme un cadeau mais qui est en fait une malédiction

Bravo à toi !

Merci beaucoup pour ton retour Azulys
J'ai voulu jouer sur l'ambiguïté de se demander si c'est elle qui est une connasse ou si c'est la vie qui est une connasse avec elle xD Je sais pas trop si ça a fonctionné, en tout cas je m'amuse toujours autant à écrire des personnages pas gentils xD (en prota, j'en ai qu'une comme ça dans mes projets perso, et je sens que je vais l'adorer xD)

J'ai adoré !! Je trouve qu'on s'attache vite à Iris. Les descriptions sont géniales et les réactions d'iris, que ce soit interne ou oral ! Et j'adore cette malédiction cachée, très bien trouvée.

Bravo pour ton texte, j'ai adoré cette pauvre fée acariâtre... Mais bon, c'était peut-être pas la peine de passer ses nerfs sur la pauvre petite Amalia^^' Néanmoins, on comprend bien pourquoi elle fait ça et ses motivations
La malédiction présentée comme un don, c'était génial. Mais en même temps, tout don ne porte-il pas une part de malédiction?

Merci beaucoup pour vos retours Saz et Ginevra ! Je suis contente de voir que la malédiction sous forme de bénédiction a eu l'effet escompté
Ginevra: Je suis d'accord, pauvre Amalia, personnage sacrifié au nom de la caractérisation d'iris Et c'est très philosophique ta dernière question, je te donne 4h pour me faire une dissert' dessus XD

J'essaierai de pondre une dissertation dans le temps imparti alors

Hello ! Bravo pour ton texte ! ça se lit très bien, le personnage est super, le ton est approprié et j'aime le côté réécriture de conte ^^
Que le roi ait pu penser que ses sourcils étaient froncés était la pire chose qui pouvait lui arriver. : un peu compliqué à suivre, à cause des "que"
que quand : vilain pas beau
Et attention à tes répétitions, tu tournes bcp autour des regards et des sourires.

Merci pour participation !